Ciao Napoli

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Ma réponse au défi un jour / un son #8 de Shephard69100 : un texte sous forme de fiction documentaire entrecoupé par les sept liens musicaux de la semaine. Découvrez l’un des quartiers les plus dangereux d’Europe, la Scampia à Naples, au rythme de la musique.

***


Vincenzo était né dans la banlieue nord de Naples, où se trouvait un quartier d'habitation populaire, tristement connu dans l'actualité criminelle, comme d'autres agglomérations urbaines ou suburbaines similaires des grandes métropoles modernes. Il s’agissait de Scampia, quelques kilomètres carrés, où vivaient des milliers de femmes et d'hommes, entassés dans de petits appartements créés à l'intérieur d'imposantes structures en ciment appelées "Vele". Ces bâtiments avaient été construits entre 1962 et 1975. Beaucoup les définissaient comme une horreur architecturale. Trois des sept structures initiales avaient été démolies entre 1997 et 2003, quatre étaient encore debout et habitées ou, pour mieux dire, occupées. Un débat houleux s’animait depuis la énième résurgence du conflit entre gangs rivaux pour le contrôle du marché florissant de la drogue. Réduire ou ne pas réduire : telle était la question ? La vie… Où était-elle ? Pour Vincenzo, elle avait disparu depuis longtemps. Il ne vivait plus, il survivait.

https://youtu.be/9lMEH7WGWfQ?si=LOLC1v5NunjNeYJh

Pendant que les hauts placés du gouvernement se demandaient s’il fallait ou non démolir le reste de Vele, comme si par magie un peu de TNT, astucieusement placé entre un pilier et un autre, pouvait enfin résoudre les problèmes héréditaires d’un quartier et peut-être d’une ville entière, Vincenzo regardait le ciel et rêvait d’une vie meilleure. À ses huit ans, un policier lui avait promis de le sortir d’ici. Il se nommait Giacomo. Ce dernier lui avait proposé d’attendre la nuit de dimanche à lundi, en haut sur la colline, à l’abri des regards. Il lui avait demandé de se poster à côté du réverbère courbé et tagué d’une pieuvre rouge dégoulinante. Sa mère endormie, ses frères et sœurs blottis dans un même lit, et un père sorti avec le cousin Pietro, il en avait profité pour s’éclipser discrètement. Vincenzo avait suivi les conseils de Giacomo qui lui promettait monts et merveilles au-delà des frontières de la Scampia.

https://youtu.be/uZC53ikqskg?si=bCa5moZUFiNOSnQJ

Il avait attendu toute la nuit, des coups de feu avaient retenti et personne n’était venu. La nuit était fraîche, il grelotait à patienter, se frictionnait les bras de temps à autre, et jetait un coup d’œil à sa montre toutes les dix minutes. Lorsque les rayons du lever du soleil avaient commencé à réchauffer ses joues et se frayer un chemin à travers ses paupières à moitié closes, Vincenzo commençait à trembler, à la fois de colère et de peur. Un groupe d’individus armés avait fait son apparition. Il avait reconnu son père et ses cousins s’approcher de lui. Cet homme grand et baraqué, tatoué du signe de la Camorra sur l’avant-bras gauche l’avait regardé de haut, les yeux remplis de déception. Vincenzo le savait, il n’avait pas le droit de sortir, pas seul, pas sans lui. Les rejetons étaient la relève de la famille. Son père l’avait sermonné, giflé, battu et ramené de force à l’appartement. Sa mère le dévisageait en silence, se contentait de retenir son souffle, d’éviter de mettre en colère son mari au moindre soupir. Les yeux embués de larmes, elle observait son fils, son arcade sourcilière éclatée, ses paupières bleutées gonflées, son nez cassé et sa lèvre supérieure fissurée. Vincenzo sentait le liquide chaud s’écouler sur son visage abimé. Il vit la terreur au plus profond de l’âme de sa mère. Elle retenait ses larmes, restait droite comme un piquet et tachait de faire bonne figure auprès des siens. Vincenzo avait compris ce jour-là que personne ne viendrait l’aider. Son cœur était devenu aussi froid que la pierre.

https://youtu.be/nOubjLM9Cbc?si=LQOnxg-bwuVQGUfJ

Les années passèrent jusqu’à ce que Vincenzo atteigne ses dix-huit ans. Il était toujours coincé dans ces barres d’immeubles. Son espoir de liberté s’était envolé comme cette buse au plumage châtaigne qui planait au-dessus du quartier oublié à la recherche de musaraignes à dévorer.

Au début des années 1990, Paolo Di Lauro était devenu un puissant parrain contrôlant de nombreux quartiers napolitains et dont l'activité principale était le trafic de stupéfiants. Scampia, l'un des quartiers dominé par son clan, était considéré comme étant le plus grand supermarché européen de vente de drogue au détail. Une activité très lucrative qui rapportait au clan environ 500 000 € par jour. Mais le trafiquant de drogue international était également un entrepreneur dont les activités allaient du racket au commerce de vêtements de contrefaçon, en passant par l'importation de fausses perceuses « Black&Decker » fabriquées en Chine. Vincenzo avait été enrôlé dans ce business. Il avait réussi à se démarquer et se faire une place dans le milieu. Ainsi, il était devenu un criminel respecté.

https://youtu.be/1SnZc4hW9vQ?si=yjnCiB9ttviAdmvd

Il y avait quelques années, face à la nécessité urgente d'éradiquer le cancer de la Camorra des Casalesi, l’État avait proposé de raser certaines villes de la provincia di Caserta avec du napalm. La solution salvatrice était d’évacuer des villes entières, les transformant en villes fantômes. Mais cette proposition était mal venue, qualifiée atroce et immorale. Il existait d’autres façons d’entrevoir le ciel de la liberté.

https://youtu.be/DbGJgrBsgng?si=HA-K6tLIaUZ52vyT

Vincenzo n’avait pas oublié Giacomo. Un jour, il apprenait que le flic avait été tué par balle la nuit où il était venu le chercher. Un picciotto du clan Casalesi lui avait transmis l’information. La personne qui avait appuyé sur la détente ? Le propre père de Vincenzo. Depuis cette révélation, une haine féroce se muait dans ses entrailles, tel un serpent prêt à enserrer les chairs de sa proie, à broyer ses os et à plonger ses crocs dans la carotide pour y déverser son venin.

Lors d’un règlement de compte, Vincenzo avait saisi l’occasion de se débarrasser une bonne fois pour toute de son paternel. Il s’était éloigné de lui, le laissant aux mains d’un clan rival. Tabassé à mort, il y avait laissé sa vie.

https://youtu.be/WTMrzzxFCQU?si=mqny7-id16zt1X5w

Vincenzo avait pris conscience q’un contrôle constant et la mise en place de garanties concrètes de légalité pouvaient constituer des remèdes sérieux. Scampia n’avait plus besoin d'approximation, de slogans et de propagande. Le travail bénévole méritoire ne suffisait pas non plus à résoudre définitivement le problème. Il s’était mis à travailler en cachette aux côtés des associations, auprès des enfants, pour tenter de leur redonner un peu d'amour, faire oublier la malchance qui les poursuivait et leur donner le bonheur qui leur avait été refusé. Il avait rencontré une jeune femme charmante aux cheveux bruns et au teint halé, du nom de Marina. Elle travaillait pour l’équipe d’aide aux enfants. Il l’admirait, et tout naturellement, ils s’étaient rapprochés. Il lui racontait pourquoi les gens mouraient à Scampia, pourquoi tout le monde avait peur d'y aller, pourquoi il fallait garder le silence. Les enfants qu’elle aidait lui avaient attrapés la main, lui souriaient timidement avec un regard brillant qui signifiait qu’au fond d’eux-mêmes, ils craignaient une réponse négative à leur question : « tu reviens demain ? ».

Le cœur et l’âme de ces jeunes enfants avaient besoin de proximité, de solidarité, et de compréhension. La tâche des institutions était de veiller à ce que ces gamins ne tombaient pas dans la spirale perverse de la criminalité, alimentant ainsi un marché du travail criminel florissant. Il fallait les conditions pour qu'ils puissent créer des ailes fortes et robustes, capables de les sortir des sables mouvants des amitiés inconfortables et de l’argent facile.

Regard lointain vers l’horizon, tel le capitaine du navire admirant les vagues agitées s’échouer sur les rivages, Vincenzo savait que l’État avait perdu. Le Vele pouvait être démoli, mais un autre Scampia naîtrait déjà ailleurs. Et sans aide, tous ces enfants n’auront jamais de grandes ailes solides pour s’envoler vers la liberté.

https://youtu.be/--wy8QmLlM8?si=gxCPPLq37lrDSYsf

Scegliere il battaglia o il silenzio

(Choisir la bataille ou le silence)

En Italie, la mafia n’existe pas,

L’association sicilienne se nomme Cosa nostra,

En Calabre, on l’appelle la ’Ndrangheta,

En Campanie, la Camorra,

Et dans les Pouilles, la Sacra corona unita.

Les quatre organisations criminelles

Sont unanimes pour être des modèles

Qui véhiculent la peur et le respect

Montrés sous leur meilleur aspect

Qui avancent main dans la main

Jusqu’au jour du lendemain

Deux faces d’une même médaille

Prêtent à gagner la bataille

Pour obtenir le pouvoir

La puissance en est l’exutoire

Une demeure protégée par les guetteurs

Des flingues tenus par des tueurs

Maîtrisent les non-initiés de l’observatoire

Ceux présentés comme des faire-valoir.

Respecter la première règle effroyable,

La seule et unique exploitable.

Les bravi ragazzi sont réduits au silence,

Les picciotti balafrés pour leur négligence

Ces éléments constituent cette entité politique,

Concurrente de l’État dramatique

Qui use légitimement de la violence,

Et de l’intimidation avec insolence.

Un système érigé pour obtenir un maillage social,

La violence systémique offre un contrôle territorial,

Brise les solidarités des penseurs

Et isole les individus devenus leurs propres censeurs.

Le mafioso est au centre de la société.

Le clan lui confère une notoriété.

Dans la nuit noire, Ciao Bella

Sous le signe du combat, A presto Italia

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