• Je hais quand on me dérange en plein travail !

Prest ne daigna pas cacher son mécontentement lorsqu’il ouvrit la porte. Toutefois, il reprit aussitôt son calme à la vue de Byron Corentin. Devant sa carrure imposante, l’Anakrit baissa immédiatement les yeux et se confondit en excuse.

• Que me vaut votre visite, monsieur Corentin ?
• Laisse la politesse de côté, mon vieil ami. C’est loin d’être ton fort, répliqua-t-il en faisant allusion à la scène qui se déroula devant lui.
• Sa majesté m’a laissé le feu vert.
• Sa majesté a-t-elle eu vent de tes méthodes ?
• Sa majesté me fait confiance.
• Comme il le fait à tous ses soldats.

Luna, cachée derrière la corpulence de Byron, pénétra comme une furie dans la salle. Le pantalon défait du soldat et la position de Lila la dégoutèrent. Elle repoussa sa main de ses poignets et l’aida à se redresser.

• Pardon du retard…

Les blessures de son dos lui arrachèrent un gémissement et se rendit bien vite compte que sa cicatrice se réouvrit. Ses muscles tremblèrent et Lila eut du mal à marcher. Luna l’aida du mieux qu’elle le put, sous le regard des hommes. Byron dériva le sien vers Prest Yogh, tout sourire face à sa victime, la vit quitter la pièce sans un mot.

• Tes actes ne demeureront pas impunis, annonça-t-il à l’égard de Prest.
• Que les siennes soient les premières, au moins je n’ai pas trahi mon pays.
• C’est vrai. Tu le déshonores.

Sur ces mots, Byron prit congé et suivit les pas de Luna.

Bien qu’Amaël de Val ait demandé à la consulter dans l’immédiat, Lila insista à s’allonger d’abord. Toutefois, aucune des chambres valides dans le palais n’atténueraient ses soupçons comme le ferait la maison de la treizième garde. Ainsi et sous ses directives, ils arrivèrent dans une clairière à l’abri des regards, assez éloignée de Dihya.

Champêtre, tel fut le mot pour la décrire. Mis à part son terrain d’entraînement qui s’étalait à longueur de vue, elle n’eut rien de grandiose. Des mannequins de combat jonchés un peu partout, des marques de batailles à coups de lame écorchèrent les murs en bois de la maison. Un puits, légèrement isolé, fut construit par des briques usées. Et puis, à l’entrée, le chiffre treize fut taillé au couteau. Abandonnée, de la mousse se glissa entre les jambes de force et les araignées se nichèrent autour des contrefiches.

La chambre où les guida Lila fut petite et étroite, juste ce qu’il fallut pour y déposer un lit et une table de chevet. Elle se laissa tomber sur son ventre et la poussière s’envola en éclat.

• La chambre du fond, à gauche, dirigea-t-elle en mettant une main sur ses yeux. C’est là que se trouve Donovan.
• Je te rejoindrai, fit Luna à l’égard de Byron.

Ce dernier hocha la tête et s’en alla vers la pièce indiquée. Il y trouva effectivement le garçon, allongé de tout son long et endormi. Son torse se bouffa au rythme de sa respiration, et un coulis de bave s’échappa de sa bouche entrouverte.

• Encore désolée du retard…
• Tu as tenu ta promesse, c’est le principal.
• Quand bien même-
• Ton pouvoir se nourrit de ta force mentale. Plus tu l’utilises et plus ton cerveau bouillonne, j’ai assez vu Jorik à l’œuvre pour au moins comprendre ça.

Luna se tut. Son regard ne quitta pas ses blessures. Le sang séché formait des croûtes sur son dos et sa tunique était rubéfiée sur les bordures déchirées.

Le silence gagna la pièce et seul le souffle endormi de Lila arriva aux oreilles de l’Anakrit. Cette dernière chercha un tissu propre et de l’eau, aussi impossible que de chercher une aiguille dans une botte de foin. Elle déchira alors un bout de sa tunique et remplit le seau du puits. Une fois revenue dans la chambre, elle mouilla le tissu et nettoya ses plaies avec délicatesse.

Byron revint dans la chambre.

• Qui aurait cru qu’un tel endroit existait, commenta-t-il en détournant son attention du dos de Lila.
• Un véritable mystère, en effet.
• C’est ici que Yorrick vivait, alors ?
• Il semblerait, oui, ainsi que tous les autres. Sa majesté Maël de Val leur avait légué la maison pour qu’ils puissent éteindre les soupçons.
• Je suppose que leur relation devait rester secrète. Mais de là à cacher l’existence d’Alon… Ce Yorrick était mauvais en cachotterie, en plus.
• Il faut croire que tout le monde a un secret. Et Donovan ?
• Il dort, je n’ai pas osé le réveiller. En tout cas, il n’a pas l’air en mauvaise forme. Ses joues sont bien remplies !

Byron souffla un petit rire. Quant à Luna, elle esquissa un simple sourire et se focalisa sur sa tâche, sans trop s’attarder sur le tatouage d’un oiseau en plein vol au creux des reins de Lila.

• Je peux savoir ce qu’il te prend ?

D’habitude, les matins de Nolan de Glasmartre étaient moins bruyants. Étant loin d’être du matin, aucun membre du clan n’osait le réveiller aussi tôt. Néanmoins, l’audace de cet individu ne refléta que la personne de Ciara Foscor.

Sa posture autoritaire et imposante révéla sans gêne ses formes en-dessous de sa robe de nuit longue et simplette. Un commentaire que Nolan se restreignit de mentionner. Il la fixa d’un air sceptique, comptant intérieurement le nombre de fois où elle entra par effraction dans ses quartiers.

• Que me vaut ta visite ?
• Tu ne m’adresses plus la parole depuis notre toute dernière réunion au palais, tu m’évites ?
• A quoi bon ? Tu reviens toujours à la charge et plus furieuse qu’avant, répondit-il nonchalamment en quittant sans lit, sa nudité surprit Ciara.

Le rouge lui monta au visage alors que Nolan esquissa un rictus. Au fond, il sut que la cheffe du clan pinçait pour lui depuis leurs fiançailles, il y eut de cela plusieurs mois. Son subconscient la poussait à se mettre en avant devant lui, à démontrer sa confiance et sa force d’esprit à chaque fois qu’ils se retrouvaient dans la même pièce.

Dos à elle, Nolan se vêtit de sa robe de chambre, en sentant son regard posé sur ses fesses, et se retourna. Ils restèrent ainsi à se fixer sans rien dire.

Depuis la toute dernière réunion des Rads en compagnie de sa majesté Amaël de Val, Ciara et Nolan ne se côtoyèrent plus. Enfin, il ne la côtoya plus. Le débat des deux parties engendra encore plus de doutes et de colère ; l’empereur ne réussit toujours pas à trancher. Nolan fut le genre à accepter la diversité des opinions, toutefois, son sang se glaça à l’entente de la conclusion de Ciara à l’égard de l’affaire de Lila ; la mort.

Elle ne savait pas quand s’arrêter, ni comment. Sa personne comptait plus que celles des autres, ne se mettait jamais à leur place et c’était pour cette raison qu’elle ne comprendrait jamais Nolan de Glasmartre. Condamner une irathienne, un membre de son clan et sa cousine, pour une raison jusque-là inconnue, fut une suggestion à bannir. Malgré son mutisme sur son départ, sa certitude proclama une raison anonyme. Lila avait changé, beaucoup même, mais son regard brûlant de détermination la laissait aussi unique qu’autrefois, bien décidée à provoquer un changement au sein du clan.

Lila ne fut plus ce bout de femme à protéger.

• Tu m’écoutes quand je te parle ? rugit Ciara en plaquant ses mains sur le rebord du lit.
• Désolé, tu disais ?
• Arrête de faire l’enfant ! Tu n’as plus l’âge ! Que diront les anciens lorsqu’ils verront notre lien fragilisé ?
• Les choses ont changé depuis. Les masques tombent et les yeux s’ouvrent.
• Depuis le retour de ce fantôme, plutôt.
• Tu sais aussi bien que moi que ce mariage n’est que politique, souffla-t-il d’exaspération.
• Et que fais-tu de mes sentiments ! Tu ne me regardes plus, ne me touches plus ! Depuis son retour, tu es toujours en léthargie ! Même au Conseil, tu ne penses qu’à sauver la peau de cette garce !
• Je t’interdis de l’appeler ainsi !

Sa main empoigna le col de sa robe tandis que la seconde se prépara à la gifler.