Ceux qui ne tournèrent pas la page
Ciara écarquilla les yeux devant le regard haineux de Nolan.
Cet homme qu’elle connut il eut de cela un an, fut des plus sereins et calmes. Un homme de pouvoir dont l’autorité brisa les regards mauvais des autres clans, des menaces des pays voisins et de ceux qui osèrent le sous-estimer. La politique devint sa vie, comme la sienne. Une union inattendue aux yeux de tous, cette même politique les rapprocha. Et de fil en aiguille, Ciara Foscor ne put qu’approfondir son amour pour Nolan de Glasmartre.
A ce moment-là, sa gorge se noua alors que la vision de son amant se brisa en mille morceaux. Le regard digne des Glasmartre la méprisa, la renia et l’avertit.
Touche Lila et tu es morte.
Une menace silencieuse qui en dit long sur son amour pour Lila. Ciara s’en douta parfois. Nolan lui légua une place trop grande dans son cœur qui ne se ferma pas, même après sa disparition. Une place où l’affection régna en maître. Leur lien purement fraternel se renforça au fil des jours et des ans, sans l’ombre d’une fragilisation.
Un flash de son passé lui revint à l’esprit ; l’époque où Lila et elle furent encore au dojo. Les Oktatas l’avaient remarquée rapidement de par ses capacités au combat, contrairement à sa rivale. Son inefficacité lui avait valu des commentaires désobligeants et les moqueries de ses camarades. Lila en pleurait et à chaque fois, Nolan la protégeait. Petit à petit, l’observation de Ciara l’avait menée à la curiosité, puis à l’intrigue et enfin à l’affection. Et elle s’était surprise à ressentir de la jalousie à l’égard de Lila quand Nolan s’en rapprochait trop.
- Rentre chez toi, soupira-t-il en lui jetant une robe de chambre en satin. Et habille-toi, une femme de ton rang ne doit pas se vêtir comme une femme de joie.
Son ton s’enveloppa d’insouciance.
L’espoir de briser sa coquille avait toujours conquit son cœur amoureux, mais Ciara comprit enfin. La distance entre eux deux fut trop grande, trop vaste et elle se sentit tellement bête. La jeune femme disparut de par où elle était arrivée, sans jeter un dernier regard derrière elle.
On toqua à la porte.
- Maître Nolan, retentit la voix d’une servante, vous avez un visiteur.
- Qui est-ce ?
- Enora Moshtnost.
Un mal de tête le menaça déjà.
La nouvelle venue était essoufflée, avec un soupçon de crainte dans le regard. Ses cheveux, d’habitude si bien coiffés en une haute queue de cheval, cascadèrent sur ses épaules. Et son haut fut à l’envers. Sans un mot, Enora lui tendit une lettre dont le seau rouge représenta le sigle de l’impérialité. Nolan la lit, perplexe.
- Un ordre de sa majesté, il souhaite nous voir au palais immédiatement.
Je pars me changer de suite. Je te conseillerai de faire de même, fit-il allusion à son haut mal fait de la première garde.
Honteuse, elle sortit en trombe et referma rapidement la porte derrière elle.
Ses gardes nocturnes l’avaient poussée à s’absenter le soir et n’avait pu revoir Théo que tôt le matin. Toutefois, ce ne fut que de courte durée qu’un messager ne l’eut avertie de la soudaine convocation d’Amaël de Val. Elle s’imagina dans sa chambre, à écouter les gazouillis et les pleures de son bébé. Son poing se retrouva de plus en plus dans sa bouche, au fur et à mesure que ses dents naissantes le démangèrent.
Depuis le retour de Lila, aucune nuit ne réussit à rassurer ses tourments, ses doutes et ses peurs. Ce fut le rôle de Breig de Caelo, autrefois, mais Enora se vit mal à lui demander réconfort alors que son propre état ne le lui permit pas. Puis, un souvenir l’invita à regretter de l’avoir mis dans la confidence sur l’interrogation de Lila. Prest Yogh, un investigateur de renom dont les méthodes demeurèrent des plus secrètes, sut comment manipuler l’opinion des autres sur sa personne. Breig en devint encore plus bouleversé.
Jetant un dernier regard à la porte de Nolan, qui réveilla plusieurs souvenirs enfouis, Enora se dirigea vers le palais.
Assis sur son trône, Amaël eut l’impression que les mêmes scènes se reproduisaient encore et encore.
Dans la grande salle, cinq de ses soldats furent présents dont deux Mantenes, deux Rads et un Zashiten. Les deux premiers isolés dans un coin, Breig lui parut en léthargie. Ses iris voguèrent sur les poutres, le sol, le plafond, partout sauf sur ses compagnons. Quant à Enora, ses cernes en dirent long sur ses insomnies. Ses conseillers le fuirent comme la peste. Ciara, d’habitude collée au bras de son fiancé, laissa une distance entre eux alors que Nolan joua avec son fourreau. Puis, perdu et anxieux, l’expression de Glenn fut plus que crispée que jamais.
- Votre majesté, pourrions-nous connaître le motif de cette entrevue ?
Toute l’attention se dirigea vers lui, suite à la question d’Enora.
L’interrogation de Lila de Glasmartre a pris fin, annonça-t-il en entrelaçant ses doigts sur son ventre. Ça a duré plus que prévu, deux jours et demi plus exactement. Grâce au rapport ponctuel de Prest Yogh, Lila en sait plus que je ne croyais.
- Que peut-elle savoir, si je puis me permettre ? demanda Nolan, la voix incertaine.
- Beaucoup de choses. Enormément de choses que moi-même j’ignorais. Des… des relations secrètes si bien gardées et je n’ai rien vu venir…
- Sont-elles des traîtres, elles aussi ? répliqua Ciara qui lui valut un regard réprobateur de la part de Nolan.
- Oui… Non… Je l’ignore ! J’attends Luna pour qu’elle me donne de plus amples explications.
- Luna ? tiqua Enora. Qu’a-t-elle à faire dans cette histoire ?
- Je lui ai attribué l’interrogation d’Alon Elric et il s’avère être des plus fructueux. Je lui ai laissé carte blanche pour le cas de Lila.
- Votre majesté ! Vous lui donnez une chance ? Une meurtrière comme elle ?
- Remets-tu en question la décision de sa majesté, Ciara ?
- Nolan, calme-toi, souffla Breig une fois à ses côtés.
- Un meurtrier demeure un meurtrier, peu importe ses raisons !
- Alors nous le sommes également, commenta Enora. Pour préserver Irathen et son impérialité, nous avons tous tué. Ça fait de nous des meurtriers.
- Ce n’est en aucun cas la même chose ! La guerre est une cause qui pousse à tuer !
- Qui dit que Lila n’a pas eu les mêmes raisons ? tenta Glenn, toujours isolé du groupe.
Le visage furieux de Ciara le fit taire.
- Silence ! Vous disputez n’apportera rien à ma décision. Ciara, je comprends parfaitement ta frustration, mais en tant que dirigeant d’Irathen, il est de mon devoir de connaître tous ses secrets.
- Je vous demande pardon, mon seigneur, ploya-t-elle le genou.
- Nolan, c’est la dernière fois que ta vie personnelle prend le dessus sur tes obligations. Tu es chef du clan Glasmartre, agis comme tel !
- Oui, mon seigneur…
Amaël se rassit et souffla bruyamment. Plus aucun n’osa émettre ne serait-ce qu’un bruit alors que la grande salle sombra dans le silence.
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