Le serpent

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La pauvre Laeté avait été enfermėe dans une maison rustique de torchis et de chaume. Le luxe se bornait à une simple bassine d’eau pour la toilette et des araignées au plafond. Il fallait attendre, dans cette masure, alors qu´elle étouffait dans cet air lourd. Pendant qu´on règle son sort, mille affreuses pensées l´assaillaient, la jeune femme n'écoutait plus les stupides paroles de réconfort de sa servante.  Elle s’agenouilla et pria en se souvenant d’un psaume : « Sauve-moi de l'épée, épargne ma précieuse vie de ces chiens. Enlève-moi de la gueule du lion et des cornes de ces bœufs sauvages. ». Retrouver la paix intérieure, espérer, si on ne craint pas la mort on peut résister.

La porte de bois vermoulu s’ouvrit tout à coup, des hommes décidés pénétrèrent dans la chaumière. Parmi eux, le maître des milices Andragathe, portait sa tenue comme un vautour travesti en aigle ; un autre arborait la ceinture d’un officier palatin. Quelques officiers les accompagnaient. Laeté, malgré la situation, prenait ses airs d’impératrice et soutint les regards masculins avec une certaine hauteur et fierté. Il ne fallait pas qu’elle se laissât impressionner. Elle serait toujours la femme d'un empereur.

Andragathe faisait peur avec ses airs de barbare gète, avec des yeux bleus comme la mer pontique, une peau rougie et par le soleil et la colère. S’il savait commander une armée, il paraissait quelque peu emprunté en présence d’une femme de rang sénatorial. Ce n’était pas le cas du Palatin, cet homme au visage triangulaire et aux cheveux noirs bouclés fixaient ses proies de façon hypnotique et les autres en détournant ses yeux saillants. Sa peau mate et son accent trahissaient ses origines espagnoles. Mais qui était donc cet homme ? Sa démarche de serpent inquiétait beaucoup Laeté. 

La voix trainante et mielleuse cherchait à paraître amicale : « Augusta, pardonnez les mauvaises manières des hommes de troupe, vous serez bientôt amenée à Trèves auprès de l’empereur Maxime, et l'on vous traitera bien. »

— Que me voulez-vous ?

— Oh, nous désirons juste obtenir quelques informations… vous êtes mariée depuis peu à Gratien, vos noces ont été écourtées, peut-être même que votre mariage n’a pas été consommé, qui sait ?

Il n’avait pas encore posé de question que déjà la jeune femme y décelait des pieges. Que voulait donc ce fourbe ? Pourquoi se soucier de ses noces ? Pour annuler son mariage ?

— Attendez-vous un enfant de Gratien ou non ?

Laeté comprit soudain où il voulait en venir : oui elle était enceinte, elle le sentait depuis peu. Un héritier potentiel. Cette information, elle ne devait le dire à personne car elle était assez fûtée pour comprendre qu´on ne laisserait jamais vivre l´enfant. 

— Non, pas du tout. répondit-elle avec audace.

Les yeux de la servante s’écarquillèrent l’espace d’une seconde et cela n’échappa pas au fonctionnaire impérial. Il se rapprocha de la petite domestique qui tremblait comme une feuille et lui posa une main doucereuse sur l’épaule, comme le ferait un ami :

— Ma petite, ta vie n’est rien pour nous, tu le sais… mais si tu nous dis la vérité, tu seras grandement récompensée. N’oublie pas que ta maîtresse est l’épouse d’un vaincu.

La femme de chambre n’hésita pas bien longtemps :

— Oui seigneur, sa majesté attend un enfant. Elle a des nausées matinales depuis peu.

L’homme saisit le visage de la fille entre ses mains et dit sur un ton amusé :

— Oh tu as bien fait de nous révéler cela !

Le choc était brutal pour Laeté qui s’assit sur le coup de l’émotion. Trahie par son escorte, maintenant par sa femme de chambre.

Le maître des milices Andragathe asséna cette phrase brutale comme s’il frappait un ennemi de l’épée : « Nous devons la tuer, l’empereur a été très clair. »

— Oh la pauvre enfant, dit le Palatin de façon plus théâtrale que sincère. Nous savons que l’empereur n’acceptera pas un concurrent potentiel… Néanmoins, j’ai une solution. Vous voyez, j’adore la cuisine, il existe une épice indispensable pour rendre les plats exquis : le silphium. Par chance, je me déplace toujours avec. Si cette épice est sans effet particulier en assaisonnement, en boire provoque généralement l´expulsion du foetus présent en votre sein. Buvez le contenu de cette fiole et vous n’aurez plus rien à craindre de l’empereur Maxime.

Il avait dit ça avec détachement, comme si la vie ne valait rien. Tout n’était que calcul pour cet odieux courtisan.

— Vous voulez tuer mon enfant... Et si je refuse ?

— Oh, vous ne voulez pas… c’est bien compréhensible, une mère aime son enfant plus que tout… Mais rassurez-vous, j’ai une alternative à vous proposer, et nous ne prendrons alors aucune vie, ni celle du bébé, ni la vôtre.

— Quelle solution ? s’étonna Andragathe.

— Je vous montre.

Il prit la main de la jeune domestique et l’amena près des soldats qui se tenaient dans la pièce. Il fit un signe de la tête et les brutes se jetèrent sur la traîtresse, lui arrachant ses vêtements et la plaquèrent sur la terre battue pour la déshonorer. Les pleurs, les cris, la sauvagerie de ces hommes indignes horrifièrent Laeté. Son esclave l’avait trahie, mais c’était une femme, comme elle. Le Palatin la força à regarder, la contraignant à ne pas détourner les yeux jusqu’à ce que tous les gardes eurent accompli leur sale besogne. Le Palatin se fit impitoyable et vulgaire ´ « Si la troupe vous baise cette nuit, personne ne croira que le bébé soit celui d’un empereur. Alors ? La fiole ou les soldats ? ». Les larmes indondaient les joues de Laeté, la mort de son bébé ou le déshonneur… comment pouvait-on être si odieux ?

Elle prit la fiole, ouvrit le bouchon en tremblant, hésita quelques instants. En buvant le silphium, elle perdrait instantanément son rang. Elle ne serait plus la mère d’un héritier de l’empire, juste la femme d’un empereur vaincu. L’odeur musquée du liquide n’annonçait rien de bon. Le goût piquant dans la gorge faillit la faire vomir. Elle but tout le contenu, les yeux mouillés, les jambes qui flageolaient, la tête qui tournait, elle se sentait comme Icare quand ses ailes de cire avaient fondu. Elle serra les poings, se réfugiant dans une sourde colère pour ne pas défaillir et rester digne malgré tout.

— Bien, nous avons résolu cette question. Soldats, ramassez-moi cette traînée par terre, un peu de respect pour l’impératrice, voyons !

Le maître des milices, le détestable courtisan, les soldats et la femme de chambre, tout ce petit monde quitta la maison, laissant Laeté toute seule, couchée sur le lit, se tenant le ventre ; s’apprêtant à passer une nuit de douleur, de culpabilité, et de tristesse.

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