1. La Salle des Suicides

4 minutes de lecture

19:11 Connexion à la Salle des Suicides...

19:11 DarkSoul est connectée.

19:11 Dextra13 est connectée.

19:11 Harvel est connecté.

19:11 Overdose est connectée.

19:12 Moi :

Bonsoir.

19:12 Dextra13 :

Salut !

19:13 Harvel :

Triste soirée, plutôt...

19:14 Dextra13 :

Prends une corde, Harvel, et serre-la aussi fort que tu le peux !

19:14 DarkSoul :

Bonsoir, Terra-nova. C'est la première fois qu'on te voit dans le coin.

19:16 Harvel :

Déjà tenté, la pendaison. Le lustre a plus morflé que moi. J'envisage un petit cocktail médicamenteux en fin de soirée...

19:16 Moi :

J'hésitais à venir depuis quelques jours, DarkSoul. Je ne sais pas si j'ai bien fait...

19:17 Dextra13 :

Harvel, tu m'en diras des nouvelles !

19:18 Harvel :

Si on à l'occasion de se reparler, ce sera une mauvaise nouvelle pour moi. Par contre, si je ne reviens pas...

19:18 DarkSoul :

Si tu es là, Terra-nova, tu as certainement tes raisons. S'il y a une raison, je crois que tu as bien fait de te connecter.

19:19 Moi :

Il y a une raison. Une mauvaise, bien sûr.

19:20 Overdose s'est déconnectée.

19:21 Harvel :

Tchao-adieu, les amis !

19:21 Harvel s'est déconnecté.

19:23 Dextra13 s'est déconnectée.

19:35 Moi :

Quelqu'un ?

19:41 DarkSoul :

Désolée, j'avais de la visite. Il n'y a plus que nous deux, on dirait.

19:41 Moi :

On dirait, oui. Quel genre de visite ?

19:42 DarkSoul :

Un rat. Il s'est faufilé chez moi.

19:42 Moi :

Burk !

19:42 DarkSoul :

Ça arrive souvent.

19:43 Moi :

Pourquoi tu n'appelles pas les services sanitaires ?

19:45 DarkSoul :

Parce que je suis pire que les rats.

19:46 Moi :

Tu vis dans les égouts ? Tu manges dans les poubelles ?

19:49 DarkSoul :

Je pourrais vivre dans les égouts, si c'était ma dernière chance de mettre de la distance entre le monde et moi. Faire les poubelles, ça m'arrive.

19:49 Moi :

Difficultés financières ?

19:51 DarkSoul :

Entre autre.

Mais revenons à toi. Qu'est-ce qui t'amène ?

19:53 Moi :

Ma vie minable.

19:54 DarkSoul :

Qu'est-ce qu tu reproches à ta vie ?

19:56 Moi :

Elle est creuse, elle est vide. Elle ne vaut pas la peine qu'on lutte pour la vivre.

19:57 DarkSoul :

Rien n'en vaut la peine ?

19:58 Moi :

Non, rien.

Je dois te laisser.

19:58 DarkSoul :

À une prochaine fois, peut-être.

Déconnexion...

Alors que la clé finissait de tourner dans la serrure, Garance s'empressa de fermer la fenêtre de conversation et rabaissa le clapet de son ordinateur portable qu'elle repoussa au bout de son bureau. Elle passa la main dans ses cheveux pour les remettre en place et se leva pour aller saluer Nate, qui venait de rentrer dans l'appartement. Nate était un grand type brun, avec des épaules carrées et une musculature relativement modeste. Il retira son manteau et rendit son salut à Terri, sans entrain.

— Bonne journée ? demanda-t-elle.

— Épuisante, soupira-t-il.

Il se laissa tomber dans le canapé et attrapa la télécommande. Il alluma la télévision. Garance ne s'attendait pas à ce qu'il lui retournât la question. Cela faisait longtemps que Nate ne s'intéressait plus à elle. Il ne lui demandait pas ce qu'elle faisait de ses journées, seule à l'appartement, parce qu'il savait précisément qu'elle ne faisait rien. Elle restait là à faire des allées et venues entre la télévision de son ordinateur. Parfois même elle se payait le luxe de s'installer dans le canapé pour discuter sur une chatroom, tout en suivant une série du coin de l'œil. Elle se faisait à manger, quand elle y pensait. Elle se lavait plusieurs fois par jour, parfois à seulement une ou deux heures d'intervalle, et sans en avoir nécessairement besoin. Elle nettoyait, aussi, tout ce qui pouvait lui tomber sous la main. Il lui arrivait même de s'acharner à astiquer de la vaisselle ou des sols déjà luisants de propreté. Trois années d'isolement l'avaient rendue complètement maniaque. Si elle sortait, ce n'était que pour faire des courses, lesquelles n'avaient rien à voir avec de distrayantes sorties shopping mais se limitaient exclusivement à l'achat du minimum vital. Et lorsqu'elle rentrait, ce n'était que pour retrouver cette solitude pesante. Dans le fond, elle préférait être seule. Parce que, quand Nate rentrait, l'atmosphère lui semblait plus lourde encore. Ils prétendaient être un couple, mais ils vivaient dans la même pièce en ne faisant que se croiser et c'est à peine s'ils s'adressaient encore un regard de temps à autre. Ils n'avaient plus rien à partager, plus rien à se dire. Leur relation n'était plus qu'une fade cohabitation. Garance ne pouvait pas se résoudre à chasser Nate, ni même à lui souhaiter du mal, parce qu'elle l'avait aimé un jour. Mais souvent, malgré elle, elle se mettait à espérer qu'il ne rentrerait pas au soir, qu'il se déciderait enfin à l'abandonner. Elle se surprenait à désirer qu'il lui fît du mal, pour avoir une bonne raison de le sortir de sa vie. Mais Nate revenait chaque soir, continuait de vivre dans la même pièce qu'elle sans lui accorder la moindre attention et demeurait si placide et indifférent qu'il ne risquait pas de lever la main sur elle. Depuis quelque temps, il ne demandait même plus à Garance comment elle allait, parce qu'il savait qu'elle allait mal ; il le voyait, et ne voulait surtout pas l'entendre.

— Je vais me préparer, lança Garance en quittant la pièce.

Elle se retira dans la chambre, ouvrit la penderie et se saisit de son uniforme : une jupe bleue marine, un chemisier blanc et un foulard assorti à son bas. Elle poussa la porte de la salle de bain, se posta devant le miroir et entreprit de remettre un peu d'ordre dans ses cheveux. Châtains foncés, coupés en carré plongeant, parfaitement raides. Après quoi, elle enduisit son visage de fond de teint, afin de masquer les cernes qui se creusaient sur ses joues rondes, appliqua quelques traits de crayon noir autour de ses yeux en amandes et recouvrit ses lèvres fines d'une légère couche d'un rouge à lèvres mate. Une fois prête, elle quitta l'appartement pour se rendre au travail.

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