Le vaisseau qui leur permet de se rendre sur Terre ne possède pas les qualités de Mahertis : vétuste, particulièrement étroit et visiblement uniquement prévu pour effectuer une désorbitation, entrer dans l'atmosphère et se poser. En fait, il rappelle furieusement à la cyborg les capsules de sauvetage servant à l'évacuation des stations orbitales ; encore que ces dernières sont généralement utilisées pour se placer sur une autre orbite en attendant les secours.

Le module habité dispose d'une dizaine de sièges et l'appareillage de bord rappelle l'informatique du début du siècle, pas de quoi embarquer une IA. Tsadir, reconsidérant Ney soigneusement sanglée et blottie contre son sac à dos, se dit qu'il y a certainement bien plus de puissance de calcul dans la chimère que dans l'ensemble du vaisseau. Mahertis leur manquera.

Avec eux, sept personnes, le pilote – dont l'utilité se révélera très relative – et six soldats, en combinaisons spatiales, revenant sur Terre après plusieurs mois passés en orbite. Ney relève parmi leurs discussions une angoisse certaine vis-à-vis des effets de plusieurs mois en apesanteur. Il semble clair qu'avec les restrictions sur la technologie et plus particulièrement l'intelligence artificielle, les nano-machines et les sciences organiques, l'humanité vit encore avec ses pires ennemis que sont la dépendance à des enveloppes qu'ils ne peuvent complètement réparer et finalement la mort. Dans les colonies, un artiste de Suan avait exposé une reproduction traditionnelle de la mort, pendue, à l'entrée d'Ombrenade. Quand on arrivait depuis le spatioport, elle apparaissait sur la droite avec un tag RA qui disait sommairement : « L'ennemi qui se pensait invincible a été vaincu, que cela serve aux autres ! » La sculpture fut retirée plus tard car elle n'avait pas été conçue pour survivre dans de telles conditions, mais elle fut finalement réintégrée sur de nombreux canaux de réalité augmentée.

Alors que Ney continue à transmettre par liaison SolNet ses anecdotes, le vaisseau se désarrime et commence à dériver imperceptiblement dans le vide spatial. Alors que tous, sauf le pilote placé plus haut dans une alcôve réservée, sont assis faces à faces en cercle faisant dos à la paroi conique de l'appareil, une lumière vive pénètre dans l'habitacle à travers les 4 hublots, illuminant d'une lumière crue les passagers.

La capsule commence à pivoter sous l'influence des propulseurs de contrôle d'attitude et après une dizaine de minute de calme, le moteur principal s'allume et une poussée formidable plaque tous les occupant au fond de leur sièges inclinés. L'accélération reste toutefois largement supportable, et une minute plus tard, l'apesanteur reprend ses droits tandis que le pilote annonce que la manœuvre de désorbitation s'est correctement déroulée. Les passagers reprennent leurs discussions.

Alors que les deux solaires contemplent le spectacle des nuages tourbillonnants sur le fond bleu de l'océan atlantique, les premières secousses de la rentrée se font sentir. Quelques flammes rougeâtres, presque imperceptibles passent devant les hublots trahissant le travail de l'atmosphère dans laquelle vaisseau plonge à une vitesse de plusieurs kilomètres par secondes. À nouveau, les passagers ressentent l'accélération qui se fait de plus en plus forte de même que les vibrations dans tout l'appareil. Les flammes deviennent bien plus visible : alors que l'accéléromètre de Ney mesure une gravité de six “g”, certains occupants peinent à respirer, le souffle coupé.

Au fur et à mesure, le son sifflant et assourdissant de l'air circulant le long de la surface de l'appareil résonne dans l'espace habité. Enfin l'accélération se fait moins forte et au bout de quelques minutes, un choc secoue la nacelle : les parachutes viennent de se déployer. À bord, la gravité finit par retrouver un niveau raisonnable avant de se stabiliser au “g” symbolique. Une dernière, mais puissante secousse accompagnée d'un bruit d'impact marque la fin du voyage : le vaisseau a atterri et au milieu du calme naissant, le chant des oiseaux se fait entendre.

Nez détache son harnais et se tourne vers Tsadir, procédant à la même manœuvre, et annonce avec une voix enjouée : « Bienvenue sur Terre ! »