Le réveil
J'ouvris les yeux en entendant un bip. J'étais couchée sur un lit, et reliée à des machines, dans ce qui ressemblait à une chambre d'hôpital, une salle blanche, aseptisée et impersonnelle. Je me redressais et je fus aussitôt prise de vertiges. Ma bouche était très sèche et ma gorge me piquait un peu.
- Que m'est-il arrivé ? me demandais-je.
Une femme aux allures de grand-mère entra dans la pièce. Elle me sourit, ce qui me rassura un peu.
- Enfin, vous êtes réveillée, dit-elle.
- Où suis-je ? Et depuis quand suis-je ici ?
J'eus du mal à parler à cause de ma bouche pâteuse.
Comme si elle était dotée d'un sixième sens, elle sortit d'un petit buffet, une petite bouteille d'eau qu'elle me tendit. Je la lui arrachais presque des mains et je bus avidement comme si je revenais d'un désert.
- Vous êtes à l'hôpital St Bonaventure depuis une semaine. Vous avez été retrouvée inconsciente dans une ruelle avec une légère commotion cérébrale.
Tout en parlant, elle surveillait mes fonctions vitales et sembla satisfaite du résultat. Elle me fit ensuite un examen sommaire pour vérifier mes fonctions motrices. Puis elle approcha une chaise de mon lit et s'assit.
- Je suis le Dr Bouka, dit-elle. Pouvez-vous me révéler votre identité ?
- Je m'appelle Rose Landou et j'ai 22 ans.
- Y a-t-il une personne que vous aimeriez prévenir de votre présence ici ?
Je lui donnais les coordonnées de ma mère. Telle que je la connaissais, elle devait être très inquiète. J'adorais ma mère, qui m'a élevée toute seule, même si elle était envahissante par moment et qu'elle avait le chic pour me rendre folle.
Après m'avoir rassurée sur mon état de santé, le Dr Bouka m'informa qu'une infirmière viendrait me faire des prélèvements et que ma mère serait prévenue de mon hospitalisation, avant de prendre congé. J'essayais de me remémorer les événements.
Le samedi passé, j'étais aux anges. Matt, mon premier béguin, m'avait invitée à la fête foraine. Bon ce n'était pas le lieu le plus romantique du monde, et il n'avait pas non plus précisé s'il s'agissait d'un rendez-vous galant. Mais j'étais toute excitée et ma mère l'était encore plus que moi. Ce beau garçon avait tout pour plaire. Son seul défaut était sa bande de crétins ainsi que son meilleur ami Jordan, encore plus abruti que les autres.
Il m'avait invitée sur mon lieu de travail, à la bibliothèque municipale. Il y venait souvent. Tout comme moi et contrairement à ses amis, il adorait lire. Il avait emprunté Le voyage fantastique d'Isaac Asimov.
- Excellent choix, lui ai-je dit, en enregistrant son emprunt.
- Sais-tu que la fête foraine est de retour ? m'a-t-il demandé.
- Oui.
- ça te dirais d'y aller avec moi ce samedi ? m'a-t-il proposé avec un sourire éblouissant.
Si je ne l'avais pas vu bouger ses lèvres, je n'aurais pas cru qu'il avait prononcé ces mots. J'étais abasourdie. Enfin, il s'agissait de Matt, un garçon qui pouvait sortir avec les plus belles filles. Et c'est moi qu'il invitait ? Une fille au physique quelconque, complètement gauche, que tout le monde trouvait bizarre.
- Oui, ai-je répondit dans un couinement.
- Ok. On se retrouve à l'entrée à 18 heures, a-t-il dit, en m'envoyant un sourire capable de réveiller un mort.
J'étais toujours pensive plusieurs minutes après son départ, avant d'être ramenée à la réalité par une personne venue rendre un livre. Décidément, il n'y a rien de mieux que le travail pour vous ramener les pieds sur terre.
J'ai essayé tous les vêtements de ma maigre garde-robe. Il faut dire que je ne suis pas une fille obsédée par la mode. J'ai finalement opté pour une robe bleue qui mettait ma silhouette en valeur et des compensées noirs qui ne me faisaient pas trop souffrir. J'ai même fait l'effort de me maquiller et d'attacher mes dreadlocks. Pour une fois, je n'avais pas oublié de mettre des boucles d'oreilles et du parfum.
J'étais arrivée à la fête foraine avec une bonne trentaine de minutes d'avance. J'ai attendu Matt debout pendant une heure. Mes pieds ont commencé à me faire souffrir et j'ai cru qu'il m'avait posé un lapin. Au moment où je commençais à désespérer, il est enfin arrivé. Il portait un simple jean avec une chemise bleue à manches courtes sur un T-shirt blanc. N'importe quel autre garçon aurait été terne accoutré ainsi. Mais pas Matt. Il était l'une des rares personnes qui restaient séduisantes quelle que soit la situation.
- Bonsoir, a-t-il dit, en me faisant une bise sur la joue.
Je lui ai répondu machinalement. J'avais envie de lui dire ma façon de penser sur son retard. Mais comme d'habitude, un simple sourire de sa part a suffi pour me faire tout oublier. Je lui ai souri en retour.
Nous avons passé un bon moment, ou du moins j'ai passé un bon moment. Nous avons essayé plusieurs manèges. Je me suis même risquée sur la grande roue. Matt a gagné un ours en peluche à un stand de tir avant de me l'offrir. Nous avons observé d'autres animations en léchant des esquimaux.
Vers 22 heures, nous nous sommes dirigés vers la sortie. Il s'est tourné vers moi.
- J'ai passé une excellente soirée, a-t-il dit.
- Moi aussi.
- J'aimerais qu'on remette ça un de ces jours.
A ce moment-là, j'ai cru que mon cœur allait s'arrêter de battre.
- Ça me plairait aussi, ai-je répondu.
Nous nous sommes davantage rapprochés. Au moment où il allait m'embrasser, des rires ont retenti.
- Hou ! quel beau couple !
Ces paroles ont suffi à rompre la magie du moment. J'ai fait volte-face. Jordan et sa troupe nous regardaient d'un air narquois. Que faisaient-ils là ? De toute évidence Matt pensait la même chose.
- Que faites-vous ici ? leur a-t-il demandé.
- Nous sommes venus nous amuser tout comme vous, a répondu l'intéressé, qui semblait avoir endossé le rôle de porte-parole. Apparemment, nous avons bien fait. Rose, la simple présence de Matt te rend magnifique. Tu devrais passer plus de temps avec lui.
Il y eut d'autres rires.
- Laisse la tranquille Jordan, a répondu Matt, furieux.
Jordan l'a regardé d'un air surpris.
- J'ignorais qu'elle te plaisait autant man. Si je l'avais su, je t'aurais mis au défi de la séduire beaucoup plus tôt, a-t-il dit en souriant.
Ces mots ont mis plusieurs minutes à atteindre mon cerveau. Leur signification m'a laissé pantoise. Je me suis tournée vers Matt.
-C'est vrai ce qu'il dit ? Tu m'as invitée suite à un défi ?
Il n'a pas répondu. Mais son regard suffisait à le trahir. J'ai cru que j'allais mourir de honte et de chagrin. Évidemment, j'aurais dû m'en douter. Malgré ma grande fureur, je n'ai pas trouvé de mots assez forts pour les lui cracher à la figure. Ça a toujours été mon problème. Je ne trouve les mots adéquats à répliquer que plus de deux jours après l'affront. Je suis donc restée debout, les larmes aux yeux sans piper un seul mot comme une pauvre cruche. Matt a essayé d'arranger son cas.
- Je suis vraiment désolé. Il est vrai que je suis venu vers toi sur un défi. Mais je t'assure, j'ai passé une excellente soirée et je veux qu'on se revoie. Je t'en prie, pardonne-moi.
Mais je ne voulais plus écouter ses mensonges. j'ai alors tourné les talons et je me suis enfuie. Je savais que cette histoire allait faire le tour de notre quartier. Une fois de plus, j'étais humiliée et par la même bande de surcroît. Comme j'avais été stupide ! J'ai toujours traité Matt indépendamment de sa clique, malgré tout ce que ses amis disaient sur moi, alors qu'il en était l'un des chefs.
Ne voulant pas rentrer tout de suite à la maison, j'ai déambulé au hasard. J'ai séché mes larmes, estimant que ces tarés ne les méritaient pas. Mes pas m'ont conduit jusqu'à une boutique que j'avais remarqué deux ans plus tôt, et que j'avais toujours regardé avec mépris.
C'était un magasin complètement décrépit, dont la peinture blanche s'écaillait par endroit, qui vendait des articles d'arts occultes. L'enseigne accrochée au-dessus du seuil semblait avoir été récupéré dans un casse. On pouvait lire dessus : Kara, la sorcière qui exauce tous vos souhaits. Tous ces détails semblaient avoir pour but d'éloigner les personnes sensées. En temps normal, je ne me serais pas arrêtée. Mais ce jour-là, je voulais croire, ne serait-ce qu'un instant, qu'un simple coup de baguette magique pouvait changer ma vie. Alors, je suis entrée.
Une infirmière poussant un chariot, sur lequel étaient posés des seringues et des flacons, entra et interrompit mes pensées et me ramena à l'instant présent.
- Bonjour, dit-elle en souriant. Je viens vous faire quelques prélèvements.
Je n'aimais pas beaucoup les piqûres. Alors je détournais les yeux. Je sentis qu'on attachait un garrot à mon bras gauche, qu'on frottait du coton mouillé sur ma peau. Je sentis une légère brûlure lorsqu'elle me piqua. Je fus soulagée lorsqu'elle retira l'aiguille et posa un sparadrap sur mon avant-bras.
La porte s'ouvrit à nouveau et ma mère entra.
- Bonjour, dit-elle. On m'a dit que ma fille était dans cette chambre.
Je lâchais un soupir. Cela faisait plusieurs années que je tentais de convaincre ma mère de porter des lunettes, ce qu'elle a toujours refusé de faire.
- Pouvez-vous nous laisser seules, s'il vous plaît ? dis-je à l'infirmière.
Elle sortit. Ma mère s'approcha de moi et me regarda d'un air étrange.
- C'est dingue ! Votre voix est semblable à celle de ma fille.
Je commençais sérieusement à m'inquiéter. C'était une chose de ne pas me reconnaitre de loin. Mais là, elle était toute proche.
- Mama, dis-je doucement. C'est moi Rose, ta fifille adorée.
- Je ne sais pas qui vous êtes ni d'où vous me connaissez. Mais je vous rappelle que l'usurpation d'identité est un délit. Alors, vous feriez mieux d'arrêter ou j'appelle la police.
Je scrutais ma mère. Elle était propre, avec des vêtements assortis, et était bien coiffée. Bref, elle n'avait pas l'air d'une folle. Une idée me vint soudain à l'esprit.
- As-tu une photo de ta fille ?
Elle me regarda comme si c'était moi la folle. Elle sortit tout de même un cliché de son portefeuille qu'elle me tendit. Sur le portrait, je vis une fille joyeuse debout sur une plage.
- Cette photographie a été prise le jour de mon anniversaire. Nous étions allées à un concert puis à la plage, dis-je.
- Comment savez-vous tout cela ? Qui êtes-vous ? Et qu'avez-vous fait de ma fille ?
Connaissant ma mère, je savais qu'elle allait bientôt se mettre à hurler. Alors je lui montrais la photo.
- Regarde l'image et observe mon visage. Tu vois. Nous sommes la seule et même personne.
D'un air exaspéré, ma mère farfouilla dans son sac et en sortit un miroir de poche. Sans dire un mot, elle me le tendit. Quand mes yeux se posèrent sur la photographie, je me mis à hurler. Aucun doute possible, le reflet que me renvoyait la glace n'était pas mon visage.
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