JE RENAIS EN CYGNE
Je me frottais les yeux, aucun changement. Je me pinçais l'avant-bras gauche. Une sensation douloureuse me convainquit que je ne rêvais pas. J'avais l'impression d'avoir bu la fameuse potion "heureux pour toujours" de Marraine la bonne fée. Des yeux en amande, des pommettes hautes, un petit nez droit, des lèvres pulpeuses, un magnifique teint d'ébène, une véritable beauté me fixait d'un air attrayant. On aurait dit qu'une personne avait matérialisé mon idéal esthétique d'un coup de baguette magique. Je passais mes doigts sur mes lèvres, mon reflet fit de même. Je me tournais vers ma mère. Elle avait l'air de quelqu'un qui venait de prouver la théorie du siècle.
- Mama, je te jure que c'est bien moi. Je n'ai aucune idée de ce qui se passe. Mama, je t'en supplie, il faut que tu me crois. Tu as bien dis que j'ai la voix de ta fille.
- Ça suffit. Vous êtes de toute évidence folle à lier, mais vous savez trop de choses sur ma fille pour que ce soit anodin. Alors vous allez me dire ce que vous savez sur sa disparition ou j'appelle la police, dit-elle.
Je connaissais parfaitement ma mère. Elle n'était pas du genre à faire des menaces en l'air. Si je n'arrivais pas à la convaincre, je risquerais de me retrouver dans une cellule de prison.
- Mama, lui dis-je. J'ai une tache de naissance sur l'épaule droite tout comme toi.
Tout en parlant, je me tournais à moitié pour la lui montrer et je poursuivais.
- J'ai une cicatrice depuis mes six ans après m'être brûlé au poignet, en t'aidant à faire du barbecue. Je suis allergique aux épinards. Ma série préférée est Grimm et mon livre préféré, c'est la foi des réprouvés de Terry Goodkind.
- Tu aurais très bien pu extorquer ces informations à ma fille. De plus, Il est très facile, à notre époque, de faire des tatouages qui imitent des taches de naissance et des cicatrices. Quant à la voix, tu as très bien pu t'entrainer à imiter celle de ma chère Rose. Tout cela ne veut absolument rien dire.
- Mama, dis-je. Lorsque papa nous a quitté, j'étais complètement dévastée. J'avais l'impression de me retrouver seule au monde. Je ne voulais même plus sortir de ma chambre . Tu es venue me voir. Tu t'es assise sur mon lit et tu m'as dit mot pour mot ceci : " peu importe que ton père soit parti. Je serai toujours là pour toi ma chérie. À partir de maintenant, nous serons tout l'une pour l'autre et quelles que soient les circonstances, tu pourras toujours compter sur moi."
Ses yeux rencontrèrent enfin les miens.
- Tu connais ta fille. Tu sais très bien qu'elle n'aurait jamais confié des choses aussi intimes à qui que ce soit.
Elle vint s'asseoir sur mon lit. J'eus l'impression de l'avoir convaincue à au moins 50%.
- Rose, c'est bien toi ? Pourquoi t'es-tu faite opérer sans m'en parler ?
Je me mis à triturer mes draps.
- Je ne me suis pas faite opérer. Je n'ai pas pu subir une chirurgie esthétique la semaine passée. Sinon, je serais encore en convalescence.
Ma mère haussa un sourcil. Je me mis à bafouiller.
- Heu, je veux dire que j'aurais été en suite post-opératoire et mon visage serait encore couvert de bandages.
Mama me regarda avec une expression que je ne lui avais jamais vu. Pour la première fois, elle me parut vieille.
- J'étais tellement inquiète lorsque tu as disparu. La bande de Matt a été interrogé par la police. Après leurs révélations, j'ai eu si peur que tu n'aies commis l'irréparable. Je sais que tu tenais beaucoup à ce garçon.
- Mama, dis-je en lui prenant les mains. Jamais je ne ferai une chose pareille, peu importe mes problèmes.
Elle me sourit.
- Que s'est-il passé après ce malheureux épisode ?
- J'ai marché au hasard puis je suis entrée dans la boutique de Kara la sorcière.
- Tu es entrée dans le bric-à-brac de cette charlatane ? Enfin Rose, cette femme ne raconte aux gens que ce qu'ils veulent entendre.
- Je le sais mama. Mais, je ne sais pas. Je voulais tellement oublier ce qui s'était passé. Pendant quelques instants, je voulais penser à autre chose.
- Et après ? me demanda mama.
- C'est très flou. J'ai du mal à me rappeller.
- Rose, me dit ma mère. Mon cœur me dit que c'est bien toi. Mais mon cerveau me dit le contraire. C'est vraiment déroutant.
- Je t'assure que c'est bien moi. Je sais que tu récites le psaume 23 chaque matin et chaque soir, que tu allumes une bougie devant les portes pour éloigner les mauvais esprits. Je sais que tu détestes les mensonges. Je sais que tu me trouves trop coincée et que tu me pousses à sortir faire la fête avec les jeunes de mon âge.
Ma mère poussa un soupir.
- Que va-t-on dire aux gens quand tu sortiras d'ici ? me demanda-t-elle.
- Rien, lui dis-je. Je n'ai aucune envie de devenir une bête de foire.
Je repris le miroir pour recontempler mon nouveau visage.
- Que dira-t-on alors ?
Je me tournais vers ma mère.
- Je serai Rosilia, une cousine lointaine venue te réconforter en cette période difficile.
Cela me parut un bon plan. Après tout, très peu de personnes savaient que c'était mon véritable prénom.
- Comment t'es-tu retrouvée ici ?
- Apparemment, on m'a retrouvée inconsciente dans une ruelle. J'avais une légère commotion cérébrale.
- Tu as un problème au cerveau ? demanda ma mère complètement paniquée. Auras-tu des séquelles ?
Je retins à grand peine un soupir d'exaspération. Ma mère avait la manie de tout exagérer.
- Mama, je vais bien. Il n'y aura aucune conséquence. Le médecin me l'a assuré.
- Je suis si soulagée que tu sois saine et sauve.
En disant cela, elle me serra dans ses bras. Son étreinte était chaleureuse et apaisante. Je sentis le noeud, au niveau de mon estomac, se relâcher un peu.
- Quand sortiras-tu de l'hosto ? me demanda ma mère.
- Je l'ignore.
Même si je ne l'avais pas totalement convaincue, mama avait au moins décidé de me donner le bénéfice du doute. Dès cet instant, elle redevint aussi chaleureuse qu'avant. Nous recommençames à discuter comme auparavant. Lorsqu'elle me quitta, mon moral était de nouveau au beau fixe.
****
Trois jours plus tard, j'attendais avec impatience mon autorisation de sortie, que m'a mère était allée chercher. Le Dr Bouka avait enfin cédé à mes sollicitations à propos de ma sortie. Avant de donner son accord, elle me fit d'abord subir une nouvelle séance d'examens physiques, un véritable supplice !
Je ne rentrais pas les mains vides. J'avais des résultats d'examens médicaux, dont je ne savais que faire, ainsi que des ordonnances d'antalgiques. Le médecin m'avait exhorté à les prendre en cas de douleur et d'appeler les urgences en cas de malaise.
Mon inquiétude allait crescendo à cause de la facture astronomique que nous avions reçue. Je me demandais comment nous allions faire pour la payer. Ma mère était vendeuse dans une boutique de chaussures. Son maigre salaire et mes maigres économies n'allaient pas pouvoir suivre. Notre situation financière, déjà en berne, ne risquait pas de s'améliorer.
Un autre sujet d'inquiétude me taraudait. Je n'avais plus d'emploi. En tant que Rosilia, je ne pouvais plus retourner travailler à la bibliothèque, sauf si je postulais à mon ancien poste. Après tout, Rose avait disparu et une place devrait normalement être vacante.
Ma mère entra dans la pièce, interrompant mes pensées moroses. Elle brandit une liasse de papiers.
- Ça y est ! Tu es libre.
- Houra ! criais-je en me levant.
- Tu ne devineras jamais qui m'a appelée quand j'étais dans le bureau du Dr Bouka.
- Qui était-ce ?
- Matt.
- Que voulait-il ?
- Il voulait demander de tes nouvelles. Il le fait tous les jours.
Je ne puis m'empêcher de faire la moue. J'étais toujours furieuse contre ce crétin.
- Il a beaucoup changé depuis ta disparition, dit mama comme si elle avait lu dans mes pensées. Il se sent très coupable d'avoir participé à cette mascarade. Il m'a assuré qu'il ne parle plus à ses amis.
- Il n'a rien perdu au change, dis-je toujours rancunière. Cette maudite bande avait une mauvaise influence sur lui.
- Ça c'est vrai, surenchérit ma mère. Il a même participé aux battues et placardé des affiches de toi dans toute la ville pour te retrouver .
Je ne sus que penser de ces informations. Matt pensait-il vraiment que cela pouvait effacer ce qu'il avait fait ? Et moi, avais-je envie de lui pardonner ? Mes sentiments étaient confus à ce sujet.
Mama appela un taxi pour rentrer à la maison. J'avais tenté de l'en dissuader, mais elle avait été inflexible. J'estimais que c'était inutile vu l'état de nos finances.
- Mama, demandais-je pendant que le taxi roulait, comment allons-nous faire pour payer l'hôpital ?
- Ne t'occupes pas de cela. Reposes-toi et concentres-toi sur ta convalescence.
- Mais mama, comment veux-tu que je ne m'inquiète pas ? À moins que tu aies trouvé, par un heureux hasard, un trésor, dis-je d'un air sarcastique.
Mon sarcasme passa par dessus sa tête. C'est triste à dire, mais ma mère n'avait aucun sens de l'humour.
- J'ai parlé avec l'assistant social de l'hosto. Il nous donne un délai de trois mois pour régler notre note. Nous avons le temps nécessaire pour le faire.
- Trois mois passent très vite.
- Je sais. Mais si nous nous organisons correctement, nous aurons une chance de nous en sortir.
Elle m'obligea à tourner ma tête vers elle. Nos yeux se croisèrent.
- Tu t'inquiètes beaucoup trop. La vie t'offre une nouvelle chance. Tu n'arrêtais pas de dire que tu détestais l'ancienne. À présent tu peux repartir à zéro. Le choix ne dépend que de toi.
Ma mère avait raison. Une nouvelle vie, de nouvelles portes s'ouvraient à moi. Ce qui arriverait ne dépendrait que de moi. En tout cas, j'étais décidée à faire tout mon possible pour ne rien gâcher.
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