PLENITUDE

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Comme j'apréhendai de mener une vie oisive, dont la principale occupation serait de me tourner les pouces chez moi, je décidai de repostuler à mon ancien poste. Grâce à ma mère, je savais qu'un poste intérimaire de commis de bibliothèque était à pourvoir. Il ne fallait surtout pas qu'il m'échappe.

Pour mon entretien d'embauche, je me décidai pour une tenue assez décontractée, un dashiki sans ornement, sachant que le directeur de la bibliothèque était un type cool. Mama me fit des compliments d'un air sincère, ce qui ne me laissa pas indifférente. Les regards appréciateurs des passants achevèrent de me mettre de bonne humeur. Moi, qui habituellement n'aimait pas être au centre de l'attention, j'étais agréablement surprise.

La bibliothèque municipale était située au coeur du quartier. Je m'y rendis donc à pied. Le trajet dura à peine dix minutes. Tout au long du chemin, je vis mes portraits placardés sur plusieurs surfaces, avec l'inscription PORTÉE DISPARUE au-dessus de la note suivante : Aidez-nous à retrouver notre fille s'il vous plait. Je ne savais toujours pas comment réagir à cette situation. Peut-on être considérée comme disparue si votre entourage ne peut plus vous reconnaître ?

Tout comme les autres bâtiments publiques de la ville, la bibliothèque municipale était en briques rouges. Il avait été construit, quatre ans plus tôt, grâce à un riche mécène dans l'objectif de sortir les jeunes de la rue, ce qui n'était pas une franche réussite. Dès sa construction, je m'étais investie dans le projet. J'étais une grande passionnée de livres et je voulais partager cette passion avec des enfants, pour les instruire à la culture littéraire. Raison pour laquelle je travaillais à la section jeunesse.

J'avais laissé tomber mes études de médecine, ce que mama avait désapprouvé. Ce fut la décision la plus difficile que j'ai eu à prendre dans ma vie parce que je ne voulais pas la décevoir. Comme plusieurs membres de ma famille, elle pensait que c'était du véritable gâchis qu'une personne aussi intelligente que moi s'abaisse à être simple comis de bibliothèque, comme si faire des études longues et prestigieuses était forcément synonyme de réussite sociale.

Je me présentai à la réceptionniste dès mon arrivée. Elle me demanda de patienter dans la salle d'attente. En attentant mon entretien, je m'imprégnai de l'agitation habituelle de la salle d'attente qui contrastait fortement avec le silence monacale des salles de lecture. La bibliothèque animait aussi des activités artistiques telles que le théâtre, la dance, le chant, la peinture et le cinéma. Des enfants arborant des costumes de dance, et d'autres portant des carnets de dessins se dirigeaient vers leurs activités respectives en papotant gaîment. Mais l'activité la plus populaire était sans aucun doute le cyber-café, pris d'assaut par des jeunes très assidus.

L'arrivée d'un petit homme ventripotent, au front dégarni, détourna mon attention.

  • Bonjour, je suis Joseph Mbaki le directeur. Vous devez être Rosilia Bouesso ? dit-il en me tendant la main.

J'avais opté pour le nom de jeune fille de ma mère. Je me levai pour lui serrer la main.

  • Enchantée.

Il me fit signe de le suivre dans son bureau. Celui-ci était situé au deuxième étage. C'était une minuscule pièce encombrée de documents. Il était de notoriété publique que le directeur abhorrait la technologie. L'ordinateur, posé sur son bureau, servait quasiment comme objet décoratif. Je me demandais toujours pourquoi il s'obstinait à le garder s'il ne s'en servait même pas. Il me fit signe de prendre siège.

  • Comme vous le savez sûrement, une de nos commis de bibliothèque a disparu et nous avons besoin d'une remplaçante jusqu'à son retour.

C'était tellement étrange de s'entendre dire qu'on a disparu que je ne sus pas quoi répondre. Je fus tout même contente d'apprendre qu'il espérait mon retour. Mr Mbaki avait toujours eu une attitude filiale à mon encontre. J'opinais de la tête, la gorge trop nouée pour prononcer un mot. Comme d'habitude, il alla droit au but.

  • Votre travail - si vous l'obtenez - consistera à accueillir les usagers, à les renseigner en cas de besoin, à classer et à trier des documents. Vous aurez aussi à vous occuper des emprunts. Vous aurez une période d'essai de deux semaines. Avez-vous des questions ? dit-il d'une seule traite et sans reprendre son souffle.

C'était l'une des raisons pour lesquelles je m'entendais aussi bien avec lui. Il ne perdait pas son temps avec des discours creux et vides.

  • Je n'en ai aucune.

A ma grande surprise, il ne me posa pas d'autres questions. Il devait être à court d'options. Le métier de commis de bibliothèque n'était pas très prisé. Pour beaucoup de personnes, il était synonyme d'ennui. Très peu de personnes avaient suffisamment de patience pour rester assis dans une pièce à inventorier des livres.

Il me présenta à toute l'équipe. Je fis semblant de ne pas les connaître. Il me fit une visite guidée des locaux et m'instruisit sur mon travail. Croyant que j'étais anxieuse, il me prit plusieurs fois la main pour me rassurer, et m'assura que je pourrais aller le voir dans son bureau sous n'importe quel prétexte. Quel patron sympathique !

***********

Pendant une semaine, ma vie fut une véritable félicité, même si elle pouvait s'avérer comme une morne routine aux yeux de certaines personnes. Pour la première fois de ma vie, je me sentais bien dans ma peau.

Le matin, j'allais travailler à la bibliothèque. J'en profitais pour lire pendant mes temps morts. La simple odeur des livres suffisait à m'emplir de bonheur.

J'occupais mes après-midi différemment.

Parfois, je faisais de la marche à pied. C'était la saison des papillons, une de mes préférées. Les lépidoptères voletaient par ci, par là en agitant leurs ailes délicates qui se brillaient en une explosion de couleurs kaléidoscopiques, ravissant les regards. Leurs motifs hypnotiques conviaient à s'y noyer dans l'expectative d'un rêve éveillé. Je restais immobile, assise sur un banc dans un jardin public, espérant qu'ils viennent se poser sur mon corps ou j'observais des enfants leur courir après, regrettant presque de ne pas pouvoir le faire à mon âge.

Des fois, je restais dans le jardin pour observer les nuages. Ça peut sembler futile à certains. Mais pour une adepte de la paréidolie, c'est le paradis. Je comprenais que ce soit l'une des activités préférées de Shikamaru Nara. Sous mes yeux, des tableaux éphémères bicolores, bleu et blanc, se peignaient au gré du vent. Je m'amusais à deviner leurs formes, un cheval en train de galoper, une personne en train de faire de la gymnastique, la lampe magique d'Aladin, un pirate, un cygne, des enfants en train de faire la ronde, etc. Mon imagination n'avait pas de limites. Une fois, je crus même voir un cœur, ce que je pris pour un bon présage.

Le soir, lorsque le temps le permettait, je contemplais les étoiles, ces fantômes du passé, témoins de nombreux événements anciens. Je tentais de repérer les constellations. La voûte céleste, d'un noir d'encre, accentuait le scintillement des astres. J'espérais toujours que mes soirées se termineraient en beauté par le passage d'une étoile filante, ou encore mieux par celui d'une pluie d'étoiles filantes, comme une bénédiction de l'univers et un gage d'une destiné prospère.

Ma mère me poussait toujours à sortir. Je ne me sentais pas encore prête à le faire. Je ne voulais pas quitter ma bulle de tranquillité et de sécurité, craignant qu'elle n'éclate si je sortais de ma zone de confort.

A ce moment, je pensais réellement que mon futur serait un long fleuve de quiétude et de béatitude. Mais comme d'habitude, l'avenir allait se faire un malin plaisir de me contredire.

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