Prologue : Les sept familles

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Quand j’étais petit, mon père disait avoir peu d’intérêt pour la télévision. Pourtant, il s’enfonçait tous les jours dans son fauteuil, une tasse de café sur le rebord de la petite table du salon, gardant un contrôle permanent sur la télécommande. Il se moquait de tout, mais plus particulièrement des hommes politiques. Il se plaignait du gouvernement et de leurs mauvaises décisions. Il avait pourtant voté pour celui en place. Bien sûr, il s'indignait de ce qu’ils pouvaient gagner “à rien foutre” tandis que maman peinait avec le nettoyage, la lessive et les repas.

Mon père était le genre d’homme qui faisait grève quand tout le monde s’y mettait et retournait au boulot au moindre problème. Il pestait contre les vagues d’immigrations sans penser à ce qui pourrait être mis en place. Il critiquait la génération future qu'il ne voyait que comme une "bande d'incapables". Bref, en bon père de famille moyenne, il restait devant la télévision la plupart de son temps à penser que le monde allait mal.

Il ne fallait surtout pas que je vienne le déranger avec mes questions « sans queue ni tête », auquel cas il se fâchait immédiatement, me menaçant avec la télécommande. Je courais aussitôt me réfugier dans les jupons de ma mère pour éviter de recevoir une claque.


Malgré ce manque d'intérêt, je me souviens clairement du jour où j'aperçus un éclat dans les yeux de mon père. Ce même jour où j’avais pointé du doigt les personnes bien habillées sur l’écran du téléviseur. À ce même moment, je vis ma mère se figer sur place et se pourvoir d'un drôle de sourire.

J’avais sept ans lorsque mon père bondit pour la première fois à mes côtés dans le but de répondre à une de mes questions. De ses grands yeux ronds, pétillants, qui me fixaient alors, je le trouvai effrayant. Il me répondit que ces personnes, si bien habillées dans leurs costumes et robes de haute couture, faisaient partie de ce qu’on appelle les : « Seven family Richess ».

Il m’expliqua le plus simplement possible qu’il s’agissait des sept familles les plus riches du pays. Celles-ci s’étaient exceptionnellement regroupées en ce jour pour une remise de prix, dont j'oubliai le nom à la seconde où il dit que leurs fortunes se comptaient par milliards. Des billets à foison se dessinaient dans mes yeux d'enfants et je comprenais mieux pourquoi tout chez eux me semblait être beau. Leur façon de s'habiller, des bijoux à ne plus compter sur les femmes et cette manière de se tenir au milieu d'un public élégant qui sortait de voitures étincelantes : “La grande société”, soufflait avec admiration mon père.

Lorsque je lui demandai pourquoi ils étaient si riches, et surtout comment on pouvait le devenir, je ne compris pas très bien sa réponse. Il parlait de grandes sociétés, de marques que je ne connaissais pas. Il y avait tant de vocabulaire qui m’échappait : création, investissement, chaîne hôtelière, etc. Bref, du charabia d'adultes.


Il y a une chose que je compris très clairement, qu’il s’agisse de mes parents ou des politiques, tout le monde semblait les respecter juste parce qu’ils étaient riches. Je remarquai leur influence lorsqu'ils passèrent devant les autres invités qui les saluaient directement avec vigueur et respect. J’appris ensuite que plus l’une de ces sept personnes était riche et plus elle avait de l’importance, créant ainsi une hiérarchie entre eux.

Il me restait une question. Je ne comprenais pas pourquoi un homme comme mon père, qui se moquait de tout, s'intéresserait à ces fameux “Richess” ? Tandis que je me questionnais, il posa sa main sur mon épaule et me dit :

  • Mon gamin, s’il y a bien des noms dont tu dois te souvenir, c’est ceux-ci : Hodaïbi, Challen, Fast, Stein, Akitorishi, Ibiss et Makes”.

Après avoir bien articulé chacun de ces noms, il rigola très fort et désigna sur l’écran une petite fille cachée derrière les longues jambes de sa mère. Toutes les caméras essayaient de capturer son visage très pâle et bordé de longs cheveux châtains. Ma mère s’exclama en voyant la robe de la toute jeune fille :

  • Quelle robe magnifique !!
  • C’est évident, releva mon père, ils s’habillent chez les meilleurs couturiers.
  • C’est une des filles riches, papa ? le coupais-je sans espérer une réponse.
  • Oh oui, et pas de n’importe qui Dossan, me dit-il en pointant son doigt au bout de mon nez. C’est la seule et unique fille de Madame Makes et surtout, elle a sept ans, tout comme toi !

Pourquoi cela avait-il de l'importance ? Il m’expliqua que les Richess devaient respecter des lois et que la plus importante d’entre elles était de donner obligatoirement naissance à un certain âge. Le fait est que depuis quelques générations, le hasard avait fait en sorte que les sept d’entre eux naissaient toujours dans la même année, liant encore plus les familles pourtant en conflit depuis des décennies.

Il était excité de voir à quoi pouvait ressembler la descendance de ces prestigieuses familles et il l'était encore plus par le fait que ces enfants soient nés la même année que moi, et ce, pour une seule et unique raison :

  • Si tu travailles beaucoup pour devenir intelligent, un jour, tu auras la chance de partager la même école que les Richess, tu imagines ? me lâcha mon père entre deux phrases de sa conversation avec ma mère qui tentait désespérément de le reprendre dans ses propos.

Une dispute à propos de mon avenir éclata alors sous mon nez, comme si je n'existais pas. Ma mère ne tarda pas à sortir en pétard de la maison, ainsi il se retourna vers moi :

  • Je sais déjà où ils iront à l’école, tout comme leurs parents : à Saint-clair ! Tu verras, c’est un endroit magnifique ! Et je sais que tu as les capacités d’y entrer, tu es déjà très intelligent pour ton âge, n’est-ce pas ?

Je me souviens encore de ce sourire crispé sur son visage, du regard menaçant qu’il me lançait en me dédiant ces mots. À partir de là, je savais que je n’avais pas d’autre choix que de rentrer dans cette école. Si j’en avais les capacités ? Je n’aurais pu le dire, mais quand il disait que j’étais intelligent pour mon âge, il avait raison, car à sept ans seulement, je me rendais compte de la valeur terrifiante de l’argent et des méfaits qu’il pouvait provoquer.

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