Chapitre 4 : Chuck Ibiss, qui ça ?
Les sept Richess se tenaient l'un à côté de l'autre sur scène tandis que le directeur s’apprêtait à leur annoncer leur classe.
- En ce qui concerne votre répartition dans les classes, commença-t-il en regardant chacun d'entre eux. Cette année, nous avons procédé à quelques petits changements. Ainsi, Marry, Elliot, Eglantine et Michael vous rejoignez la troisième G. Quant à Katerina, Chuck et Blear, vous serez en troisième F.
Quand j'entendis que trois d'entre eux seraient en F, dans ma classe, je me disais que j'aurais plus de chances de les aborder. C'était parfait !
En revanche, les Richess semblaient moins ravis. L'école avait pris pour habitude de ne pas les réunir dans la même classe afin d'éviter les tensions. De toute évidence, St-Clair avait le doigt posé sur la gâchette.
Je sais que cette décision n’est pas pour vous plaire, mais elle n'est pas discutable. Nous pensons qu’il est temps que vous, les futurs gérants de notre société, appreniez à entrer en contact les uns avec les autres. Maintenant, si vous le souhaitez, vous pouvez partager votre avis. Katerina, souhaites-tu dire quelque chose à ce propos ? demanda-t-il en lui tendant le micro.
- Honnêtement, ça m'est égal... répondit-elle d'un air détaché.
- Quelqu'un d'autre ? Michael ? Elliot ?
- Contrairement à Katerina, ce n'est pas que ça m'est égal, mais je ne pense pas que ça puisse avoir un impact sur mes études, alors je n'y vois pas de problème, disait Michael, calmement.
- Moi, je pense que ça va être plutôt drôle ! Quelque chose à dire, copine de classe ? S'exclama Elliot en regardant Marry.
- Non merci, fit-elle, en passant évasivement le micro à Eglantine.
- Je ne suis pas certaine des conséquences que cela puisse avoir, j'imagine que le temps nous le dira, expliqua-t-elle nerveusement avant de donner le micro à Chuck.
- En ce qui me concerne, je suis ravi de partager ma classe avec deux filles aussi jolies que Katerina et Blear !
- Et toi Blear ? demanda le directeur.
- Ça n'a pas d'importance, répondit-elle sérieusement.
Quand j'entendais leurs opinions, je me demandais pourquoi St-Clair avait pris une décision aussi délicate. L'année allait définitivement être mouvementée !
Il était presque onze heures quand nous sommes sortis de l'auditorium. Dans la cour, je retrouvais facilement le rang des 3F grâce à mon binoclard de titulaire, Monsieur Rubens, qui faisait une tête de plus que tous les autres professeurs. Sur le chemin vers la classe, il nous montra le réfectoire où nous dînerions plus tard. Les filles s'étaient déjà agglutinées tout autour de Chuck.
Arrivés en classe, le prof nous laissa le choix de nos places. Évidemment, tout le monde voulait s'asseoir à côté de Blear, Katerina ou Chuck, mais ils ne prenaient pas place. Justement, parce qu'ils attendaient de choisir à côté de qui ils s'assiéraient. Je décidais alors de me mettre quelque part ou je me sentirais bien toute l'année. Je pris un des bancs dans la deuxième rangée, près de la fenêtre, au cas où j'aurais envie de m'enfuir en plein cours...
Les autres commencèrent à s'asseoir également. Katerina prit une place tout au fond de la classe, à l'inverse de Blear, au premier rang devant le bureau du prof. Pour Chuck, il y avait du choix, pas mal de filles s'étaient assises seules dans l'espoir de passer l'année aux côtés du plus beau mec du lycée. Ma voisine venait de faire tomber sa sacoche, je ne sais pas si ça avait été fait exprès, mais ça avait attiré l'attention de Chuck qui s'avança pour la ramasser. Je tournais la tête vers la fenêtre me disant qu'il allait décidément s'asseoir à côté de cette fille à la poitrine généreuse.
- Excuse-moi, est-ce que je peux m'asseoir à côté de toi ?
Je me retournai à nouveau pour découvrir la réaction de la fille et croisais alors le regard de Chuck qui se tenait debout à côté de moi et non plus de ma voisine. Que faire ? C'était à moi que Chuck Ibiss s'adressait. Je ne savais pas comment répondre, surtout avec tous les regards posés sur moi. J'avais la pression. Assuré ? Souriant ? Puis, je me suis demandé comment agirait le vrai moi :
- D'accord, répondis-je simplement en lui faisant face.
Il prit place. Avant que je ne puisse dire quoi que ce soit, le prof nous demanda le silence et nous expliqua comment allait se dérouler l'année, ce qu'il attendait de nous, ce qu'il nous fallait comme matériel scolaire, etc.
- Voilà tout ce qu'il y avait à savoir. Il nous reste une grosse heure avant le dîner, alors je vous laisse quartier libre pour faire connaissance, essayez de ne pas être trop bruyants, merci !
Instantanément, Chuck se retourna vers moi et fixa longtemps mon visage sans rien dire.
- Hum, qu'y a-t-il ? demandais-je.
- J'essayais de me rappeler de ton nom, mais je dois avouer que je ne m’en souviens pas ! S'exclama-t-il.
- C'est Dossan, Dossan Dan's… répondis-je.
- Voilà c’est ça, je me rappelais que tu avais un prénom assez spécial ! Chuck Ibiss, ravi de te rencontrer, dit-il en me tendant la main.
Sa poigne était aussi ferme que celle du directeur. Il devait avoir l'habitude de serrer des mains à toutes ces réceptions faites en l'honneur de ses parents.
Je discutais avec Chuck Ibiss, c'était étrange. J'étais un peu nerveux, mais il savait comment mettre les gens à l'aise.
- Alors dis-moi, tu fais quelque chose en dehors de l'école, du sport ? me demanda-t-il.
- J'aime bien le sport en général mais je suis plutôt branché musique, répondis-je.
- Tu joues de quoi ?
- Du piano.
- C'est vrai ? J'en joue aussi depu…
Quoi qu'il pût dire, j'en connaissais déjà la réponse. Mes parents m'avaient tellement parlé des Richess qu'ils n'avaient plus de secret pour moi, en tout cas sur le plan social. Je savais que Chuck faisait du foot, qu'il jouait du piano et qu'il s'était adonné au chant quand il était tout jeune. À vrai dire, je connaissais tout de lui, jusqu'à sa date d'anniversaire...
Tandis que l'on discutait du solfège, on entendit tout à coup toquer très fort. Toute la classe fut surprise et s'arrêta de parler. Puis la porte s'ouvrit, avant même que le prof ne le fasse.
Une fille avec de très longs cheveux blonds, aussi raides que ceux de Katerina, apparut devant nous. Elle avait des yeux noisette et arborait un énorme sourire. Je fus tout de suite interpellé par ses converse bordeaux. Tout le monde la dévisageait. Certainement, parce qu'elle portait une large chemise blanche, à moitié entre ouverte, et un simple jean. Elle remonta son sac à dos tombant de son épaule et s'avança sans hésiter vers la classe.
- Bonjouuuur, excusez-moi du retard, je suis bien en 3F ici ? demanda-t-elle toute souriante.
- Hum oui... répondit Mr. Rubens surpris. Puis-je savoir à qui ai-je l'honneur ?
- J'm'appelle Alicia Polswerd, on m'a dit à l'accueil que j'étais dans cette classe et...
- Laisse-moi vérifier ça tout de suite, la coupa-t-il en regardant son dossier. Hum oui, c'est ça, comment se fait-il qu'on ne t'ait pas appelée à la cérémonie ?
- Ah je sais pas, peut-être parce que je suis me suis inscrite il y a quelques jours et puis j'étais pas à la cérémonie, je suis arrivé y a pas longtemps et ils m'ont envoyé ici !
- Comment se fait-il que tu n'arrives que maintenant ?
- Ben en fait mon père devait me conduire, mais il s'est pas réveillé et moi non plus alors on est seulement parti à dix heures et demie, répondit-elle nonchalamment.
Notre titulaire la regarda quelques instants, bouche bée. La moitié de la classe se retenait de rire tandis que l'autre moitié lui jetait toujours un mauvais œil. Elle était complètement barrée cette fille : être en retard le jour de la cérémonie de St-Clair, ce n'était jamais arrivé à personne. À sa place, j'aurais été gêné et j'aurais présenté mille excuses mais elle se contentait de sourire. Et puis cette façon de parler, elle avait un je m'en foutisme monstrueux.
- Bon, passons... Tout le monde est en train de faire connaissance, tu peux aller t'asseoir. Tu as le choix, tu peux prendre la place tout au fond ou ici, expliqua-t-il en montrant le banc juste devant Chuck et moi-même.
Elle fixa sérieusement les deux places pendant quelques instants, comme si le choix dépendait de sa vie. J'avais envie qu'elle s'assoie devant nous, elle avait l'air d'une fille intéressante. Seulement, elle allait sûrement prendre la place du fond. Quoiqu'une place devant Chuck Ibis, ça ne se refuse pas non plus.
- Est-ce que tu te décides ? Insista le prof.
- Yep ! Devant le mec aux cheveux bleus et l'autre là, ils ont l'air trop sympa ! s'exclama-t-elle en rigolant fort.
- Elle s'empressa de rejoindre sa place, lâchant son sac sur le banc avant de retourner sa chaise vers nous. Elle la prit à califourchon et nous lança un grand sourire.
- Comment vous vous appelez les gars ?
- Je suis Dossan Dan's...
- Quel drôle de nom ! Et toi ?
À nouveau, tout le monde se retourna vers elle. Monsieur Rubens en avait perdu ses lunettes. Nos regards avec Chuck se croisèrent, et puis nous commençâmes à rire, comme si une complicité s'était déjà installée.
- Ben quoi, c'est top secret ? Allez dis-moi, c'est quoi ton nom ?
- Tu ne sais vraiment pas ? lui demandais-je.
- Ben non, comment je pourrais, je viens de le rencontrer ! s'exclama-t-elle.
- Mais enfin, c'est Chuck Ibiss, dis-je en le désignant.
- Enchanté, répondit-il fièrement.
- Je... suis censé te connaître ? répondit-elle en haussant un de ses sourcils.
Était-il possible que quelqu'un dans ce monde ne connaisse pas, ne serait-ce que le nom de Chuck Ibiss ? Celui-ci s'appuya contre son dossier et croisa les bras. Il eut un petit rictus nerveux.
- Mon nom ne te dit rien ?
- Nan, répondit-elle en rigolant. Pourquoi ? T'es une star ?
- Eh bien, je suis un Richess alors...
- Un quoi ? le coupa-t-elle.
- ... Dis-moi, tu as la télévision chez toi ? La radio ? demandait-il sarcastique.
- Je regarde rarement la télé, je préfère passer mon temps dehors.
- Je vois... En fait, je fais partie des sept familles les plus riches de ce pays.
- Aaaaaaah d'accord ! Les gens là, oui... je ne savais pas !
- Tu ne savais pas ? Sa famille tient une chaîne de restaurant très connue pourtant, lui expliquais-je.
- Ben, à mon avis n'y suis jamais allée !
- Pourtant, on entend parler partout des Richess. Ce sont des hautes personnes de notre société, il est étrange que tu n'aies jamais entendu parler de lui. Et quoi ? Tu ne connais pas les autres non plus ?
- Je ne sais pas. Tu sais, je regarde pas vraiment les gens qui sont au-dessus moi. Il n’y a pas trop d’intérêt, c’est mieux de tendre la main à ceux qui sont en dessous !
Chuck se mit à rigoler très fort. Elle m'avait cloué le bec avec le plus grand des sourires. Il était difficile de croire qu'elle ne connaissait rien d'eux. En fait, c'est juste qu'elle s'en fichait. Elle n'avait sûrement pas dû prêter attention à eux comme j'avais pu le faire durant mon enfance. Je me retournais et jetais un coup d'œil vers Katerina au fond de la classe. Elle semblait dans la lune. Je tournais alors ma tête vers Blear Makes.
Elle s'était levée de son siège pour ramasser le crayon que notre professeur venait de faire tomber. Avant de regagner sa place, elle s'arrêta et fixa Alicia qui plaisantait avec Chuck. Tout le monde se tut. Alicia, la regarda du coin de l'œil et brisa le silence.
- Pourquoi elle me regarde celle-là ?
On entendit un « crac » dans la main de Blear. Elle laissa deux morceaux de crayons tomber par terre et se rassit en envoyant valser ses cheveux derrière son épaule, l'air renfrogné.
Je dois avouer que, dans un premier temps, c'est le comportement qu'auraient les Richess l'un envers l'autre qui me faisait peur.
Finalement, c'est l'entrée d'Alicia, qui eut l'effet d'une tornade.
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