Dans mon ancienne école, entre chaque heure de cours, nous devions changer de classe en fonction des différentes matières du jour.

St-Clair fonctionnait selon un autre principe : à chaque niveau d’étude était attribué un étage. C’était aux professeurs de se déplacer dans nos salles de classes respectives. Ainsi, toutes les classes des troisièmes années étaient situées dans le même couloir.

Tandis que Chuck Ibiss et moi-même venions de rencontrer Alicia, du côté de la 3ᵉ G un autre schéma se déroulait. Leur titulaire était une femme âgée et plutôt sévère. Elle était à cheval sur le règlement et ne leur avait pas laissé autant de temps que nous pour faire connaissance.

Malgré tout, Elliot avait su regrouper un petit monde tout autour de lui. Il était très sociable, c’était facile pour lui de rire avec les autres, filles comme garçons. Même s’il adorait particulièrement faire son numéro de charme aux demoiselles.

Contrairement à lui, Eglantine et Michael étaient beaucoup plus réservés. Étant de très bons élèves, ils s’étaient tous deux installés au premier banc, mais à l’opposé l’un de l’autre. Les gens venaient toujours se présenter à eux, ils échangeaient des sourires et quelques mots, mais ça se finissait rapidement. Pourquoi ? Michael était fort sérieux et Eglantine trop timide. C'est la raison pour laquelle on les voyait souvent seuls.

Pourtant, Églantine était belle et attirait beaucoup l’attention. C’était étrange que les garçons de la classe n'insistent pas plus pour rester auprès d'elle en ce début d'année. Sauf que Marry Stein partageait la même classe. Cette dernière aimait être le centre de l'attention, elle ne laissait donc aucune place à sa concurrente.

La titulaire portait un regard insistant sur les Richess de derrière son bureau. Surtout envers Elliot, au fond de la classe. Il riait un peu trop fort à son goût.

• Mr. Fast, est-il possible que vous fassiez un peu moins de bruit ? Lui demanda-t-elle, un sourcil levé.
• Bien sûr, madame !

Elle reprit alors sa lecture. Un gars tapa sur l'épaule d'Elliot et lui chuchota à l'oreille regardant en direction de Marry. Elliot éclata alors de rire. La prof lui lança un regard noir, mais il n'arrivait pas à se contenir.

• Elliot, ça suffit ! Cria-t-elle à travers la classe.
• Excusez-moi, j’arrête... ahah
• Non, je ne suis pas d'accord. Viens donc t'asseoir ici à l'avant, fit-elle en pointant le banc à côté de Michael.
• Vraiment ? répondit-il plus sérieux.
• J'y tiens, dit-elle fermement.

Il jeta un regard à ses nouveaux copains et se retint de rire lorsqu'il vit leurs sourires. Il prit alors son sac et marcha jusqu'à sa nouvelle place. Arrivé près du banc, il marqua un temps avant de s’asseoir et jeta un œil furtif vers Michael. Celui-ci, plongé dans un livre de littérature, ne fit pas attention à la présence du rouquin.

Maintenant au calme, Elliot semblait s’ennuyer de la situation. C’était plus difficile pour lui de parler avec les gens de la première rangée parce qu’ils semblaient moins réceptifs à sa présence. Il ne pouvait quand même pas s’empêcher de regarder dans la direction de Michael, qui ne montrait toujours aucun signe à son égard.

• Tu commences dès le début de l’année alors ? lui dit-il. Tu n’es pas le plus intelligent pour rien, enchaîna-t-il directement en pointant son livre.

Enfin, Michael referma son livre, marquant la page de son doigt, et tourna la tête dans la direction du roux. Il ne dit rien pendant quelques secondes et le fixa d’un air très neutre.

• J’oubliais que tu n’es pas très sociable… continua Elliot, un sourire au coin des lèvres.
• … On ne peut pas être sociable et devenir le plus intelligent, n’est-ce pas ? lui répondit-il en lui rendant son sourire narquois.

Se sentant attaqué, il ne le lâcha plus du regard. “C’est qu’il a de la répartie” pensa-t-il.

Il était hors de questions de baisser les yeux, ce serait perdre la face.

• Un bon élève comme toi ne devrait pas provoquer les autres étudiants.
• J’en connais des plus provocateurs, répondit-il calmement.
• Je le suis ?
• Si tu te sens visé… dit-il prêt à se replonger dans son bouquin.

Elliot pouffait de rire, à la fois agacée et amusé. Il aimait taquiner les autres, mais on ne lui rendait pas souvent la pareille. C’était intéressant pour lui de voir comment ce “petit gars” pouvait se défendre. À le regarder lire, il fut pris d’une idée :

• Qu’est-ce que tu lis de si bon matin, franchement ? se moqua-t-il en lui arrachant le livre des mains.
• Eh... s’étonna Michael.
• Littérature ? Whaouu, quel courage ? C’est une passion ou tu fais plaisir à “papa et maman” ?
• Pourrais-tu me le rendre ? répondit-il, laissant de côté ses sarcasmes.
• Hum non !
• Pourquoi ? dit-il en fronçant les sourcils.
• Il faut le mériter pour le récupérer…
• Est-ce que tu vas me faire… du chantage ?
• C’est une idée, osa-t-il, le sourire aux lèvres.
• Hum s’il te plait… J’ai vraiment besoin de lire ce livre, si je ne le finis pas rapidement mes parents vont… Enfin, tu comprends non ? fit-il, d’un air dépité.

Michael baissait les yeux tout en lui demandant de lui rendre de son livre. Ça revenait à s’écraser devant lui, son visage était couvert de honte. Elliot jubilait, mais il n’était pas un tyran.

• Quelle bouille triste pour un livre, dit-il en lui tendant son livre.
• Merci… De montrer encore une fois à quel point tu es faible d’esprit, répondit Michael d’un air hautain, tout en reprenant son livre.
• Ah... resta-t-il bouche bée. Ahahahah, mais c’est que tu me plais toi ! éclata-t-il alors de rire.
• ELLIOT ! cria la prof. Est-ce que tu vas arrêter de rire une bonne fois pour toutes ?! Et laisse Michael tranquille !
• Tu as entendu la dame, chuchota ce dernier.
• Excusez-moi…

Michael esquissa un petit sourire, qu’on ne voyait que rarement sur son visage sérieux. Il reprit immédiatement sa lecture. Elliot triturait un de ses Bic, ne sachant toujours pas quoi faire au-devant de cette classe. Il avait besoin de bouger, de parler. C’était un élève turbulent et difficile à gérer par ses professeurs, mais il était plus intelligent que la moyenne et débordait de créativité. C’est pourquoi son comportement était souvent pardonné. Sans compter le fait qu’il disposait du titre de “Richess”. En effet, les sept disposaient de certains avantages du fait d’appartenir aux familles les plus riches du pays.

En ce qui concernait Elliot et Michael, ils étaient respectivement 5ᵉ et 6ᵉ dans la hiérarchie. Il n’y avait donc pas une trop grande gêne entre eux comme il pouvait y avoir avec Blear Makes.

Elliot avait enfoui sa tête entre ses bras sur son banc, en dessous duquel il tapotait du pied. Il se tourna le plus discrètement possible vers Michael.

• Eh Michael, chuchota-t-il.
• … Oui ?

Il se surprenait qu’il l’a appelé par son prénom.

• Et si on mangeait ensemble ce midi ?? demanda-t-il, toujours sur le même ton de voix.

Michael ne répondit pas tout de suite. Il était vraiment très surpris et perplexe vis-à-vis de sa proposition. “Manger avec un autre Richess ?” C’est ce qu’on devinait sur son visage. C’est quelque chose qu’il n’avait jamais imaginé, tellement il avait été conditionné à éviter les autres Richess. Comme tous, d’ailleurs. Il plissait les yeux comme s’il était face à un piège. Un piège, roux et trop souriant.

• D’accord, répondit-il d’un air soucieux.
• Cool !
• ELLIOOOTTT !! hurla la titulaire en tapant sur son bureau.

Toute la classe fit un grand silence, dont Elliot qui échangea un regard rieur avec Michael.

Dans notre classe, nous ne pouvions nous empêcher de rire à chaque fois que l’on entendait leur titulaire crier après Elliot. On devait l’entendre dans tout le couloir. Il avait le chic de se faire remarquer.

Chuck avait un grand sourire.

• Pourquoi tu souris comme un gogol ? s’exclama Alicia.
• Un gogol … s'arrêta Chuck, étonné du vocabulaire de cette dernière.
• C’est parce qu’Elliot se fait engueuler ? demandais-je.
• Voyons, je n’oserais pas, dit-il ironiquement.
• C’est vraiment la guerre !
• Bah pourquoi ?
• Il y a trop de choses à dire, Alicia.

Cette dernière ne comprenait pas.

Au même moment, la cloche retentit, annonçant la pause du temps de midi : l’heure de manger, ou plutôt de se montrer.