Chapitre 14 : Des inconnus.
- En plus de veiller au bon déroulement et à la bonne entente de la classe, il est essentiel que l'on s'attribue des rôles au sein du conseil. J’aimerais que chacun de nous ait une utilité propre à ses capacités. Donc, puisque pour la prochaine réunion nous avons plusieurs sujets à couvrir, nous allons faire un test en nous répartissant les tâches. Le tout sera de faire un débrief sur ce en quoi nous pouvons nous rendre utile…
- Et sinon, on peut intervenir ? demanda Marry d’un ton ironique à l’autre bout de la table.
- Je disais donc, que nous allions nous répartir des rôles, mais qu’ils ne seront que temporaire, continua Chuck sans prêter attention à la peste. Est-ce que tout le monde est d’accord avec cette idée ?
Les délégués autour de la table acquiescèrent à la décision logique. Marry râlait dans son coin, jambes et bras croisés, haineuse qu'il l'ai ignorée. Chuck se régalait des regards noirs qu'elle lui lançait.
- Maintenant, en ce qui concerne la prise de parole, je pense qu’il faut que l’on trouve un moyen de ne pas déborder les uns sur les autres et…
- Tu dis ça pour moi ? Veuillez m’excusez, votre majesté Chuck.
- Oh Franken, quand j’aurais fini de parler, tu pourras ouvrir ta… bouche, finit-il en lui lançant un faux sourire.
- Subtil, joli jeu de mots, en espérant que ton travail ici ne sera pas à la hauteur de celui-ci, répondit-elle en s’accoudant au bureau.
- Je crois qu’il sera plutôt à la largeur de ton décolleté, fit-il fier de sa remarque voyant que l'ensemble de la table réprimait des rires.
- Charmant. Je me doutais que tu étais un coureur, mais de là à être un pervers, dit-elle en prenant un air faussement outré.
- Hum, lâcha-t-il en s’appuyant contre son dossier, il est vrai que j’aime beaucoup les jolies filles…
- C’est évident, le coupa-t-elle.
- Cependant, j’aime quand elles sont sages, dociles et agréable à écouter, fit-il en faisant un clin d’œil à sa voisine de table. Maintenant, si nous pouvions revenir à notre tâche initiale, ce serait sympathique. Tout le monde pourra ainsi profiter du reste du temps de midi, hum ?
Ils reprirent tant bien que mal leurs esprits afin d’aborder l’ensemble des projets à mettre en place tout au long de l’année. Il s’agissait d’une première esquisse, se remémorant ce qui avait été fait les années précédentes. Il était question de bals, de voyages scolaires, de ventes, de préventions, de journées sportives, des matchs amicaux, etc. Bien sûr, ce n’était pas à eux de penser ces événements, mais bien d’y mettre chacun son grain de sel. Le but étant, selon les mots du directeur, que : « Chaque année apporte sa pierre à l’édifice ».
- En ce qui concerne les ventes, il est indispensable de donner le rôle de trésorier à l’un d’entre nous.
- Je ne me sens pas capable de gérer l’argent, j’aurais trop peur de le perdre ou quelque chose comme ça, répondit l’un d’eux.
- Moi aussi, je ne suis pas à l’aise avec l’idée, ajouta l’une d’elle.
- D’accord. Ça ne me dérange pas de le faire, mais j’aimerais qu’on soit plutôt deux pour vérifier les comptes. Donc, je pensais à Marry pour m’aider, dit-il en lui accordant son attention.
- Moi ? Se pointa-t-elle du doigt.
- Oui, toi, Franken…
- Je ne vais pas répondre à cette offense, et pourquoi je ne pourrais pas le faire seule ?
- Car c’est une tâche qui mérite toujours vérification.
- Je ne suis donc pas digne de confiance ?
- Ce n’est pas ce que j’ai dit, mais si tu me demandes mon avis... dit-il en ne finissant pas volontairement sa phrase.
Marry ne prit plus la peine de lui répondre, agacée par son ton condescendant. Elle se contenta de noter chacune des informations importantes afin de prévoir le plan de contre-attaque parfait. Chuck clôtura la réunion en récapitulant les rôles et les tâches à faire par chacun pour leur prochaine rencontre. Puis, tout le monde s’empressa de rejoindre la cour.
- Emilie, n’oublie pas ton sac, dit Chuck à la fille qui avait reçu un clin d’œil.
- Oh merci, Chuck ! Qu’est-ce que j’aurais fait sans toi ! s’exclama-t-elle en le dévorant du regard.
- Je me le demande, répondit-il avec un sourire en coin.
- Je voulais te dire que tu t’es très bien débrouillé pour ton premier jour, fit-elle en se dirigeant vers la porte.
- Je crois que c’est un rôle qui me sied, répondit-il en faisant une courbette.
- Je le pense et je crois que ça va nous permettre de tous nous rapprocher, répondit-elle
- Certainement, oui, ce n’était pas désagréable, à quelques exceptions prés.
- Je comprends ce que tu veux dire, dit-elle en hochant la tête. Et dis-moi, si ça ne t’a pas déplu, alors je me disais qu’on pourrait, je ne sais pas, hésita-t-elle, passer du temps ensemble ? Manger un bout ? Ce n'est qu'une proposition, finit-elle nerveusement.
- Eh bien si tu le souhaites, commença-t-il, tu connais sans doute le numéro de ma chambre, non ? répondit-il en lui caressant le menton.
Chuck prit les documents de la réunion sous son bras et s’éclipsa dans le couloir, laissant cette fille se liquéfier d'amour par les mots qu’ils venaient de lui dire. Il s’avança fièrement, pensant qu'il avait parfaitement géré cette première réunion. Il avait le pouvoir, les fidèles, la fille et l’argent, mais ça c’était un acquis de toujours. Il jeta un œil à sa montre en or tout en pressant le pas et sourit gaiement en se glissant à la hauteur de Marry qu'il avait déjà rattrapé.
- Pourrais-tu éviter d’emprunter le même couloir que moi ? demanda-t-elle en roulant les yeux.
- Je crois que c’est inévitable puisque nous allons au même endroit, rétorqua-t-il.
- Tu n’avais qu’à faire le tour, tu es vraiment écœurant…
- Explique-moi donc en quoi je le suis ? barrant le chemin.
- Franchement cette fille, soupira-t-elle agacée de devoir s’arrêter. Tu pourrais trouver mieux, quoi qu’elle soit à ton niveau pour le coup, répondit-elle en lui faisant face.
- Toi peut-être ? Non, tu as dit « mieux », se moqua-t-il.
- Alors premièrement, tu ne trouveras pas plus sexy et jolie fille que moi, dit-elle en se tenant une hanche. Et deuxièmement, je jure que je vais te faire retirer ce sourire, ordure.
- Ordure ? Ahahah ! Tu y vas un peu fort, non ?
- C’est approprié pour un mec qui fait semblant d’être parfait et d’être aussi mignon et gentil qu’un chiot devant tout le monde, alors qu’il n’en est rien
- Alors premièrement, mignon ? Je le suis, c’est indéniable ! L'imita-t-il en prenant une voix pincée. Et deuxièmement, tu voudrais que je sois gentil ? demanda-t-il en claquant des doigts, mais ça, Marry, il n’y a qu’avec toi que j’en suis incapable, répondit-il de sa voix grave et en appuyant ses documents sur le torse de la blonde. Tu sais que ça ne dépend que de toi, et de ton comportement.
- Tu, laissa-t-elle échapper manquant de s’énerver. Et pourquoi je voudrais être sympa avec quelqu’un comme toi, dis-moi ?
- Si tu savais le nombre d’avantages qu’il y a à être sympa avec moi, répondit-il en lui lançant un grand sourire. Allez, on se voit à la prochaine réunion, et sois sage en attendant papa, petit monstre ! s’exclama-t-il en prenant une voix enfantine.
Sans s’en rendre compte, Marry se retrouva avec les documents de la réunion à déposer dans la salle des professeurs en main tandis que Chuck se faisait la malle. Elle tenta de crier après lui, mais il était déjà loin. Pris d’un élan de rage, elle balança le tas de feuilles contre le sol et tapa quelques fois dessus avec son pied, à la manière du raisonnable, bien sûr. Lorsque sa frénésie s’arrêta, elle soupira, presque essoufflée, et comme soulagée par cet acte, elle esquissa un léger sourire satisfait. Elle recoiffa alors à l’aide de ses doigts ses magnifiques cheveux dont les boucles semblaient être faites en ressort. Elle tourna ensuite sur elle-même, lançant des coups d’œil furtifs tout d’un coup effrayé d’avoir été vue, et s’accroupit alors pour ramasser les feuilles bien amochées.
Lorsqu’il nous rejoignit, Chuck était aussi souriant qu’un enfant qui venait d’ouvrir ses cadeaux sous le sapin. Il s’étonna directement de l’absence de Michael et Elliot.
- Ils sont où Rox et Rouky ?
- Peu importe, répondit Katerina toujours agacée par le mot « roux ».
- Dans un trou noir, très noir, lâcha Alicia plus inventive qui se laissait aller en arrière.
- D’accoooord, dit alors perplexe en me faisant des grands yeux.
- Je ne suis pas au courant des détails, mais je crois qu’ils se sont disputés et qu’ils devaient en discuter, expliquais-je.
- Bon, de toute façon, c’est leur problème !
- Exactement, répondit une voix derrière lui.
Elliot venait d’arriver bras dessus bras dessous avec Michael. Il n’y avait aucun doute sur le fait qu’ils s’étaient rabibochés, ce qui provoqua, malgré tout, un petit sourire chez Alicia. Elle n’arrivait pas à leur faire la gueule, contrairement à Katerina, toujours incapable de voir l’orange en peinture.
- Alors comment s’est passé la première journée de notre patron ? demandais-je à Chuck.
- Marry n’a pas été trop insupportable ? ajouta Katerina.
- Vous avez parlé du voyage scolaire ?! demanda Alicia.
- On se calme, les amis ! Ça s’est très bien passé et nous en avons parlé mais très peu. Sinon tu demandes vraiment pour Marry ? demanda-t-il en relevant les sourcils.
- Une bête question en effet, affirma-t-elle.
- Elle était si terrible que ça ? Tu vas finir par craquer avec elle comme assistante, rit Elliot.
- Oh non, au contraire, je crois que je vais bien m’amuser, répondit-il d’un ton assuré.
***
La soirée bien entamée, chacun d’entre nous vaquait à ses occupations. Michael avait fini ses devoirs pour toute la semaine en tentant de se changer les idées. Il s’apprêtait à prendre l’air frais quand il entendit quelqu’un sortir dans le couloir. L'idée de se retrouver nez à nez avec Eglantine, sans savoir quoi lui dire, lui glaçait le sang.
Katerina s’étirait le dos, en tirant sur la pointe de ses pieds, après avoir fait un peu de gymnastique dans sa chambre. Sportive, elle possédait tout le matériel nécessaire pour se tenir en forme. Elle se dirigea alors dans la salle de bain pour prendre une douche bien méritée.
Elliot ramena ses cheveux en arrière sous l’eau chaude et sortit de ce qui lui semblait être le meilleur moment de sa journée, pour prendre un essuie et l’enroula autour de ses hanches. Il effaça la buée sur le miroir dans lequel il s’empressa de plonger son regard : « Salut beau gosse » pensa-t-il alors qu'il glissait son pouce le long de sa mâchoire. Il perdit brusquement son sourire, en repensant à cette journée riche en émotions, à l'inverse de Chuck qui était plutôt ravi. Il avait lui aussi pris soin de laver chaque recoin de son corps, attendant une bien sympathique compagnie dans sa chambre. Et il n'était pas le seul. Selon une rumeur, Marry aurait trouvé refuge auprès d’un senior de l’équipe de foot.
Ce que faisait Blear Makes à ce moment-là ? J'avais simplement pu l'observer sur son balcon en train d'arroser ses fleurs.
J’y étais encore accoudé, regardant Eglantine se promener dans le petit parc, pensant que je n’avais pas encore eu l’occasion de lui parler. J’espérais pouvoir le faire car j'étais certains qu'elle serait la dernière Richess que je pourrais atteindre.
J’eus un frisson en pensant à ma pauvre mère. Il commençait à faire plus frais. Je décidai alors de préparer mon sac d’école pour le lendemain. J'y découvris le cahier d'exercice d’Alicia, pris par inadvertance, dans lequel elle avait glissé ses devoirs. Puisqu'il n’était pas trop tard, je me rendis jusque sa chambre, la 218, qui se trouvait dans le bâtiment d’à côté. Elle fut surprise de me voir, toujours en pleine forme dans ses pantoufles lapins.
- Dossan ? Qu’est-ce que tu fais là ? Ah mais entre ! dit-elle en m'attirant à l’intérieur.
- Excuse-moi de débarquer à l’improviste, mais j’ai tes devoirs…
- Eurk, t’aurais dû les garder !
- Ahahah, j’aurais dû te faire ce plaisir ? Allez au boulot !
- Tu me files un coup de main ? me demanda-t-elle d'une moue irrésistible, tapotant ses doigts sur son cahier.
***
Nous étions installés au sol, dos au lit, en train de finir la dernière page du devoir de physique. Je m’étais habitué à lui réexpliquer toute la matière du cours trois fois de suite. À se demander comment elle avait pu réussir l’examen d’entrée ? Mais maintenant que j’y pensais, elle n’avait jamais évoqué le fait d’avoir passé un examen pour entrer à Saint-Clair. Elle avait simplement dit s’être inscrite à la dernière minute. C’était étrange puisque les inscriptions, sans test, ne concernaient que les privilégiés. Bon, il s’agissait des trois-quarts de l’école, mais dans le cas d’Alicia, je ne pensais pas qu’elle faisait partie de cette élite. Elle rangeait ses cahiers, et tandis que je fixais son dos, un sentiment étrange me parcourut : « Je ne connais rien d’elle ». Je me rendis compte que nous ne savions rien d’Alicia. Je n’avais aucune idée de l’endroit où elle pouvait habiter. Quelle ville ? Si c’était loin ou proche. Pourquoi Saint-Clair ? Pourquoi l’internat ? Dans quelle école avait-elle été auparavant ? Des frères et sœurs ? Tant de questions sans réponses, pour cette Alicia bavarde, qui ne l’était pas tant que ça finalement.
En sortant son journal de classe pour vérifier les cours du lendemain, une photo s’envola pour atteindre le sol. Je m’empressai de la saisir et de me lever pour lui rendre. Je n’ai pas pu m’empêcher d’y jeter un œil.
- C’est… toi ? demandais-je, hésitant en voyant le portrait.
- Oh, c’est un joli compliment ! s’exclama-t-elle. Mais non, ce n’est pas moi, tarda-t-elle à répondre.
Alicia passa une de ses mèches de cheveux derrière son oreille, continuant de fixer la photo. Toujours aussi jolie, son sourire amical s’était changé en un plus tendre. C’en était presque troublant. Elle releva ses beaux yeux noisette vers moi et elle lu dans les miens que j’en attendais plus. Qui était cette femme lui ressemblant comme deux gouttes d’eau ?
- C’est ma mère, dit-elle d’un ton de voix que je ne lui connaissais pas.
Je ne saisissais pas son expression. Quels sentiments pouvaient bien la traverser en cet instant ? Et alors que les questions brûlaient mes lèvres, je n’osai pas lui en demander plus.
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