Chapitre 16 : Pas de danse et ballon.

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« Tu n’es qu’une petite merde ».

Ces mots, accompagnés de son poing enfoncé dans mon ventre, étaient comme un coup de poignard laissant sa victime trainer au sol. Les larmes de ma mère, à mon chevet, chutaient sur mes joues mouillées.

Elle glissait sa main tremblante dans mes cheveux aussi noirs que les marques dispersées sur son visage. Je vis l'horreur dans ses yeux, tandis qu'il n'y avait plus rien à voir dans les miens. Je me sentais vide de toutes pensées, seule une question figurait : Pourquoi ?


***

Katerina restait de temps en temps à l'internat le weekend, pour profiter des locaux de danse. Ces moments de tranquillité, loin de ses responsabilités habituelles, lui donnait l'impression de renaitre. Elle se délectait de l'ambiance que prenaient les couloirs de l'école, calme et sereine, loin des cris des élèves qui y passaient habituellement. Seule la radio sur l'appui de fenêtre grondait dans le local, rythmant ses pas, comme la danse classique rythmait sa vie. Depuis petite, elle avait varié les genres. Ses préférées : la danse moderne et contemporaine, à l'instar de ses parents. Mais elle était si douée dans sa branche qu'ils avaient acceptée qu'elle continue. Elle était née avec le rythme dans la peau, un don de dieu et son travail acharné avait payé.

En effet, cela faisait déjà trois heures qu'elle s'entrainait, avec comme seules pauses les moments d'hydratation. Tout ça dans le but de finir la chorégraphie sur laquelle elle serait évaluée prochainement.


Du côté d'Elliot, le réveil sonna à sept heures. Il aurait bien voulu se reposer un peu plus pour son match à vingt-heures, mais le devoir, et les préparations surtout, l'appelaient. Il se brossait les dents et imaginait le gymnase rempli des élèves et de leurs parents spécialement venus pour l'occasion. Sans oublier les supporters de l'équipe adverse qui faisaient toujours un boucan du tonnerre. Il se fixa ensuite dans la glace et appuya ses doigts contre son reflet, les laissant glisser sur sa joue, parcouru d'un drôle de sentiment. Il se rinça la bouche et cracha un bon coup dans le lavabo. Habillé en moins de deux, il partit à la bibliothèque.

Quelques heures plus tard, il somnolait entre trois gros livres sur l’Égypte Antique. Devoirs finis, il rangea ses affaires et décida de faire un tour en ville, chez le disquaire du coin. Le nom de l'enseigne indiquait : "Barny Store", un tout petit magasin tenu par le fils, aujourd'hui trentenaire, de ce Monsieur qui avait consacré sa vie au rock 'n'roll. La boutique s’étirait en longueur dans une lumière rougeâtre. Elliot venait depuis un mauvais anniversaire, ses treize ans, où il avait décidé de se faire plaisir en s'achetant quelques disques des stars montantes de la pop de l’époque.

Il laissa un gros pourboire à son disquaire préféré et sortit de l'échoppe avec deux nouveaux CD. Sur le chemin du retour, il décida de faire un tour à l'étage de l'auditorium. Peut-être allait-il y croiser Katerina en train de danser ? Il entendit la musique seulement en ouvrant la grosse porte en fer menant au couloir. Il s'y avança en caressant le mur matelassé d’une main, tenant dans l'autre le sachet du magasin où résidait la tête du vieux Barny. Il s'arrêta au niveau des parois transparentes perforées par la lumière, qui entourait dans un halo blanc une silhouette qu'il connaissait bien. Il se délecta du spectacle qui s’offrait à lui d’un œil admiratif.


Allongée au sol, elle remontait ses mains le long de son corps, puis les glissait dans son cou pour les rejoindre ensuite dans sa chevelure brune. Elle bascula d’un côté, tout en surélevant son fessier pour l’aider à rouler. Puis elle rampait, dos au parquet, d'une pression de ses jambes fermes. Elle enchainait les positions, élégantes, en rythme. Ses orteils ne semblaient faire plus qu’un avec la terre, poussant contre ceux-ci pour se relever triomphante. Puis elle tournait, encore et encore, et sautait, téméraire, pour revenir à sa source. La chanson prit fin avec elle à genoux s'étreignant de ses propres bras. Elle resta immobile quelques secondes, haletante, son dos se soulevait frénétiquement. Elle dégagea d'un souffle les mèches qui taquinaient son visage, et étendit ses bras pour les laisser retomber. Enfin à l'aide d'une main au sol, elle se releva et passa l’autre dans ses cheveux, les tirants avec ses doigts vers l’arrière de son crâne. Un clappement la sortit de sa torpeur.


  • J’avais entendu des rumeurs, mais là je suis bluffé, avoua-t-il en continuant son applaudissement.
  • Elliot, peina-t-elle à dire encore essoufflée, depuis quand es-tu là ?
  • Je n'ai vu que la fin, magnifique d'ailleurs !
  • Merci, je suppose ? dit-elle peu convaincu.
  • Tu n’es pas sûre de toi ? Du peu que j'en ai vu, ton évaluation devrait bien se passer.

La sueur dégoulinait sur son corps et collait à ses vêtements qui se limitaient un haut de sport bleu marine et un short moulant. Elle rassembla ses cheveux sur l’une de ses épaules et se tint une hanche en le dévisageant. Il se souvenait de son évaluation ? Elle ne l'avait mentionné qu'une fois pourtant, pensa-t-elle en glissant sa main sur son ventre, cachant ce qui était a découvert. Elliot ne savait plus où poser les yeux, jetant des coups d’œil timides aux vêtements qui épousaient parfaitement ses formes.


  • Je crois que ça fera l’affaire…
  • Je peux te donner mon avis, si tu veux ?
  • Je l’ai déjà répété quelques fois aujourd’hui, je suis un peu fatiguée.
  • J'ai un truc qui pourrait te remettre d'aplomb, dit-il en lui montrant son sac. Le roi de la pop, ça te dit quelque chose ? répondit-il à son regard intriguée en sortant l’un de ses CDs.
  • Michael Jackson ? C’est une édition limitée non ? Tu l’as eu où ? lui demanda-t-elle, soudainement intéressé par l’objet.
  • Hop hop, touche pas à ça ! C’est ma trouvaille du jour ! Néanmoins tu as l’air connaisseuse ?
  • Je... J'aime bien, c'est un de mes artistes préférés, bafouilla-t-elle.
  • Alors on l'écoute ensemble ?

Il déballa le CD, et le prit délicatement entre ses doigts pour le déposer dans la radio dont il manipula plusieurs fois les boutons. Dès que le son se lança, il se mit à bouger à la manière du chanteur. Il s'agissait plus d'une grotesque imitation que de pas de dance précis. Katerina éclata de rire.

  • Mon Dieu, mais qu'est-ce que tu fais ? pouffa-t-elle.
  • Eh bien quoi ? Tu ne vois pas le Jackson en moi ? répondit-il en se trémoussant.
  • Tu es si nul en danse, ahahah !
  • Autant que ça ?! Tu n'as qu'à m'apprendre, proposa-t-il.
  • Quoi ? Non… Je ne saurais pas...
  • Oooh dommage, je pensais que j'avais affaire à une pro, dit-il ironiquement.

Katerina le regarda, à la fois amusée et titillée par sa remarque qu’elle prenait comme un défi. Elle mit la chanson suivante : "Thriller". C'est avec facilité qu'elle enchaîna les mouvements légendaires de la chanson. Elliot, surpris, rigolait face à la chorégraphie zombiesque. Il se mit à l'imiter dans des pas beaucoup plus grossier. Elle ne pouvait pas s'empêcher de rire en le voyant dans le miroir. Dans cette chanson, Michael Jackson voulait courtiser la jeune fille qui lui plaisait tout en lui cachant sa forme de loup. Le roux ressemblait peut-être à un animal dans son ridicule, mais il restait une bête pour charmer les filles.

Elle rigolait un peu trop à son goût. Il l'accompagna dans sa danse et lui saisit le bras, puis la main. Katerina le laissa entremêler ses doigts aux siens et se prêta à son jeu. Il la fit tourner plusieurs fois et la ramena vers lui pour déposer sa main sur sa taille. Il l'invita dans une valse inadaptée.


  • Tu sais qu’on est sur de la pop là ? se moqua-t-elle.
  • Et alors ? Pourquoi on pourrait pas faire ce qu’on veut ?
  • Tu dis ça parce que tu sais juste danser la valse !
  • Touché, rit-il.
  • Donc, j’ai raison, répondit-elle fièrement.
  • Il faut bien que je montre mes qualités de temps à autre, dit-il en plongeant son regard dans le sien.

Elle baissa les yeux, troublée par les siens. Elle posa ses mains sur ses avants bras et se libéra doucement de son emprise. Enfin, elle le regarda à nouveau dans le blanc des yeux.


  • Je ne sais vraiment pas quoi penser de toi…
  • Qu’est-ce que tu veux dire ?
  • Tu n’es jamais sérieux, et puis tu dis tout d’un coup des choses qui me font réfléchir.
  • Est-ce que j’ai dit quelque chose de mal ? demanda-t-il d’un air soucieux.
  • Non… Je suis désolée, je ne voulais pas te froisser.
  • Du tout, mais tu sais, je me prends pas la tête. Ça ne sert à rien de se poser trop de question. Je profite de l’instant présent et danser avec toi aujourd’hui, c’était très amusant, finit-il en prenant un ton ravi.
  • C’est vrai, j’adore danser. Michael Jackson est un de mes artistes préférés donc c’était chouette.
  • Et tu finiras sans doute par m’adorer aussi, hein princesse ?
  • Tu recommences avec ce surnom, se fâcha-t-elle.
  • Tu n’aimes vraiment pas ça ? demanda-t-il d’une voix enjouée.
  • Bien sûr que non !
  • Héla, ne soit pas aussi sauvage !

Elliot lui tapota la tête comme il aurait pu le faire à un chien. Elle riposta en dégageant sa main et se réfugia sous l’appui de fenêtre où elle but de grands coups d’eau dans sa gourde. Il vint s’accroupir à ses côtés.


  • J’aimerais le voir en concert, lâcha Katerina.
  • Tu pourrais non ? La septième Richess peut facilement se payer une place VIP non ?
  • Mes parents ne voudraient jamais.
  • Tu as toute la vie pour ça, non ? Moi j’irais une fois que je gagnerais ma vie de moi-même ! Si tu veux, on ira ensemble ahahah.
  • Bien-sûr, répondit-elle sur un ton ironique et en roulant des yeux. De toute façon, je ne veux pas utiliser mes privilèges pour ce genre de choses, dit-elle plus sérieuse.
  • Mais si tu gagnes de l’argent, c’est pour qu’il soit dépensé ? Tu peux bien te faire plaisir ?
  • Ce n’est pas dans ma philosophie de vie, avoua-t-elle après un temps. Je trouve injuste le fait que je puisse facilement y accéder et que d’autres ne pourront jamais.
  • C’est la vie pourtant, tes parents ont travaillé dur pour avoir cet argent et tu es promise à un avenir qui…
  • Mais je ne veux pas, le coupa-t-elle.

Il regarda avec attention son visage contrarié, elle avait les sourcils froncés et un air légèrement pensif.


  • Jolie et un cœur en or, ça promet pour ton avenir ma belle.
  • Arrête ça, dit-elle en cachant son visage légèrement rougi.
  • Et comment tu veux que je t’appelle alors ?
  • Ne m’appelle pas, c’est mieux !
  • Ahahah, désolé mais quand je trouve une fille jolie, je le dis.
  • Bon dieu, souffla-t-elle.
  • Ahahah d’accord j’arrête ! De toute façon je vais devoir aller en réunion pour le match de soir, dit-il en se relevant.
  • Oh c’est vrai, est-ce que ça va aller ?
  • Bien sûr, je ne perds jamais !
  • Bonne chance quand même.
  • Viens ce soir et tu me verras à l’œuvre ! Et prends Alicia avec toi au passage ! À tout à l’heure Kat… Ah ! Devrais-je dire « ma belle » ? rectifia-t-il en lui lançant un grand sourire.
  • Mais c’est pas possible, tais-toi un peu, répondit-elle sèchement.
  • Ahahaha, je plaisante ! Allez à tantôt !

Elliot partit et sa bonne humeur avec, laissant Katerina et ses pensées sur le qui-vive. Elle se sentait bousculée, comme si elle venait de faire face à une grande tornade. Elle se fâchait en repensant à ses sourires et ses surnoms. Il n’était pas question d’aller le voir à ce match.


***

Les joueurs des deux équipes s’entrainaient sur le terrain, sous les yeux des nombreuses personnes déjà présentes, marquant à tour de rôle des lancers francs. Le bruit de leurs baskets glissant sur le parquet était strident.

A Saint-Clair, il y avait deux équipes de basket. L’une reprenant les joueurs âgés de treize à quinze ans, et la deuxième se composant des seize - dix-huit ans. Elliot étant en troisième année, et étant le meilleur joueur de sa section, avait été choisi à l’unanimité comme capitaine. Son talent avec le ballon et sa bonne humeur constante avaient joué dans ce choix. Il savait comment motiver ses troupes. Ils s’étaient tous regroupés en cercle, revisitant leur stratégie, tandis que le commentateur annonçait le début du match. Avant que le coup de sifflet ne retentisse, les garçons joignirent leurs mains et poussèrent leurs cris habituels : « Go, go, go ! Saints Go ! ». Les cinq titulaires, dont Elliot, s’avancèrent alors avec confiance sur le terrain. C’est lui-même qui se tenait au milieu du terrain face au capitaine de l’équipe adverse.


  • Elliot est particulièrement sérieux ce soir, nan ? Demanda l’un des joueurs sur le banc.
  • Il a l’air motivé, c’est l’essentiel, répondit un autre.
  • Tu as vu sinon ? Katerina est là.
  • C’est bien une première, si c’est pas la classe…
  • Tu l’as dit mec, une beauté ! J’ai vraiment envie de monter sur le terrain maintenant.
  • Hey, ça commence !

Le sifflement tant attendu retentit dans tout le gymnase, laissant place à un silence de la foule fixant l’arbitre. Celui-ci, lança la balle en l’air tandis que les deux capitaines se regardaient dans le blanc des yeux. Elliot fléchit les genoux plus tôt que son adversaire et fit un saut qui l’amena avec facilité au ballon. Il réatterrit au sol avec celui-ci entre les mains, les gradins se mirent à crier quand il commença à dribbler en direction du panier. Le joueur qui le marquait fut dépassé par sa vitesse, tout comme les deux qui étaient en défense. Il prit position dans le cercle du tir à 3 points, les deux bras au-devant sa tête et le ballon ne faisant plus qu’un avec sa main. Il écarta ses doigts autour de la balle et appliqua une légère pression de leurs bouts, tout en fléchissant les jambes. Il n’aura fallu qu’une seconde : premier panier, et les supporters des Saints entraient en transe.

Les joueurs reprirent directement leurs positions sur le terrain. Elliot caressait la balle de sa main, tout en jetant un œil dans les gradins. Il n’eu aucun mal à la repérer parmi toutes les autres filles qui l’encourageaient.


  • Waw… C’est un monstre ! Un truc de dingue, tu as vu comme il bougeait ?? Kat ?

De nouveau en position, il tenait fermement l’objet tant convoité dans ses mains. Prêt à dégainer, il releva d’abord le visage vers Katerina, prenant la peine de lui faire un clin d'œil auquel elle rougit, tandis que l'arbitre lançait à nouveau le signal.


  • Ou… oui… Il est impressionnant, répondit-elle tombant des nues.

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