4. William
Il appuya sur le bout de la seringue. Un liquide froid s'infiltra dans ses veines. Son bras fut pris d'un soubresaut, mais il continua d'appuyer, scrutant le niveau. Il toucha le fond. Alors il retira l'aiguille, desserra la ceinture qu'il avait enroulé autour de son bras et se coucha. C'était comme s'administrer dix doses de calmant. Son coeur battait un peu moins vite. La douleur disparaissait. Un peu. Pas totalement. Ça lui donnait toujours envie d'en prendre plus.
Le creux de son bras était maculé de bleus à présent. Il n'aimait pas le voir et faisait toujours en sorte de le cacher sous du tissu. Il avait honte de ce qu'il était devenu. Une épave. Un poids inutile pour tout le monde. Il avait eu la sensation de rater une étape. Ce soir-là, quand elle était partie, il avait été convaincue qu'elle reviendrait. À moitié sonné par la poudre qu'il venait de prendre, il l'avait juste laissée claquer la porte. S'il n'avait pas été shooté, il l'aurait retenu. Il lui aurait demandé pourquoi elle avait mené ses frères jusqu'à la maison. Ce qui s'était passé. Il aurait fait quelque chose.
Mais non. Il était juste resté immobile sur la dernière marche d'escalier à fixer la porte comme un idiot, trop fatigué pour faire un pas de plus.
Il se détestait. C'était sa faute, il avait promis de la protéger. À la place, il l'avait précipitée au fond du trou. Tous les deux, ils auraient pu être heureux s'ils avaient su faire les bons choix au bon moment.
À présent, il n'y avait plus aucun espoir. Il ne voulait pas remonter. Chaque jour qui passait était une nouvelle souffrance. L'héroïne était sa seule source de consolation. Il était fatigué. Vraiment fatigué.
Sous un effort exceptionnel, il parvint à se redresser et ranger son matériel dans son sac. Lucas l'avait pressé de rester quelque jour dans la maison alors il s'était plié à la demande. Ça semblait faire plaisir aux filles et même à Erwin. Mais le peu de doses qu'il avait emmené s'amenuisaient et Liam l'attendait. Pas qu'il livrait encore des paquets, mais son cousin était devenu parano après le meurtre. Il était convaincu que le tueur avait une relation avec ses affaires.
S'il savait.
Quand il descendit dans le salon, son sac sur son épaule, il eut la surprise de voir Madden endormie, sa tête posée sur les cuisses d'Erwin. La nuit dernière, elle avait à peine dormie, passant son temps dans la bibliothèque à lire. Il le savait parce que sa chambre se situait juste en face. Et Erwin s'en était certainement rendu compte. Alors la voir si paisible le soulagea. Elle méritait le repos. Erwin caressait tendrement ses cheveux, à moitié avachi sur le canapé. Quand il s'aperçut de sa présence, il arrêta son geste.
— Je pars, chuchota-t-il.
Il l'avait déjà prévenu de son départ mais il ne voulait pas non plus s'en aller à la sauvage. Erwin hocha simplement la tête et reporta son regard sur Madden. La jalousie pinça son coeur. Ce n'était pas correct. Il devrait être heureux pour eux. Il se détourna avant de pouvoir penser des choses aussi mauvaises.
Il posa un pieds sur le palier de la porte et balaya du regard l'entrée gravillonnée. Et il sut dès lors que quelque chose n'allait pas. Une Mercedes noire démarra. Sa moto avait disparu. Et les clefs se trouvaient dans le coffret. Le véhicule s'avança jusqu'à se positionner devant lui. La vitre conducteur se baissa.
— Voulez-vous bien monter à l'arrière s'il vous plaît ?
C'était le chauffeur des Voseire. Et une voiture noire de cette envergure, plus étincellante que le ciel dans une nuit d'été ne pouvait appartenir qu'à une seule personne. Plusieurs jurons franchirent ses lèvres. S'il voulait retrouver sa moto, il devait monter dans cette foutue voiture. Il s'installa sur le siège arrière sans adresser un seul mot au conducteur. Il détestait Alexandre. Profondément.
Dix minutes plus tard, il se retrouva devant l'appartement. Sa moto était garée devant mais les clefs ne se trouvaient plus dans le coffret. Il leva alors les yeux vers les grandes fenêtres de l'édifice. Il lui arracherait les clefs des mains s'il fallait. Mais il ne parlerait pas avec lui. Ils n'avaient rien à se dire.
Il arriva face à la porte d'entrée quelques minutes plus tard et frappa avec vigueur. Son petit jeu le fatiguait. Il voulait juste s'étaler sur son lit et se perdre dans la fumée de sa cigarette. Alexandre ouvrit. Il tendit sa main, attendant qu'il lui remette les clefs. Mais à la place, le roux réalisa un pas en arrière pour le laisser passer.
— Non. Je n'ai pas le temps pour ça.
— Tu rentreras donc à pieds.
L'envie d'enfoncer son poing dans le mur fut immense. Il se retint à temps. Il devait prendre sur lui. Ce ne serait qu'un mauvais moment à passer. Il souffrirait un bon coup mais pourrait noyer sa peine dans ses poudres. Oui, c'était un bon plan. Il passa donc devant lui en retenant ses insultes.
Il ne s'attendait pas à voir Chloé dans le salon.
Celle-ci se leva dès qu'elle l'aperçut. Sa main se posa instinctivement sur son ventre rond. Son visage avait prit des formes également mais elle restait resplandissante. Excepté son regard. Il n'y vit que la tristesse. Ou la déception. Les deux allaient souvent ensemble.
— Qu'est-ce que tu fais là ?
Il ne se sentait juste pas d'humeur à lancer un "salut" traditionnel. Il ne voulait tout simplement pas... être là. Partir, ce fut sa seule envie. Mais Alex avait ses clefs.
— On doit parler.
— Il n'y a rien à dire. Retourne chez toi, prend soin de ta future famille et fous moi la paix.
Il réalisa un pas en arrière, peut-être pour s'éloigner de la douleur irradiant de ses pupilles. Il blessait tous ceux qu'il touchait. Elle n'était pas une exception. Chloé était même sa première victime. Alors pourquoi s'acharnait-elle ?
— C'est moi qui ai tes clefs, prononça-t-elle. Je ne te les donnerai pas avant d'avoir eu une conversation.
Sa mâchoire se contracta mais il se décida à obéir. Son sac tomba lourdement au sol tandis qu'il prenait place sur le fauteuil face à elle. Alexandre s'assit à l'opposé, observant la scène d'un air détaché. Il y eut un silence. Il fut tenté de dire que ce n'était qu'une perte de temps et que rien de ce qu'elle ne dirait n'arrangerait les faits mais il percevait déjà son agacement devant ses propos.
— Je ne comprends pas, dit-elle finalement. Tout était parfait. Tu t'étais remis et tu allais bien. Puis du jour au lendemain tu... tu quoi ? Qu'est-ce qui s'est passé au juste ?
Perdue, avec un intense désir de se retrouver. Ou le retrouver lui. Mais y avait-il encore quelque chose qui méritait d'être récupéré dans son âme ?
— J'avais fait une promesse à Liam, se contenta-t-il de dire.
Alors elle comprit. Oui, il lui avait menti. Oui, il lui avait fait croire que son cousin n'avait pas prêté d'importance à ses mots. Elle avait été rassurée. Il l'avait su heureuse. C'était le principal.
— Mais tu...
Ses mots s'évanouirent dans le silence.
— Ce n'est pas lui qui m'a poussé à en reprendre, enchaîna-t-il. On a conclu un marché. Il protégerait Emma et je vendrais de la came. J'y ai retouché mais c'était mon choix.
Elle secoua la tête comme si elle ne voulait pas le croire. Sa main s'agrippa au tissu de sa robe qui recouvrait la grosseur de son ventre. Il y avait un petit être en elle qui attendait de recevoir toute l'attention et tout l'amour du monde. Elle ne devait pas gaspiller son énergie pour lui.
— Et tu vis maintenant avec lui ? Tu le détestais, William. Comment peux-tu...
— Il n'est pas celui que tu m'as décrit.
— Quoi ?
Elle était devenue pâle.
— Il a seulement voulu m'aider. Tu l'as fait passer pour un monstre quand en réalité il ne voulait que mon bien.
— Je n'ai jamais dit que Liam était plein de mauvaises intentions envers toi. Mais personne ne lui a appris à aimer. Et à la place de guérir, il blesse. C'est pour ça que je le voulais loin de toi. Regarde-toi maintenant, je ne te reconnais même plus.
— Moi non plus.
Il regretta immédiatement ses mots. Trop en dire finirait par le perdre. Et par la manière dont elle le regarda, il sut qu'il n'était pas près de quitter ce salon.
— Qu'est-ce que tu prends au juste ?
— Non, Chloé, pas ça. Je ne vais pas te dire à quoi je me shoote.
Encore moins devant Alexandre. Il ne savait même pas ce qu'il faisait là, à écouter tous ce qu'ils disaient.
— Pourquoi ? Tu en as honte peut-être ?
Il y eut presque de la méchanceté dans sa question. Et il répondit sérieusement :
— Oui.
Il avait honte d'être faible. Honte de n'avoir pas été capable d'agir, de n'avoir rien dit ce soir-là. La seule raison qui le poussait à se lever tous les matins était l'espoir de mettre la main sur Duvois pour le tailler en pièces.
— Alors pourquoi tu continues ?
— Parce que je ne peux pas m'arrêter.
— Si Emma était là, elle...
— Tu n'en sais rien, trancha-t-il d'une voix cassante. Tu ne connaissais pas Emma. Arrêtez avec vos putains de "si elle était là". Elle n'est pas là, c'est ça le truc.
Pour lui, c'était comme si personne n'avait le droit de prononcer son nom. C'était à lui. C'était la seule chose qu'il lui restait d'elle. Les yeux de Chloé s'emplirent de peine.
— Je sais ce qu'elle signifie pour toi, William. Je vous ai vu grandir ensemble. Et je suis désolée qu'elle soit partie si brusquement mais le fait qu'elle ait disparu ne veut pas dire que tu puisses te détruire à ton tour.
— C'est la seule chose dont je suis capable. Parce que même veiller sur elle j'étais pas foutu de le faire.
Alexandre se redressa sur son fauteuil. Quelque chose changea sur son expression. Cependant, il garda le silence alors William l'ignora de nouveau.
— Je refuse de te laisser continuer comme ça, s'acharna Chloé.
— Tu ne vas rien faire.
— Tu as besoin d'aide.
— Ce j'ai besoin c'est un putain de couteau pour me trancher les veines ! explosa-t-il. C'est ce que j'aurais dû faire depuis le début au lieu de vous entendre déblatérer vos conneries sur ma santé alors que l'assassin d'Emma se ballade dans les rues !
— Tu n'es pas sérieux, paniqua-t-elle.
— C'est vrai, je suis trop lâche pour ça, lâcha-t-il avec un rire amer. C'est bien mieux une overdose. Je pourrais mourir en souriant au moins.
Il se leva, incapable de se tenir plus longtemps devant elle. Il aurait voulu sortir de son corps pour se tailler lui-même en pièces. Ce fut un sentiment violent. Sa haine aurait pu brûler le monde entier. Pas contre Chloé, ni contre Alexandre. Contre lui, si. Mais surtout contre celui qui lui avait pris la première personne qui l'avait rendu heureux.
Il se réfugia dans la cuisine et s'appuya contre le rebord de l'évier. Son souffle fut laborieux. Il avait besoin d'une dose. Une grande, histoire d'effacer toutes ses cicatrices. Il se fichait bien de ce qu'il devenait dans deux mois, un an ou dix ans. Il voulait un peu de paix. Quelques secondes de bien-être. Juste ça. Il se frotta les yeux et réfléchit au moyen de reprendre les clefs pour partir le plus vite possible. Il ne savait même pas où elles se trouvaient.
— William.
Il se retourna. Alexandre se tenait debout dans l'encadrement de la porte. Toute la froideur et l'impassibilité qu'il portait à longueur de journée - tout ça venait de disparaître. La préocupation rongeait ses traits. Auparavant, William s'était senti chanceux pour avoir l'authentique Alexandre avec lui, le garçon qu'il ne laissait jamais apparaître en public. Aujourd'hui, il voulait juste se cogner contre son air dur pour s'infliger les douleurs qu'il méritait.
— Quoi ?
— Si tu fais ça parce que tu t'en veux, alors tu as tort. Emma sav...
— Tu ne peux p...
— Laisse-moi parler !
Il retint son souffle. Alexandre ferma un instant les yeux mais reprit tout de suite après.
— Elle savait des choses, mais pas tout. Le soir du concert, la veille de sa mort, je me suis rendu chez les Duvois. La vieille maison abandonnée où on fêtait Halloween gamins, j'ai eu l'impression qu'elle était vraiment hanté. Des gens sont morts là-bas. Et quelqu'un était passé avant moi. J'ai trouvé une bougie et une pochette sur un bureau. La bougie était en train de brûler. Dans cette pochette, il y avait des documents, des photos. La signature de Charles sur la vente des terres des Duvois, il y avait tous les accords passés du Flamboyant, Lana avec son frère, des articles de journeaux détaillant le meurtre. Mais ce qui m'a terrifié, c'était des portraits de chacun de nous, tous les héritier du Flamboyant. Il y en avait deux avec une croix rouge dessinée dessus. Sasha. Et Emma. Alors je l'ai appelée et je lui ai dit.
— Tu as appelé Emma ?
Il s'approcha sans s'en rendre compte, porté par sa colère.
— Tu l'as appelée alors que tu savais pertinemment qu'elle aurait tout fait pour venger son frère et qu'elle était visée par ce putain de psychopathe !
— Je lui ai dit de rester chez elle !
— Mais putain, Alex !
Il frappa le mur. Son coeur n'était qu'une boule de feu. Quelque chose allait exploser. Il allait faire du mal à quelqu'un. Il le voulait.
— Je suppose, reprit-t-il d'une voix un peu moins assurée, qu'elle n'a fait que compléter avec les informations qu'elle savait. Mais je lui ai fait promettre d'appeler l'inspecteur. Je te le jure.
— Ça t'arrangeait hein ?
Il fronça brusquement les sourcils.
— De quoi ?
— Qu'elle meure. Qu'elle "disparaisse" comme tu l'as une fois si bien dit.
— Non, fit-il en secouant rapidement la tête. Je ne l'appréciais pas, certes, mais je n'ai jamais voulu lui faire de mal. Et j'ai eu peur cette nuit-là. J'ai vu la croix sur son portrait et j'ai su que quelque chose allait se passer, j'ai voulu la prévenir pour qu'elle se protège.
— Où se trouve cette pochette ?
Et tout à coup, son visage se figea dans du marbre et le Alex préoccupé devint Alexandre Voseire. Droit, digne, noble. Aussi dur que le fer.
— Quelque part.
— Bien sûr, fit-il en échappant un rire jaune. Des accords signés, tu as dit hein ? Des preuves suffisantes pour faire couler le Flamboyant. Vous êtes tous les mêmes. Pourris jusqu'à la moelle.
— On protège nos familles.
— Non, vous protégez vos intérêts.
— Tu nous as défendu devant l'inspecteur.
— Parce que la seule chose qui m'importe vraiment, c'est qu'on retrouve ce connard. Je ne participerai pas à votre petit jeu. Mais souvenez vous que des pions sont en train de tomber et qu'un roi sans armée est vulnérable. Ce n'est pas parce qu'il porte une couronne sur la tête qu'il ne peut pas recevoir une flèche dans le cœur.
— Je ne sais pas de qui tu parles.
— Ne joue pas l'idiot. On sait tous qui manie les ficelles depuis le début.
Il retourna dans le salon et demanda les clefs à Chloé. Mais celle-ci refusa.
— Je ne te laisserai pas retourner chez Liam.
— Donne-moi mes putains de clefs.
— Non. Écoute-moi avant.
Il gagna les commodes de l'entrée et chercha ce qui lui appartenait. Si elle ne voulait pas les lui donner, il les trouverait lui-même.
— Tu as besoin de quelqu'un pour t'aider. Je m'inquiète pour toi, tout le monde s'inquiète !
Il fouilla dans son manteau. Il n'y avait rien non plus. Son chantage commençait à lui taper sur les nerfs. Il n'était plus un gamin, c'était fini le temps où elle pouvait l'enfermer dans sa chambre dans l'espoir qu'il lui obéisse. Tous les choix qu'il faisait, c'était sa responsabilité. Alors il voulait juste qu'on lui foute la paix.
— William, je t'en supplie, assis-toi.
— Où elles sont ! s'exclama-t-il dans un élan de colère.
Chloé resta muette. Alexandre apparut et plongea sa main dans la poche arrière de son pantalon. Il les lui tendit. Il ne demanda rien en retour. Pas de promesse, pas de conversation. Il le laissait tout simplement partir.
Et sans savoir pourquoi, William se sentit blessé.
Il arracha les clefs de sa main et partit sans même adresser un au-revoir.
Quand il arriva chez son cousin, il entra dans la cuisine et prit ce qu'il recherchait. Personne n'était là pour l'en empêcher. Sa respiration était rapide et ses mains commençaient à trembler, mais il mit ça sur le compte de l'envie. Il ne prit même pas la peine de monter dans sa chambre. Deux traits, il les respira.
Mais ce ne fut pas suffisant.
Il en reprit. Quand il ferma les yeux pour sentir la poudre s'infiltrer dans son corps, il crut entendre du cristal brisé. La radio qui grésillait. Le poignet cassé. Du sang, partout. Puis le cri d'Emma, un tir, des pneus qui crissaient, la mort. Il se sentit lentement tomber. Il ne put se rattraper. C'était comme s'il était poussé par quelque chose plus fort que lui, un destin qui le voulait absolument voir à terre. L'air ne passait plus dans ses poumons. Il cogna le sol. Les yeux bleus d'Emma plongea dans les siens. Couchée sur le côté, les lèvres retroussées dans un sourire. Du sang coulait le long de son cou. Il voulut effacer cette coulure, la rendre pure de tout crime. Mais il ne toucha que du vide.
Sa gorge se débloqua et il s'étouffa presque en prenant son inspiration. Il voulait qu'elle revienne. Il voulait la voir, même si ce n'était que pour quelques minutes. Pitié. Un court moment. Pour la serrer contre lui, lui souffler que tout allait bien se passer, qu'il était là pour la protéger. Qu'il l'aimait. Tellement fort. Et qu'il était désolé.
Le silence le recouvrait. Elle ne reviendrait pas pour ses beaux yeux. Morte, songea-t-il. Ressaisis-toi. Elle est morte.
Il utilisa le peu de forces qui lui restait pour se redresser et s'asseoir contre le meuble. Parfois, il se demandait ce qu'il faisait là. Pourquoi il s'acharnait à aller de l'avant quand il n'y avait plus rien devant lui. Pas d'avenir. Personne à aimer. Des amis oui, mais des amis aussi brisés que lui. Sa princesse était partie et le château avait brûlé. Eux à l'intérieur.
— Eh, William, ça va ?
Lola, une des filles qui travaillait pour Liam, entra dans la cuisine et le sonda du regard. Il hocha lentement la tête. Ses mains tremblaient encore mais il ne sentait presque plus le sang passer dans ses veines. Voir ses ongles si violets lui fit presque peur.
— Aide-moi à me relever, articula-t-il d'une voix pâteuse.
Elle prit sa main et le tira en avant. Le sol se pencha brusquement d'un côté. Elle posa une main sur son bras pour le retenir. Il prit alors appui sur le meuble et le monde arrêta de bouger. Elle resta auprès de lui. Ses grands cheveux bruns tombaient au-dessus de sa taille et ses pupilles vertes le dévisageaient. C'était une fille magnifique. Une beauté coincée dans cette maison, à vendre de la poudre blanche et coucher avec les mêmes mec nuit après nuit. Comme quoi, naître beau n'apportait rien. Dans cette vie, il fallait naître riche.
Elle remarqua les traits blancs incomplétés sur la table.
— Elle avait l'air d'une chouette fille. Elle ne méritait pas ça.
Il ne dit rien. Liam entra, une cigarette entre ses lèvres. Il leur jeta un regard curieux avant d'allumer le robinet pour se rincer les mains. Alors William songea que c'était le moment.
— Je pars aux États-Unis.
Liam éteignit le robinet et retira la cigarette. Une fumée blanche s'échappa de ses lèvres.
— Qu'est-ce que tu vas foutre là-bas ?
— Avec les Layne, Scott et Voseire.
— Ça t'a pas suffit d'enterrer ta petite Rovel ? Tu veux encore traîner avec eux pour les voir tomber comme des mouches et pleurer à leur mort ?
— T'as craqué ou quoi ?
Il s'essuya les mains et réalisa un geste de la tête pour renvoyer Lola. Quand ils ne furent plus que deux dans la pièce, il continua.
— Si tu ne veux pas souffrir, mieux vaut t'éloigner de ces gens là. Ils ne t'apporteront rien de bon.
La coke devait faire effet parce qu'il fut assez impulsif pour se redresser et s'imposer face à son cousin.
— J'ai grandi avec eux. Ils m'ont accueilli comme un des leurs. Ils sont ma famille.
Les mains de Liam s'arrêtèrent net dans leur mouvement.
— C'est moi ta famille.
— La famille dont tu parles est morte le jour où notre voiture s'est écrasée sur la route.
Il s'apprêtait à passer à côté mais Liam agrippa son bras avec force.
— Tu nous fais quoi là ?
— J'en ai assez de vos disputes de merde sur qui est le méchant de l'histoire. J'ai passé ma vie à jongler entre toi et Chloé sans avoir mon mot à dire.
— Tu as parlé avec elle, c'est ça ?
— Et ça ne m'a rien apporté de nouveau. Tout comme rester ici ne m'apportera rien.
Il se dégagea sèchement de son emprise.
— Je me casse.
Il venait d'autoriser une pensée à se réaliser. Parfois, dans son lit, il s'imaginait partir de cette maison. Se reprendre, rien que pour honorer la mémoire d'Emma. Il ne voulait plus se sentir comme un poids, ou un déchet. Charles, en lui obligeant à partir pour les États-Unis, avait fait naître en lui un nouveau sentiment. Quelque chose que ni Liam ni Chloé ne pourraient lui ôter.
Le sentiment de faire partie de quelque chose. Et peu importait si cette chose était corruptible ou brisée. Emma lui avait offert le bonheur en l'incluant dans son groupe. Il ne voulait pas gâcher ça.
Dans sa chambre, il prit ses affaires et les enfouit dans son sac. Il arracha les photos de son mur, les positionna entre deux pages d'un livre et l'emporta avec lui. Liam se tenait dans l'entrée, les bras croisés sur son torse.
— Je ne te donnerai pas du rab. Tu pars, tu te démerdes.
— Je n'allais pas t'en demander.
Il avait aussi l'espoir de trouver la force d'arrêter. C'était si contradictoire avec ses envies d'il y a à peine une demi-heure, mais devenir un monstre enragé dans l'espoir de respirer de la drogue le rendait pitoyable. Pour une fois dans sa vie, il ne voulait pas s'apitoyer sur lui même. Il voulait agir.
— Tu fais une erreur.
Il ouvrit la porte, laissant le vent s'engouffrer entre les murs.
— Mon erreur, c'était de venir ici.
Dans le froid de mars, il prit sa moto et s'engagea sur la route. Le paysage défilait devant ses yeux, l'air giflait la partie de son visage découvert par la visière du casque. Pour la première fois, il eut la sensation de prendre sa vie en main. Est-ce vivre loin de toute drogue alors qu'il y était encore plongée était une mauvaise idée ? Peut-être. Mais est-ce que y rester en était une meilleure ? Il avait laissé partir Emma à cause de cette merde. Quand on lui avait annoncé qu'elle était morte, il y avait eu la sentation de manquer une étape. Il ne voulait pas revivre ça. Plus jamais.
Il arriva devant la villa d'Erwin et Madden. Le moteur de la moto s'arrêta, il déposa le casque dans le coffret arrière puis alla sonner. La porte s'ouvrit quelques secondes plus tard. Erwin l'inspecta du regard, la curiosité l'envahissant.
— Je suis parti de chez mon cousin et je n'ai... j'ai nul par où aller.
C'était pathétique, mais il devait passer par là. Après ça, tout reviendrait à la normal. Il se reprendrait. Il se le promettait.
Erwin s'écarta pour le laisser passer. Et quand il fut assez proche, il le serra brièvement contre lui.
— Tu seras toujours le bienvenu ici.
Madden apparut dans le vestibule. Elle le reconnut et esquissa un sourire.
Il était de retour chez lui.
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