3- Arwen, le bâtard
Sevros se réveilla le visage humecté de sueur. Dans son sommeil avait défilé une kyrielle de cauchemars à propos de son bâtard. Il se tourna vers sa table de chevet en chêne massif, arbre emblême de sa famille, mais il n'y trouva pas sa couronne, et à la table de chevet se subsituait un vieux tabouret de paille et de bois de faible qualité. "Mais qu'est-ce que c'est que ce bordel ?" grogna-t-il d'une voix juvénile. Il porta ses mains à sa bouche, qu'était-il advenu de sa voix autrefois si puissante, grave et rocailleuse, marquée par des années de beuveries et de batailles ?
Ses yeux parcoururent la pièce d'un coin à l'autre. Un fond d'étable miteux aménagé pour y coucher avec quelques pailles. "Des écuries ? Il renifla fortement, les relents dégoutants des porcs répondirent à l'appel de ses narines. Foutre dieu, c'est une porcherie !" s'indigna Sevros. Un grouinement jovial confirma.
Sevros quitta sa paillasse et se précipita vers le seau placé au coin de la pièce. Il aperçut son reflet dans l'eau qu'il contenait. "Par la queue d'Ophion !" jura le monarque. Ce n'était pas le visage d'un roi bourru, les joues bouffies et le nez rougi par l'ivresse lui renvoyait l'image d'un enfant menu. Des cheveux blonds, fins et malcoupés lui barraient le front. Le garçon avait des iris de saphir, de purs joyaux qui juraient avec sa peau vérolée et crasseuse. Le roi tripota son visage et ressentit sa peau élastique, chaude et creusée par la vérole. Il était devenu un enfant ? Un enfant hideux pensa-t-il. Il but une grande lampée d'eau et versa le reste sur son visage mais rien y changea. Il était toujours dans cette porcherie à l'odeur immonde, entouré par les cris des porcs réclamant leur pitance.
On frappa à la porte et la lumière du soleil pénétra la porcherie. Sevros se couvrit les yeux, ébloui. "Debout mon ange à la peau d'agrume". Une femme se tenait dans la lumière, le soleil lui caressait le visage et accentuait l'or de ses longues boucles qui ruisselaient jusqu'à sa poitrine. Sevros plissa les yeux et discerna les traits graciles qui composaient le visage de la jeune femme. Il contempla la blancheur de sa peau contrastée par la poussière environnante, mais ce qui le subjuga était ses yeux. Les mêmes joyaux azur du garçon. "On a du travail, nourrit les porcs avant qu'il ne te mange comme ton cousin, conseilla la jeune femme.
- Dévoré par des porcs ?! s'horrifia Sevros, J'en ferai du saucisson avant que la vile bête ne me touche !
- Avec les brindilles qui te servent de bras, Arwen ?"
Arwen ? Est-ce donc le nom du garçon ? "Tu auras de meilleures chances de t'en sortir face aux viles bêtes qui nous permettent de survivre. Dépêche-toi de remplir les mangeoirs avant qu'ils ne te trouvent plus ragoutant", le rabrouha la femme. "Et vu leurs cris, tu n'en aurais plus pour longtemps." Elle lui adressa un sourire tendre et malicieux puis quitta la porcherie.
Sevros - ou plutôt Arwen - se souvint soudainement de la femme. Il n'avait vu d'aussi belles miches qu'une fois auparavant, qu'il s'était empressé de fourrer. Le cul d'une paysanne d'un village à la périphérie du château, une petite idylle durant la guerre contre les rebelles. Il se parla à lui-même, décrivant des cercles dans la paille: "Ainsi donc, tu es mon bâtard... Arwen ... Un prénom de jouvencelle. Mais pourquoi diable les dieux m'ont-ils maudit ?" Il fulminait. Se retrouver dans le corps de ce garçon fragile et miséreux était une opprobre à sa personne.
Il regarda les porcs puis les céréales qu'ils reluquaient avec envie. Il saisit le seau, le remplit puis se ressaisit. "Je ne suis pas un garçon de ferme, ce bâtard a beau avoir une gueule d'ange à la peau croûtée, je suis Sevros, seigneur des forêts d'Irigor et je n'ai pas de temps à perdre à nourrir des cochons de merde !" Il jeta le seau sur le groin du plus proche. Les bêtes s'agitèrent.
L'une d'entre elles se dressa et une voix funeste résonna dans la porcherie. "Tu es Sevros, le seigneur des forêts d'Irigor et le pire roi qui ait foulé ces terres. Tu n'es qu'une grosse besace remplit de pinot et de graisse. La couronne qui pesait sur ta tête était une insulte à tes ancêtres, tu ne mérites pas la plus infime marque de respect dont tu jouissais. Ton règne n'était que forniquage et massacres, as-tu une idée du nombre de bâtards qui résident sur tes terres ? 23.
- Et c'est ma faute si les femmes me sautent dessus ?
- Des femmes qui implorent ta pitié et hurlent de souffrance. Tu as tiré sur la corde sensible, vieux phoque et ta chance a tourné. Les dieux réclament ta punition."
Le visage du garçon devint blême et ses intestins gargouillèrent. Il parvint à ouvrir la bouche et prononçant d'une voix tremblante: "Les dieux ... ne me font pas peur.
- Les dieux te terrifient, le porc baissa les yeux sur le garçon. Tes organes ne demandent qu'à se vider dans tes guenilles. Les dieux veulent que tu rassembles les bâtards sous ta bannière et que tu reprennes le trône des mains de Sevros.
- Mais je suis Sevros ! s'insurgea-t-il.
- Arwen, dorénavant, ton corps est actuellement possédé par celui d'un porc, un animal de ta bassesse, le cochon rit, un rire à en faire trembler ses os. La cour ne se doute absolument de rien. Tu as le choix, vivre la vie misérable à laquelle tu as condamné Arwen ou reprendre ton trône et offrir un règne plus juste et plus humain à tes sujets."
Le cochon frappa ses pattes et disparut.
La vessie du garçon se libéra, lui coulant le long de la cuisse.
"Putain de merde ..." jura Arwen.
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