De drôles de métiers

Magicien, voilà un boulot possédant une réelle utilité personnelle et ne se bornant pas juste à sa fonction de gagne-pain. En général, on bosse pour bouffer, aller au cinoche ou boire de la bière quand on en a envie. Enfin, en ce qui me concerne, ça se résume à ça.

Je suis dynamiteur d'ouvrages d'art. Pour ce qui est de l'usage privé, on peut affirmer sans se mouiller qu'on atteint rapidement certaines limites. Une fois, en voulant la réparer, j'ai fait sauter la gazinière de Josy, ma voisine. De façon involontaire, bien sûr. Elle et son mari, Rocky ne m'en ont d'ailleurs pas voulu. C'est là où on reconnaît les vrais amis. Ils désiraient de toute façon s'en débarrasser mais c'est comme tout, on espère toujours que ça va repartir et durer encore pour un petit bout de temps. Cette gazinière, c'est un peu le symbole de la vie, je dis souvent. On croit naïvement qu'elle va durer éternellement - la vie- et puis un jour elle vous claque entre les mains.

Bien que la conclusion de cet épisode soit semblable à celles des travaux pour lesquels on me rétribue, mes compétences de dynamiteur n'ont joué aucun rôle dans cet événement. C'est peut-être ce jour-là que cette pensée m'a traversé l'esprit pour ne plus en déguerpir : ce boulot n'a aucun usage privé. Alors que magicien ...

C'est par l'intermédiaire de Rocky que j'ai rencontré ce magicien. Il n'avait pas un cursus phénoménal mais je faisais confiance à Rocky. Vador, il s'appelait. Un magicien du sud-ouest, de Toulouse, comme il disait avec son accent. A la ville, il portait un drôle d’accoutrement : un costume trois pièces noir satiné, des mocassins cirés, un feutre sombre et des Ray-ban. Il arborait une fine moustache qu'il triturait sans cesse de ces doigts bagués d'or. En fait, je ne l'ai vu que deux fois : le soir où il est venu prendre un pot avec Rocky afin qu'on s'entende sur les modalités et la nuit où il est revenu encaisser le reste de l'argent après avoir fait disparaître Maggie. Car c'est pour cette raison que j'avais besoin de lui.

Maggie était ma femme et il n'y a pas que dans les séries B où le mari a en tête de voir sa femme se volatiliser. J'avais lu des bouquins épais comme une dizaine de bâtons de dynamite posés à l'horizontale qui traitaient de la magie. Un notamment parlait d'une certaine peuplade africaine qui, grâce à des rituels précis et complexes, pouvait faire disparaître ou réapparaître n'importe quelle personne sur cette Terre. C'est en cela que le job de magicien peut s'avérer précieux.

J'avertis Rocky de mon désir de voir disparaître Maggie. De suite, il sembla avoir l'article idéal en rayon. De ses années marseillaises, dix ans avant de débarquer dans le quartier, il connaissait tout un tas de monde dont un magicien qui, sans rituels grandiloquents comme les pratiquait cette peuplade africaine, pouvait me débarrasser de Maggie. Moyennant quelques billets, bien sûr.

Le métier de dynamiteur d'ouvrages d'art est très fluctuant et ne rapporte pas gros mais monsieur Vador semblait être un vrai professionnel de la disparition et j'étais prêt à faire quelques sacrifices.

Lors de cet apéritif organisé en son honneur, j'essayai de le tester, de percer ses secrets de magicien, lui parlant de ces types qu'on voit à la télé faire disparaître des jeunes filles quasiment nues derrière d'immenses draps ou encore dans des caisses de verre parfois remplies d'eau. Mais il se contenta de ricaner d'un rire gras, assez impressionnant d'ailleurs. Je fus quelque peu surpris par son attitude mais il est vrai que le charme de ces personnages réside dans le mystère qu'ils dégagent.

Ce mystère si caractéristique s'est manifesté de façon plus prononcée la nuit où il est venu chercher le reste de l’argent. Il est arrivé en Mercedes noir métallisé escorté d'un clone-associé. D'ordinaire, les magiciens sont accompagnés de donzelles court vêtues mais lui non. Il avait la joue balafrée et la main bandée. Je lui demandai ce qu'il lui arrivait et il me répondit que le tour de passe-passe ne s'était pas déroulé comme prévu. L'action avait eu lieu dans le RER que prend ma femme pour revenir du travail - elle revient tard, vers 22 heures. Bonne idée je me suis dit, ce type va à la rencontre de son public. Dérider les usagers du RER constitue également une véritable action sociale. Bravo, monsieur Vador, j'applaudis des deux mains ! Mais ça a mal tourné m'a-t-il annoncé, sans plus d'explications.

Je le sentais un peu pressé alors je lui ai filé son pognon et il a décampé. Pour d'autres démonstrations de magie un peu partout dans le pays, je présume.

C'est le matin, en lisant le journal que j'ai compris ce qui s'était passé. Vador avait voulu faire disparaître Maggie et une espèce de brute épaisse s'en était mêlé. Vador avait été contraint de faire disparaître celui-ci aussi. Mais c'est l'histoire du couteau que je n'ai pas bien pigé sur le coup. Pourquoi avait-il utilisé un couteau pour son tour de magie ?

                    *

Aujourd'hui, je comprends mieux. J'ai été dupé. Ce type était un incompétent. Son tour, certainement mal préparé, avait déraillé et Maggie en avait fait les frais. En plus d'avoir raté son coup, ce type était une balance. Voyant que l'affaire tournait au vinaigre, quand les flics ont débarqué, j'ai pris mon air abattu - je l'étais réellement d'ailleurs à cause de toute cette mascarade orchestrée par Vador - et leur ai baragouiné que je ne comprenais pas ce qui s'était passé. Mais la magie ne pèse pas lourd face aux services secrets et dans l'après-midi, Vador s'est fait piqué. Le salaud a lâché le morceau sans qu'on ait besoin de le passé au chalumeau.

Maintenant, mon existence semble avoir radicalement changé de voie, se dirigeant lentement vers une sorte de nuit froide et opaque. Et ce n'est pas la magie qui va me faire sortir de derrière ces barreaux. Rocky, sentant le vent tourné, a mis les voiles. Josy, elle, vient me voir une fois par semaine. Depuis un mois, elle me fait passer des bâtons de dynamite. D'ici l'été, je pense pouvoir faire sauter ce mur et tailler ma route. Finalement, dynamiteur d'ouvrages d'art s'avère être un boulot très utile. Plus que magicien en tout cas. Et puis c'est bien moins dangereux. Enfin, il me reste encore à résoudre le problème de la taille de la cellule. Ils m'ont casé dans un cachot minuscule et je ne vois pas bien comment je vais pouvoir faire sauter ce mur sans me griller la cervelle du même coup. Enfin, d'ici l'été, j'aurais certainement une nouvelle idée de génie ...

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De drôles de métiersChapitre4 messages | 2 ans

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