Quelle étrange sensation que de se retrouver face ces choses qui nous effraient le plus. Cette sensation oppressante et désagréable. Ces frissons. La gorge qui gratte. L'impression d'impuissance maintenant que l'on se confronte à ce qui nous paraît des plus dangereux. Je ne sais plus quoi penser. Je ne réfléchis plus. Je suis juste là. Debout. Les jambes tremblantes. Les yeux grands ouverts. Cette inquiétude et cette panique dans mon regard se font aussitôt ressentir dans le rythme qu'emploie soudainement mon diaphragme. Les mains moites et la sueur sur mes tempes. Tout cela, cet état général inhabituel, me perturbe. Lui aussi.

  Il est debout, face à moi. Grand. Svelte. Et fier. Il a réussi. Il m'effraie. Je ne veux pas le regarder et pourtant c'est exactement ce que je suis en train de faire. Incessamment. Avec insistance. Je ne peux me détacher de ses yeux qui sont aussi les miens. Ma main tenant cette hachette est engourdie, mais je n'ose pourtant pas bouger. Pas d'un millimètre. Je suis tétanisé face à lui. Lui qui, sans aucun doute, est bien plus serein. Il fait un pas vers moi, avec ce sourire sadique agrafé dans la commissure de ses lèvres. Dans l'élan, il soupire, d'un air prétentieux. Je vacille et m'effondre en arrière, face à lui. Face à moi.

 Je ne peux pas. Je n'arrive pas à comprendre. Comment pourrai-je me faire une chose pareille ? Mais je n'ai pas le choix. Je m'empresse de lever mon bras, ce qu'il fait également. Lui, prit de panique, moi, décidé. J’abats alors cette hachette droit dans mon thorax. Quelques craquements, et des hurlements de douleur qui ne sont pas les miens. Je ne peux que recommencer. Trois, quatre, cinq fois. Cette hachette qui cisaille ma poitrine avec rigueur. Le sang ne manque pas à se répandre sur son t-shirt. Puis il s'effondre. Les deux genoux à terre, il me regarde, les yeux emplis de larmes. Il entrouvre la bouche pour laisser s'échapper un filet de salive sanglante et noirâtre. En me mutilant, c'est lui que je blessais. Je n'ai rien. Pas même une griffure. Je reprends confiance et me redresse, tout comme lui. Nous sommes à genoux, droits et face à face. Son torse ouvert. Ma main tremblante, encore emprise de pulsions nerveuses. La hachette dans mon thorax sain. Le sang sur son torse agressé. Je suis à nouveau face à lui. Face à moi.

 Le roi est encerclé. Piégé. Échec et mat. Du moins, c'est ce que je pensais l'espace d'un instant. Alors que je croyais la partie terminée, j’aperçois ses yeux se détourner des miens. Il regarde sa poche de Jean. J'y observe une proéminence. Quelque chose d'étrange. Sa main pénètre dans sa poche. Mes yeux font des allers-retours saccadés entre les siens et cette forme particulière. Il retire lentement sa main, accompagnée d'un revolver. Je me mets alors à sangloter si fort, qu'il se précipite et porte son arme sur son cœur. Mon bras prend la même position que le sien. Le même angle de tir. Ma main sur la gâchette, l'inexistante. La sienne sur la gâchette, la véridique. Son index se fléchit lentement, entraînant le mien. Je suis impuissant. Je ne peux rien faire. Le temps est ralenti. Je sais ce qu'il va advenir. Je clos mes paupières, lui m'imite. Et il tire, avant que nous tombions au sol dans un bruit sourd. La balle a transpercé ma poitrine, à quelques centimètres de mon cœur. Il n'a pas été touché. Mais il se vide de son sang, des suites des blessures que je me suis infligées pour lui. Nos corps sont désormais parallèles, mon regard incompréhensif plongé dans le sien, perdu, et nos vêtements souillés d'hémoglobine. Je suis encore face à lui. Face à moi.

 Je sens mon rythme cardiaque s’affaiblir. Mais la défaillance le touche lui. Il est mort. Je ne peux pas. Je n'arrive pas à comprendre. Pourquoi suis-je toujours en vie, face à un corps qui est le mien et que j'ai massacré ? Je me relève, dubitatif, cherchant à regarder les choses d'un nouvel œil. Cet homme qui me voulait du mal. Cet homme que j'ai heurté. Cet homme qui a joué sa dernière carte et qui m'a perforé le buste. Pourtant, c'est moi que je visais, et il se visait lui-même. Quoi qu'il en soit, je quitte cette maison, en titubant. Je passe le seuil de la porte dans l'espoir de trouver de l'aide. Le chemin va être long. Descendre toute cette montagne. Ce froid. Et mon sang fuyant mon torse. Je le regarde une dernière fois. Cet assassin. Son corps qui est le mien, gisant sur le sol. Je me retourne et franchis les bois avant d'enfin trouver ce bitume, à quelques mètres. Une longue, très longue route, droite, s'offre à moi. Il n'y a plus qu'à.