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Le lendemain, le temps s’affiche encore joyeux. Il repart sur le même chemin. Il comptait faire la boucle, par le haut de sa colline. Après quelques pas, il se demande pourquoi il part toujours dans le même sens. Combien de fois s’est-il promis de faire son tour dans l’autre sens ? Mais ses pieds décident pour lui avant qu’il ne s’en rende compte. Ne pas pouvoir contrôler ses automatismes l’amuse et l’énerve un peu.
Une fois arrivé, il se pose devant son paysage éternel. Il n’a plus rien à analyser alors que les premières années… Il s’arrête. Pourquoi les premières années ?
Quand l’âge de la retraite avait approché, il avait progressivement diminué son cheptel*. Il avait tout calculé auparavant et s’était organisé pour réduire doucement, ce qui avait été une bonne idée. Lorsque ses dernières vaches étaient parties, cela lui avait remué le ventre et fait monter le cœur au bord des yeux. Il s’y était pourtant préparé, imaginant le désespoir qu’il allait ressentir. Tourner cette page avait été un moment fort. Pour les dernières, ses préférées, il avait choisi de les laisser à Daniel, car il traitait ses animaux avec respect.
Finalement, comme il l’avait prévu, cela n’avait pas été trop dramatique, car très graduel. Sans vouloir l’admettre, ne plus avoir cette responsabilité des bestiaux et des terres avait été un soulagement. Tout dépendait tellement de lui. Un retard, un oubli, une inattention pouvait perdre une récolte, tuer une bête. Il n’empêche ! Quand il passait devant les stabulations vides sans entendre le raclement des mâchoires en rumination ou des pieds sur le caillebotis, sa première frayeur était de trouver toutes ses bêtes mortes. L’absence des odeurs lui rappelait alors qu’elles étaient parties. Un apaisement venait. Il avait mis plus d’un an à oublier cette montée d’adrénaline à chacun de ses passages. Puis la SAFER* avait vendu les bâtiments et Pradel y avait amené ses taurillons. Il avait retrouvé les bruits, les émanations et la vapeur du fumier. Maintenant qu’elles sont revenues, il peut les ignorer, ce n’est plus son affaire.
La transition avait été lente. Au fur et à mesure qu’il ralentissait son activité, il organisait la suite. Cela lui remplissait la tête autant que l’élevage. Il avait complètement modifié la maison, car il allait y passer de plus en plus de temps, bien obligé ! Il avait engagé des travaux pour transformer ce logis ancestral : la nouvelle cuisine, la salle de bain, sa chambre. Il espère y mourir, sans vouloir y penser.
Il reconnait que pour ça aussi, il a été bête. Il savait depuis longtemps qu’il entreprendrait ces améliorations, mais il n’était jamais parvenu à se décider auparavant. Se faire du bien, ce n’est pas important, s’était-il répété, trop souvent. Alors que, franchement, la grande douche avec le robinet automatique est vraiment agréable. Comme la cuisine avec tous ces rangements si pratiques, par rapport à l’entassement et à la saleté d’avant. Il aurait pu avoir un quotidien plus confortable bien plus tôt. Il lui aurait suffi de s’en occuper, car les sous, il les avait.
Ce n’est pas ce qu’il touche pour sa retraite qui lui permettrait de telles dépenses ! Avoir cotisé toute sa vie pour cette somme ridicule, c’est honteux. Quand il travaillait, il avait des facilités. Jamais il n’aurait admis qu’il gagnait plus d’argent que ses besoins, pour ne pas attirer la jalousie et les ragots. Ce n’était pas non plus des milles et des cents, mais il avait peu d’envies et avait pu mettre des sous de côté. Ce n’était pas comme à présent où les jeunes vivent des aides de Bruxelles* et, en même temps, paradent sur trois ou quatre magnifiques tracteurs, trop pressés pour changer d’outil ! Il ne les comprend pas. C’est déjà une autre époque.
Avec la cession des terres et des bâtiments, il est devenu riche, très riche. Cette fortune est apparue quand il n’en avait plus l’usage. Là encore, c’est incompréhensible : survivre chichement toute sa vie, alors que l’on possède et que l’on exploite un tas d’or ! Il avait eu de la chance, car le prix des terres, depuis leur vente, a dégringolé.
Bien forcé, il a laissé cet argent au Crédit Agricole. Un conseiller qui utilisait des mots dont il ne saisissait pas le sens le lui avait placé. Comme pour les engagements, il se doute bien que la banque s’enrichit sur son dos. Comment faire autrement ? Après tout, c’est la banque des agriculteurs, mutualiste en plus…
De toute façon, cela n’a plus d’importance. Il a rendu sa maison confortable, il participe aux voyages du club, il n’a besoin de rien d’autre. Si des problèmes de santé surviennent, il veut trouver une bonne maison de retraite. S’il en reste, cela ira à des cousins et des cousines éloignées. Cela ne l’intéresse pas. Une rancœur cependant l’habite devant l’absurdité de tout ceci.
***
Ces petits aménagements avaient été beaucoup de soucis. De plus, avoir un ouvrier chez lui pendant plusieurs jours l’avait dérangé.
Il sourit avec dérision, car les travaux précédents remontaient à l’installation de l’évier, à l’arrivée de l’eau dans le hameau. Sa mère était encore là. Elle avait beaucoup maugréé sur cet argent jeté par la fenêtre. Avant sa mise en place, car une fois l’eau sur l’évier, elle n’avait plus rien dit.
Il oubliait : il avait quand même apporté des améliorations par la suite, comme l’eau chaude. Cela aussi avait été agréable, surtout en hiver. Puis la première douche. Ces petites installations, vite réalisées, lui avaient procuré un vrai confort.
Toutes ces opérations l’avaient préoccupé longtemps et ce n’est que récemment qu’il se retrouve sans grand-chose à méditer.
Alors, quand il pense les premières années de sa retraite, il trouve que cela ne veut rien dire ; dire ces dernières années passées serait plus approprié. C’est le genre de pensées qui lui traversent la tête maintenant, des broutilles, car elle a toujours autant besoin de fonctionner.
À propos de choses auxquelles réfléchir, la prochaine est le chauffage avec le poêle qui commence à lui peser. Il chauffe bien la pièce et la chambre, mais couper et porter le bois, en remettre sans arrêt, le relancer le matin, toutes ces manipulations le fatiguent. Il ira se renseigner à la boutique du plombier en entrée de ville, à Montaubourg, bientôt. Il est satisfait, car voilà un sujet qui va bien l’occuper d’ici l’hiver prochain.
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