Aussi bien que possible

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J’ai rencontré plusieurs de mes patients permanents avec ma collègue future retraitée. Chez cette dame, pendant une partie de l’intervention, nous cohabitons avec une infirmière. Madame est diabétique, elle doit donc prendre des médicaments et que l’on vérifie son taux de glycémie avant la prise des repas. Notre rencontre s’est donc faite dans un brouhaha de conversations et d’une télévision montée au maximum. Avec son accent, j’ai du mal à comprendre ce qu’elle me dit. Je me sens un peu désorienter. Il y a des tâches précises à faire. Beaucoup, en peu de temps. Surtout le soir et le midi.
La première rencontre à mes yeux s’est donc faite lorsque j’étais seule à intervenir. Elle a fait partie de mes premières patientes.

J’étais très enthousiaste à l’idée de la satisfaire. Cette petite dame aux cheveux blond colorés avec un large sourire teinté de rouge. Les yeux rieurs, toujours tournés vers sa terrasse couvertes de pigeons impatients et affamés.
Elle s’occupe d’eux avec pleins d’amour et d’attention, même si son action se révèle négative pour eux*. Leurs présences lui permettent d’avoir un but, être celle sur qui on peut compter.
Je m’applique à ne rien oublier mais je ne suis pas très à l’aise. Etant maladroite, je me cogne, échappe la vaisselle quand je la lave, tape les plaintes avec le balai. Tout ses petits bruits désagréables que je dois à tout prix faire disparaitre.
Nos échanges sont très compliqués. Je ne comprends qu’un mot sur cinq et c’est la panique dans ma tête. Comment puis-je lui répondre ou même réagir correctement sans comprendre le moindre mot ?
A la télévision, une émission de compétition entre plusieurs mariés la passionne. Elle rit de bon cœur et fais quelques remarques. J’ai l’impression qu’elle comprend tout !
On rigole ensemble, je m’appuie sur la télé pour avoir des échanges.

Je fais du ménage mais elle insiste pour que je m’assoie avec elle. Je fini par le faire. Je note dans le cahier le menu, les tâches que j’ai faites. Elle me pose pleins de questions. Je comprends qu’elle n’aime pas que l’on écrive sans lui en parler.
Très vite, elle me parle de son tuteur. La mise sous curatelle l’a surprise et le fait de pas avoir accès à son argent la perturbe. Elle se sent jeune et alerte. Elle ne comprend pas que la démarche est faite pour la protéger. Son héritage est conséquent. Elle possède de nombreux biens et les visites sont quotidiennes, trois fois par jour. A chaque fois, c’est différent et il y a aussi les infirmières et celles qui portent le repas.
Il est préférable qu’il y ait un contrôle. Je ne cherche pourtant pas à aller dans ce sens. Je lui dis que c’est pour son bien mais appuie sur le fait que je la comprends. Sans allumer les braises.
A mon départ, elle semble satisfaite de mon travail. Elle me complimente même sur la quantité effectuée.
Je ne le prends pourtant pas pour acquis. Les personnes âgées par pudeur, ou par vice peuvent cacher leurs pensées et mettre un masque en notre présence. Je sais simplement pour cette dame qu’elle n’ose pas demander ou dire quand ça ne va pas.

Après plusieurs interventions, je prends mes marques. Je dois trouver le juste équilibre entre discuter avec elle tranquillement et faire les tâches nécessaires.
Je teste différents ordres. Parfois, c’est trop court pour le ménage et me retrouve à courir. Ce n’est pas bon. Elle me voit faire les choses en toutes hâtes. Elle culpabilise d’abord de ne pas pouvoir le faire elle-même. Puis elle doit aussi se dire au fond que ça ne peut pas être bien fait. Je le conçois.

Et puis un jour, je passe un merveilleux moment avec elle. Les tâches ne sont pas faites avec hâte mais dans le calme. Je vérifie chaque petit détails liés à son confort ou à ses goûts. Je refais l’ouverture du lit le soir lorsque ce n’est pas à son goût. J’aère sa chambre pour retirer cette odeur affreuse qui émane de la chaise percée. Je soigne même les recoins qu’elle ne fréquente plus, pour préserver son appartement. J’ai appris moi aussi à reconnaître le chef des pigeons et m’inquiète à ses cotés de ne pas voir le tout blanc. Je vérifie que l’assiette creuse soient toujours remplie d’eau de pluie. Je les observe tremper leurs têtes entières dans l’eau. Je prends plaisir à voir les moineaux se laver. Et regrette aussi le fait que les pigeons ne leurs laissent aucunes miettes.
J’aime regarder l’émission qu’elle regarde. Je lui explique les règles et les particularités du soir. Je comprends que tout n’est pas toujours clair mais que ça l’a fait rire. Lorsqu’elle est dubitative, elle ne devient jamais méchante. Ce qui ne l’empêche pas d’être piquante.
Parfois, elle l’est avec nous. Parce que ce matin, elle n’est pas d’humeur à sourire.

Pourtant, rien ne change, elle me dira toujours « Je vais aussi bien que possible » après mon « comment allez-vous aujourd’hui ? » ; échangera même un sourire. Elle est triste et heureuse en même temps. Comme si son cœur était apaisé alors que son corps lui ne cesse de décliner.

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