Chapitre 8 - Blanc

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« Je pense, et certains autour de cette table sont du même avis que moi je le sais, que nous devons mettre un terme aux guerres des habitants de ces terres. Pour cela, je ne vois que deux solutions : une violente et une non-violente. Nous avons essayé la première, mais c'est moi-même qui l'aie faite échouer, et vous m'en voyez profondément marquée. Alors, je voudrais vous parler de la seconde, parce qu'elle est plus difficile, plus dangereuse aussi, mais si cela peut vous rassurer, elle est tant physique qu'intellectuelle. Ce que je vous propose, c'est la révolution par la connaissance, la révolte des idéaux, le combat des pensées.

- Et comment sommes-nous censés pouvoir vous aider, en tant que Familles ?, demande Katty, la Violette. Je vois mal les Rouges et les Jaunes tenir des conversations élégantes dans les salons...

- Eh bien, vous avez parfaitement raison, Maîtresse Resworns. Je pensais donc leur confier, ainsi qu'à vous, des tâches un peu plus secondaires soit, mais bien plus adaptées à vos compétences. Je vais, sous un pseudonyme, publier notre histoire, celle des Gardiens et des Hommes, celle du commencement des temps, et je voudrais que chacun de vous aille acheter, en personne, un exemplaire de ce livre. Vous devrez répandre ses idées, et donc les miennes, au moins aux gens qui vous entourent, et à ceux qui pourront nous aider. Pour ceux qui considèrent la lecture comme un passe-temps inutile, je préfèrerais que vous tentiez tout de même de vous plonger dedans, mais si c'est trop vous demander que de lire un livre, n'ayez crainte, j'ai d'autres plans pour vous. Une fois votre lecture terminée, ou du moins après une tentative de lecture, vous irez, au choix, dans des salons, dans des tavernes, où vous voulez, et vous écouterez ce qu'on dit de cet écrit. Si tout se passe comme je l'espère, les premières idées révolutionnaires vont se mettre en marche chez les plus cultivés. Relevez les noms et les idées de ces gens, et transmettez-les-moi par n'importe quel moyen. Je convoquerais une assemblée de ce type sous la forme d'un salon, et nous mettrons en œuvre une seconde partie du plan, que je vous expliquerais à tous une fois le moment venu. »

Comme je l'espérais, la plupart hochent la tête, soit parce qu'ils sont en accord avec mon plan, soit parce qu'ils n'ont rien de mieux à proposer. Seul le Blanc, comme d'habitude, veut me contredire.

« Seriez-vous folle ? Vous savez comme nous tous que cette histoire jetterait des milliers de personnes sur le bûcher ! Nous tous sommes des victimes potentielles de votre hérésie ! J'y étais, moi, il y a cinq cent ans. J'ai vu l'horreur que nous avons provoquée.

- Mais vous n'avez pas vu l'espoir briller dans les yeux des prisonniers, des condamnés à mort, vous n'avez même pas imaginé les applaudissements qui ont résonné après mon incarcération dans cette tour. Je les ai entendus, moi. J'ai vécu, plus que vous, Maître Morgan, auprès des victimes de mes actes. Lorsque moi, j'ai commencé à regretter d’avoir agi, j'en ai entendu des pleurs. Et puis j'ai entendu des gens hurler sous la torture parce qu'ils ne voulaient pas dénoncer leurs camarades. Je crois même avoir perçu la voix de votre père qui riait. On lui avait demandé le nom de ses complices, et lui, il riait, incapable de s'arrêter. Je peux vous le dire, moi. Je sais tout ce qu'il s'est passé sous mes pieds pendant cinq cent ans. J'étais juste au-dessus de la salle où ils s'amusaient à faire se tordre de douleur leurs victimes. »

Il serre les poings. S’il lui prend l'envie de frapper d’un grand coup sur la table, il vaudrait mieux que… Mais il se ravise. Son regard croise le mien, et je comprends qu’il retient ses larmes. C'est incroyable ce que les souvenirs peuvent révéler d'un homme. Il suffit d'évoquer le passé pour frapper sur la glace et la briser… Le silence s'achève enfin avec la voix du Chef Bleu qui demande :

« Maîtresse Helen… Votre plan met en danger certaines des plus puissantes Familles de tous les temps, et celles-ci n'ont pas pu être présentes aujourd'hui. Voulez-vous les prévenir vous-même, ou préférez-vous que nous le fassions pour vous ?

- Ces Familles donc vous parlez sont celles qui m'ont soutenue, ainsi que vous, pendant plus d'un millénaire. Il m'étonnerait donc de recevoir de mauvaises nouvelles de la part de celles-ci. Elles sont plus que capables de se débrouiller seules, peut-être encore plus que vous tous réunis. Elles comprendront. Elles ne s'étonneront pas de voir à leurs portes la Garde Royale et l'armée, car elles auront lu mon ouvrage, et elles auront compris sans que nous n'ayons besoin de leur en parler.

- Et ceux qui ne peuvent se défendre seuls ? Ceux qui ont oublié et qui se souviendront trop tard ? Tous ceux que nous ne pourrons protéger, vous voulez les abandonner ?

- Je n'abandonne personne, Charlie, je rétorque, légèrement agacée qu’un autre que le Blanc mette en doute mon plan. Je laisse juste le choix à la population de suivre ou non nos idées, je n'ordonne pas aux troupes de se jeter sur eux. Chacun aura sa propre opinion sur mes dires, et il y en aura probablement qui n'accepteront pas ce qu'ils liront. Je voudrais bien, comme vous tous, protéger tout le monde, mais ceux qui se rallieront à notre cause sauront dans quoi ils s'engagent. Je ferais mon maximum, et si nous ne pouvons éviter les combats, je serais en première ligne, mais je ne suis qu'une Immuable. Je ne connais pas moi-même le secret de ma survie. »

Le silence se fait d'autant plus pesant que visiblement, tous ont la même idée en tête. Le village des Immuables a été détruit et leurs habitants massacrés. Je ne sais pas par quelle magie ils y sont parvenu, mais nous devons tous redoubler de prudence. En tout cas, il est temps pour nous de nous séparer.

« Si plus personne n'a de questions, cette réunion est terminée. L'opération Papillon commencera bientôt, tenez-vous prêts. »

Ils hochent la tête et disparaissent petit à petit. Je suis presque seule dans le salon, lorsque la Cheffe Noire pose une main sur mon bras. Je croise son regard sombre. Une tempête fait rage en eux, mélangeant le bleu d'une mer lisse au noir de la colère. J'ai rarement vu une Elfe dans un tel état. Sa main serre mon bras, et elle s'accroupit pour me prendre dans ses bras. Elle pleure. Son corps tremble tellement fort que c'en est inquiétant. Je lui caresse les cheveux, comme j'ai eu l'habitude de le faire avec tous les membres de cette Famille depuis le commencement des temps. Les Elfes sont si émotifs qu'ils peuvent ressentir les émotions des autres espèces par simple contact, et elle a probablement reçu une infime partie de ce que je garde en moi.

« Comment faîtes-vous pour ne pas succomber à la douleur, Maîtresse ? Comment avez-vous réussi à passer au travers de toute cette peine, de tous ces drames ? Je n'ai pas senti une once de colère en vous, et vous n'avez jamais hurlé pour faire s'échapper la peur. Comment êtes-vous devenue aussi forte, oh Maîtresse ? »

Un pauvre sourire étire mes lèvres. J'en ai versé des larmes, j'en ai ravalé, des chagrins. J'ai combattu la rage, j'ai bravé la peur. J'ai traversé la mer des émotions à la nage, alors que les humains s'y noient. Mais je ne peux pas lui dire. Les seuls mots qui parviennent à passer mes lèvres sont une supplique, adressée aux Dieux.

« Y aura-t-il un jour une fin à tout ce que je ressent, au fond de moi ? »

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