Chapitre 4 - Filet Sournois
Nalya, flanquée de Kyos, errait dans les galeries quand Faerys les retrouva. Elle l'enlaça, soulagée qu'il ait survécu au guet-apens. L'inquiétude serrait sa poitrine depuis leur séparation, dans le feu de l'action, le combattant l'avait tirée à l'abri. Le cadet se tendit à la soudaine étreinte, ses bras pendaient le long de son corps et il se recula au bout d'une dizaine de secondes. Le prince avait enfoui ses propres craintes pour sa sœur au fond lui. Il ne voulait pas se soucier d'elle. La tortue sentit sa résistance, ce qui la peina, elle se recula.
Le poulpe lui tourna le dos et les guida au repère des pirates où Sperys échangeait avec le capitaine comme avec un ami de longue date. Ils se souriaient, les épaules relâchées, les corps tournés l'un vers l'autre. Un froid s'épandit dans sa poitrine à cette vision. Le pirate avait l'âge du nérite et au moins autant d'expérience que lui, pour Faerys, il s'agissait d'un concurrent potentiel. Nalya fronça les sourcils et se planta devant eux, les bras croisés.
« Je peux savoir ce que vous faîtes avec ce criminel ?!
— Je sympathise ? Et grâce à moi, nous pouvons continuer notre route. Princesse, je vous présente Gorys. Gorys, Nalya, princesse d'Atlantide.
— Enchanté, je vous baiserai bien la main mais je crains que le plaisir ne soit pas partagé. »
Il arbora un rictus en réponse à son aura orageuse. Le pirate ne se plierait pas à une humiliation pour une princesse, encore moins celle qui vivait au plus près de Falside. Nalya ne se démonta pas et l'ignora purement et simplement pour confronter Sperys. Elle connaîtrait le prix de cette liberté. Et elle n'appréciait pas le ton narquois de Sperys.
« Ne me prenez pas pour une enfant. Qu'avez-vous fait ?
— Rien qui ne vous concerne, votre Altesse. Vous materner serait de vous dire de me laisser faire. Là, je vous demande de grandir et de comprendre. A moins que vous ne souhaitiez tailler notre sortie à la pointe de votre épée et sans prendre de vie ? Passez devant. »
Nalya voulut protester mais se trouva sans voix. Elle baissa les yeux, confuse. Répandre la mort, elle ne le souhaitait pas. Elle se tut mais fusilla le pirate du regard. Cet arrangement ne lui plaisait pas pour autant. De son côté, Faerys apprécia la remise en place de sa sœur par les deux aquaïens. Et il haït Gorys qui gagnait son respect malgré lui.
Après discussions avec le calmar, le pirate avait envoyé ses compagnons diffuser le message de Sperys aux autres équipages. Cet antre vide l'attristait, la proximité causée par la vie de brigand étouffait mais elle manquait aussi. Il prévoyait de suivre Sperys, son instinct lui soufflait que le nérite irait loin dans ses projets. Et son attitude face à la princesse cultivait son estime à son égard.
***
Faerys s'éveilla au bruit d'un moteur. Un chalutier naviguait au-dessus de leur tête. Ils avaient dormi près d'un récif corallien, avec leur nouveau membre à son grand désarroi. Les marchands avaient refusé de poursuivre leur route accompagnés d'un pirate. Mais Sperys se reposait contre lui, alors son âme s'apaisait. La perspective d'asphyxier son amant de sa jalousie écrasait son cœur parce qu'il ne doutait pas de sa fidélité. Comme toujours, la jalousie était un problème interne. Ses sentiments étaient si forts qu'il en avait mal physiquement, perdre Sperys le terrifiait. Il contempla le visage de son aimé, souriant à son adorable nez retroussé. Charmant était le mot qui le définissait le mieux.
Il nota alors l'absence de Nalya, il se redressa, scanna les alentours et l'avisa, assise, dos à leur petite troupe. Elle fixait un une éponge endémique et suivit un espadon qui chassait un banc de sardines du regard. Son corps s'installa à ses côtés sans son accord. Le silence régna jusqu'à ce qu'elle pousse un soupir résigné. Elle lui tira les vers du nez, elle s'inquiétait de sa relation avec le calmar.
« Depuis quand es-tu avec lui ? Es-tu sûr de bien le connaître ?
— Quatre mois et oui. C'est bon, Maman ? Ne rejette pas ton offense sur moi.
— Cesses d'être si froid.
— L'anémone qui se moque du poisson-clown. On pourrait parler de ce betta, non ?
— Il n'y a rien à dire. Nous partageons un état d'esprit serein, rien de plus. Tu le saurais si tu nous avais accompagnés à Falside.
— Pour les voir crever à petit feu ? Non merci. Je ne suis pas l'héritier, je n'ai rien à assumer. Tu le fais très bien d'ailleurs.
— Tu as abandonné nos parents quand ils avaient besoin de soutien. Et moi aussi. Tu n'es qu'un égoïste. »
Les traits du cadet se déformèrent de rage. Elle n'avait aucune leçon à lui donner ! Des mots virulents envahissaient sa bouche. Sa volonté pour les retenir le fit trembler. Il n'eut pas le loisir de déverser son venin. Un lourd filet s'écrasa au fond de l'eau et traîna sur le sable, il raclait le récif et ramassait tout sur son passage en soulevant un nuage opaque. Les filtres protégeaient leurs branchies des fins grains, ils rebroussèrent chemin vers le groupe, hurlèrent pour les réveiller dans la course contre le piège de pêche.
Le nérite se redressa comme un ressort. Il secoua le pirate et le combattant, les poussa hors de la trajectoire du filet et se fit happer avec le reste des prises. Un chapelet de juron lui échappa alors qu'il se saisissait de sa lame pour couper les cordages. Néanmoins, l'agitation des poissons et la pression de plus en plus forte causée par la remontée lui coupa la respiration et limita sa marge de manœuvre. Faerys sprinta et s'accrocha au maillage, pour l'aider à le trancher. La surface se rapprochait dangereusement et il était difficile de couper sans blesser Sperys ou les autres prises. Pour être honnête, il se fichait bien des poissons s'il s'agissait de délivrer son amant. Les cordes cédèrent les unes après les autres jusqu'à créer une brèche par laquelle il pouvait s'échapper. Le calmar lui sourit et s'accrocha au filet, passant son bras dans son dos pour le maintenir lors du choc de la sortie des flots.
D'autres proies tombaient par le trou avec les trombes d'eau. Le filet fut ramené sur le chalutier sous les exclamations d'humains au teint halé et au cheveux sombres équipés de salopettes en caoutchouc. Sperys atterrit tout en souplesse sur le pont. Il toisa les pêcheurs. Il changea sa prise sur sa dague, la lame longeait son poignet, son pied glissa de quelques centimètres pour un meilleur appui. Le prince comprit que les humains n'en réchapperaient pas. Il se laissa tomber du filet suspendu au portique sur un humain, son poignard s'enfonça dans la chair de sa nuque. Le bruit humide, le craquement sec et le sang chaud qui arrosa ses mains exalta ses sens. Des frissons de plaisir remontèrent le long de ses bras alors qu'il lisait le choc sur les visages des congénères de sa victime. Ces humains méritaient ce sort. Sans avoir de super pouvoirs, vivre sous l'eau leur conférait une puissance musculaire naturelle décuplée à l'air libre.
Un homme attaqua le calmar avec un couteau à dépecer. Vif, Sperys fit un pas vers la gauche pour esquiver, le poussa pour qu'il perde l'équilibre. Emporté par son poids et la force de l'aquaïen, le pêcheur se fracassa le crâne sur l'acier du sol. Ils enchaînèrent, tranchèrent, transpercèrent jusqu'à ce que le sang humain repeigne le navire. Les mouettes et goélands furent attirées par les cadavres frais et n'attendirent pas pour entamer le festin. Sperys jeta l'ancre, le bateau ne devait pas dériver au risque de polluer un peu plus cette mer avec son carburant. Le calmar concédait l'ingéniosité à l'espèce humaine. En revanche, la mesure était la dernière de leurs qualités.
Il caressa le dos du prince qui s'était égaré dans ses pensées à la suite de ce massacre. Première fois que Faerys tuait des terrestres. Il savait qu'il n'en serait pas retourné. Même si le meurtre marquait, Faerys avait l'âme d'un prédateur, il aimait la sensation de puissance, l'adrénaline, le contrôle et le chaos que cet acte générait. Mais entrer en contact avec eux était proscrit par le Haut Conseil. Faerys pouvait désormais se faire exécuter par la Surface pour trahison. Le cadet leva lentement ses pupilles rectangulaires sur son amant.
« Ils méritaient. Nous ne pouvons ignorer leurs méfaits plus longtemps.
— Ne te justifie pas à moi. J'ai participé. Doutes-tu de notre légitimité ? »
Quelques secondes de silence et le plus jeune secoua la tête. La justice. Pas la loi. Il plongea par-dessus le bastingage sans un regret, suivi du plus âgé. En contrebas attendaient le reste du groupe, ils ne purent ignorer leurs vêtements rougis. Nalya crut un instant qu'ils étaient blessés. Elle sonda leur corps. Rien. Elle n'osait se l'avouer.
« Qu'avez-vous fait ?
— Éliminer les témoins. J'étais pris dans le cordage, ils nous ont vus, préférez-vous que le secret de notre existence soit rompu ? »
L'analyse de son frère lui prouva qu'il ne se repentait pas. Il frottait la tache sur son débardeur avec une moue ennuyée, l’étalant. Inconscient ! C'était la pire des idioties ! Elle n'aurait jamais dû lui permettre de l'accompagner dans ce voyage. Elle songea alors à Kyos. Il ferait son rapport quotidien. Falside saurait. Elle le condamnerait. Sa méfiance et sa colère contre Sperys se mua en haine vindicative. C'était lui qui entraînait son frère dans ses crimes. Elle voulait le congédier mais repartir sans son expertise ferait un mauvais calcul. Que faire ? Attendre le rapport de Kyos ? Le Conseil missionnerait un trinôme de combattants pour l'arrêter et elle plaiderait la jeunesse de son cadet. Prince d'Atlantide, Falside pourrait être clémente. Oui, si elle voulait battre le nérite, il lui fallait jouer la finesse. L'Atlante maintint le contact visuel avec le calmar et s'adressa au soldat.
« Pouvons-nous compter sur votre discrétion ? Mon frère est manipulé et je ne requière qu'un délai pour découvrir la vérité sur la maladie de mes parents. »
L'être formaté à l'académie se révulsa de cette demande. Mais Kyos flancha. La princesse ne trouverait pas la paix avant d'être en pleine possession de la vérité. Sa hiérarchie ne lui en tiendrait pas rigueur, sa parole suffirait, elle ne vérifierait pas. Il accepta du bout des lèvres alors qu'il serait tenté le soir même de faillir à sa promesse. Falside n'attendait qu'une erreur, un prétexte pour écarter le danger potentiel que représentait Sperys. Et plus Kyos le côtoyait, moins il le trouvait conditionnel.
Gorys étudiait chaque expression du guerrier de la Surface, ça ne tiendrait qu'à lui, il éliminerait cette sole avant qu'elle ne parle. Sperys jouait avec les rascasses. Quel intérêt y voyait-il ? Une difficulté de plus pour s'amuser ? Son projet n'en avait aucunement besoin. Non. Sa vision grandiose gâchée pour une prise de risques inutiles ? Jamais. Une opportunité alors, mais laquelle ? Il ne possédait pas tous les tenants et aboutissants de son plan.
Dans un mutisme gluant de tensions, leur troupe reprit sa route vers une ville plus à l'Est. Isilde était la plus touchée selon le nérite. Le pirate partageait son avis. Il amenait Nalya au plus près des preuves, elle ne serait pas déçue de son excursion hors de son palais. Chaque ondulation les rapprochait. Les coraux, les poissons, les crustacés, les éponges, les céphalopodes, les cétacés ; bref, la vie se raréfiait. Les méduses laissaient place à des nuées de sacs plastiques. Des déchets d'emballages roulaient sur le sable à la guise des courants. Des épaves d'objets inconnus rongés par le sel agonisaient. Au milieu de ce dépotoir, Isilde tombaient en ruine. Cité corallienne du même type qu'Atlantide, elle arborait une mine bien terne. Tout était blanc, gris ou noirci. Cette aura aspirait toute beauté aux alentours. Un paysage de désolation dépassant les profondeurs abyssales plongées dans une pénombre éternelle. Les épaves de Néritide étaient plus accueillantes et vivantes que cette ville en déshérence. Quelle que soit l'origine de cette horreur, le visage de la souveraine se déforma de rage à l'encontre des mensonges du Haut Conseil.
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