Chapitre 12 - Temps Orageux

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(Avant propos, j'aimerai remercier les deux lecteurs silencieux qui ont suivi cette histoire jusqu'à la moitié, j'espère que ça vous plait toujours plus ^^)

Nalya levait régulièrement les yeux de sa tablette. Elle se trouvait dans son bureau, plongée dans l’histoire de sa lignée. Son frère lui avait, très justement, fait remarquer la mystérieuse disparition du trident familial. Ce trésor qu’ils héritaient de Poséidon, premier des Magnalja. Elle doutait qu’il y ait le moindre intérêt dans cette affaire mais elle y voyait un bon moyen de ne pas ruminer et tourner en rond dans le palais. Elle le quittait pourtant peu avant mais elle n’avait jamais subi cet ennui et cette sensation d’être un crabe dans une nasse.

Bref, elle lisait les mémoires de Plys II. Les écrits des rois successifs d’Atlantide avaient bénéficié d’un entretien régulier jusqu’à l’invention des tablettes où ils avaient été transcrit. Chaque règne accouchait d’un pavé bien peu intéressant dans sa majorité. Elle avouait qu’elle avait bien du mal à ne pas s’endormir sur sa tablette. Mais elle était parvenue au passage qui lui importait. Et qui ne manquait pas d’alimenter sa colère contre la Surface. Et accessoirement, pour la première fois, elle eut honte de sa lignée. Plys II n’était ni plus, ni moins, qu’un traître. Avec outrecuidance, un émissaire était venu, la bouche en cœur, pour réclamer ce trident. Et son aïeul l’avait offert sans tergiverser. Elle citait : « Quel intérêt de s’écharper avec le Haut Conseil pour un vulgaire trident ? »

Quel intérêt ?! Quel intérêt ?! Quel imbécile ! Un trésor familial ! Bientôt, Falside réclamerait le trône d’Atlantide. Elle récupèrerait cet artéfact, au nom de la cité et de sa lignée.

Elle leva une nouvelle fois ses prunelles sans fond sur le combattant. Les épaules en arrière, la poitrine en dehors, les bras tombant tout le long du corps ; il arborait des airs de ces statues antiques d’athlètes. Elle avouait qu’elle ressentait quelques remords de le traiter avec mépris, ou pire, ignorance. Sa peine était si évidente. Elle doutait qu’il soit responsable de leur arrestation, pourquoi serait-il attristé de sa colère à son égard s’il était coupable et persuadé d’avoir rempli son devoir ? Elle déposa la tablette sur le bureau, croisa ses jambes avec élégance et s’appuya sur les accoudoirs, ses mains posées dans son giron.

« Tu finis par m’attendrir avec cette tête de poisson ballon gonflé. Tu pourrais confier ma surveillance à un de tes collègues plutôt que de subir ma vindicte.

— Je ne le désire pas. Je mérite ce dédain pour toute la souffrance qui ne m’a pas fait réagir avant notre rencontre.

— Je doute que l’auto-flagellation soit un comportement sain. Cesses. »

L’exaspération mêlée de pitié de la princesse déplut à Kyos qui se questionna sur sa passivité face à l’attitude de Nalya. Etait-ce la bonne méthode pour expier son obéissance aveugle à la Surface ?

« Sachez, Princesse, que je resterai à vos côtés. Même si vous me haïssez, ma loyauté vous est acquise. »

La jeune femme le contempla dans un silence plus agréable que le précédent. La tortue comprit que le soldat mourrait pour une chance d’obtenir son pardon. Elle baissa un bref instant le regard puis fit mine de s’intéresser à la verrière teintée.

« Falside possède-t-elle une salle de trophées ou de trésors ?

— Je pense que vous songez au coffre-fort. Seuls les membres du Conseil peuvent pénétrer à l’intérieur.

— N’y-a-t-il point de gardes ?

— A la porte uniquement. Pourquoi ? »

La noble hésita, fit un aller-retour entre sa tablette et le militaire puis lui révéla son projet de récupérer le trident. Ce premier témoignage de confiance depuis des jours réchauffa le cœur enamouré de Kyos. Enfin ! Il se jura de rendre cette arme à la princesse. Son attention rassemblée autour des informations réunies par Nalya, il se remémorait les couloirs du Consulat, les rondes de garde devant les lourds battants, à l’imposante serrure qui exigeait qu’au moins deux conseillers et un assistant soient présents pour l’ouvrir. A sa connaissance, aucun betta n’avait ne serait-ce qu’entrevu le contenu de cette chambre forte. Il ne craint pas de lui offrir toutes les informations qu’il possédait.

La princesse se rouvrit à lui au fil de leur échange. Elle se leva et approcha. Retrouver une proximité, aussi platonique soit elle, le revigora. Il progressait, chaque victoire était bonne à prendre. La récompense fut sa main sur son avant-bras lors d’un éclat de détermination. Nalya se sentait revivre aussi. Elle réalisait à quel point il s’était creusé une place importante auprès d’elle.

***

Nalya pleurait et accumulait les pas devant la porte de l’hôpital de Falside. Au cours de la nuit, un arrêt respiratoire avait frappé sa mère. Elle entendait en boucle les cris de désespoir de son père, appelant après un médecin. Elle admirait l’amour sincère de ses parents mais la douleur du roi étouffait ses désirs d’une relation similaire. La brûlure des larmes salées sur ses joues, qui lui était étrangère jusqu'à ce jour, la démangeait. Elle se pencha contre le batant et étouffa ses sanglots dans l'espoir d'entendre des nouvelles, une voix, une bribe, n'importe quoi. Elle se moquait bien des yeux curieux du garde posté près de la porte.

De son côté, Kyos observait cette princesse qu'il n'avait vu que sous l'angle de sa stature émanant de dignité. Il l'avait croisée lors de ses précédentes visites aux médecins érudits de Falside. Il l'avait trouvée aussi banale que le cliché de toute princesse. Puis, il l'avait entendue discuter avec son géniteur de l'avenir de leur cité. Son intelligence, son calme olympien face à son père qui envisageait sa fin avec sérieux, l'avaient soufflé. Sans sa formation à l'académie, il supposait qu'il aurait renié la réalité à la place de la jeune femme. Une authentique admiration avait éclos à l'intérieur de sa poitrine. Et à présent, voir cette princesse ravagée de chagrin et de terreur le blessait. Comme une injustice de la vie. Il n'y pouvait rien, il n'était qu'un soldat. Mais la laisser dans cet état lui était plus insurmontable que de commettre un crime.

« Votre Altesse. Ils vous donneront des nouvelles dès qu'ils pourront. Je... pense qu'ils ne souhaiteraient pas vous voir dans cet état.

— Parce que les gardiens de la Surface peuvent penser ? »

Sarcastique, la remarque donna l'envie à Kyos de se recroqueviller comme lorsque la colère de son instructeur à l'Académie éclatait. Il conserva sa posture au garde-à-vous. Nalya marqua une pause. Agresser une personne bienveillante n'était pas digne d'une princesse. Il ne désirait que la calmer, avec raison.

« Pardonnez-moi. C'était inconvenant. »

Kyos adressa un discret signe de tête pour accepter ses excuses. Elle s'assit sur l'un des bancs qui encadraient l'entrée de l'infirmerie du palais. Dans le mouvement, une intense fatigue s'abattit sur ses épaules. La tortue contempla le sol incrusté de minuscules coquillages, elle n'était pas atteinte, mais la maladie de ses parents l'épuisait tout autant qu'eux. Sans compter sur la lâcheté de son frère. Il ne s'était même pas levé alors que le château entier tremblait des appels à l'aide de leur père. Ils devraient affronter cette épreuve ensemble, soudés. Au lieu de cela, elle assumait toute seule le poids du destin. Et quel fardeau. Princesse acceptable, pourrait-elle devenir une reine à la hauteur de ses aïeuls ? Son père lui répétait souvent qu'elle ne le saurait qu'à la fin de son règne. Mais succéder au trône dans ces conditions dommageables ne l'aidait pas à se rassurer.

Perdue dans ses questions sans réponses et sans fin, elle ne remarqua pas immédiatement le combattant désormais assis à ses côtés. Un toucher rugueux, tremblant d'hésitation, sur ses mains fines l'interpella. La maladresse affichée du militaire fit fleurir un sourire de tendresse sur son visage.

***

Kyos chérit le premier sourire de Nalya depuis son retour de leur expédition en Sylvaréna. Il la trouvait belle d’habitude, avec le sourire, elle devenait splendide. Cette bonne humeur retrouvée faisait aussi beaucoup de bien à la jeune femme. Ses comptes avec le Haut Conseil n’étaient pas soldés. Elle ne leur accorderait pas le plaisir d’abandonner. Elle le devait à ses parents et à son peuple. Peut-être que cette croisade pourrait lui ramener son soldat et son cadet. Elle intima au combattant de la suivre jusqu’à la chambre de Faerys pour lui faire part des avancées au sujet du trident.

Le prince se reposait. Il n’était pas bien remis de son flirt avec la mort et vadrouiller à travers la cité l’épuisait plus vite qu’il ne le souhaitait. Lorsque sa sœur fit irruption, de si bonne humeur, il attendit une bonne nouvelle. La vue du soldat brida son impatience. Il se méfiait toujours de ce potentiel espion, même s'il était fou amoureux de Nalya. En tout cas, la colère de la princesse à son égard s'était évaporée. Il fut presque plus concentré sur ce soudain changement que sur les informations qu'elle lui transmettait. Néanmoins, l'occasion de résister à Falside était trop alléchante, d'autant qu'ils avaient besoin de ce trident pour le Léviathan. Si seulement Sperys avait eu le temps de lui révéler son tombeau. Il n'avait pas trouvé d'indice à ce sujet dans les ruines. Il fouillerait volontiers l'appartement de son amant mais il doutait qu'il laisse de tels indices dans un lieu aussi évident. Et de toute façon, s'il aventurait une nageoire hors du périmètre la cité, des dizaines de combattants le cerneraient à nouveau pour le remettre dans sa chambre. A peine spectaculaire. D'autant que le Haut Conseil n'oserait pas le condamner à mort ou à la réclusion, il craignait le courroux des atlantes qui défendraient leur famille royale pluri millénaire sans une once d'hésitation.

Cependant, s'il ne rejoindrait pas Néritide sans se faire arrêter, accéder à Falside serait bien plus aisé. Il suffisait que sa soeur demande audience. Pour avoir le temps de voler deux clefs aux consuls afin de déverrouiller le coffre, c'était une autre paire de manche. Ils devraient être tous les trois. La fatigue s'éloignait face à cet amoncellement de difficultés aux airs insurmontables.

Il hésitait à parler du Léviathan à sa sœur. Elle pourrait l'aider, comme pour ce trident. Mais certainement pas devant Kyos. Problème : Quand cessait-il de la surveiller ? Restait-il en poste devant sa chambre toute la nuit ? Il devait bien dormir. Peu importait, le jeune homme se glisserait dans la chambre de sa sœur, par la porte ou la fenêtre, ce n'était qu'un détail. En attendant, il débattait du plan avec Nalya et Kyos. Un doux bonheur enveloppait Faerys. Un parfum d'enfance. Une complicité bourgeonnait de nouveau entre lui et son ainée.

***

La direction maintenait Gorys à l’écart des recrues en formation. Le principal se chargeait de son entraînement. Ou plutôt son matage. Il n’hésita pas à le tabasser lorsqu’il refusa de se saisir du bâton au premier cours. Le pirate n’avait pas eu le courage de réitérer, il se concentrait sur le positif : il intégrait les techniques des gardiens de Falside ce qui l’aiderait à les combattre lorsqu’il taillerait sa route vers la sortie. Il dormait toujours dans le cachot sans fenêtres, ni distractions.

Ce matin, alors qu’il s’attendait à être mené dans le dojo habituel, il fut guidé dans une arène. Le rang d’adolescents de treize ans agenouillé sur le sol, leur bâton d’entraînement posé, aligné, à leur droite. Il balança entre le soulagement de ne plus être isolé et se sentir vexé d’être relégué avec les débutants. Le dilemme ne dura pas longtemps car il fut placé face aux adolescents plutôt qu’à leurs côtés. Une boule se forma dans sa gorge, il redoutait l’exercice à venir. Autant pour lui que pour ces gosses. Cela ne manqua pas, le recteur argua qu’ils avaient la chance d’avoir un vrai pirate pour s’entraîner et leur imposa de le lyncher. Le ridicule de cette situation lui donna la nausée. Les pirates attaquaient en groupe, ils usaient de stratagèmes et d’armes différentes, il ne comprenait pas le bénéfice de cette expérience. Les élèves non plus à en juger par leurs pupilles emplies de doutes. Néanmoins, la classe obéit au signal de leur professeur. Ils l’encerclèrent et s’échangèrent des regards d’hésitation avant que le plus téméraire, ou endoctriné, ne s’attaque à lui.

Goryss esquiva et asséna un léger coup dans les omoplates du jeune homme. Il ne souhaitait pas le blesser mais le mettre en garde. Et avertir les autres. Il ne se laisserait pas battre sans résister. Il le fit aussi comprendre à l’équipe pédagogique d’un œil tempétueux. Une jeune femme profita de sa seconde d’inattention pour atteindre son ventre. Le pirate grimaça et riposta en attrapant son arme pour la tirer et lui faire perdre son équilibre. Son genou heurta le nez de la combattante dans un craquement inquiétant.

« Arrêtez. Il vous suffit de refuser. Je ne veux pas vous faire du mal mais je le ferai si nécessaire. »

Certains élèves abaissèrent leur garde tandis que le premier garçon revenait à la charge, suivit par la jeune femme encore sonnée. Cela suffit pour que le reste du groupe se joigne à la bagarre. Gorys se défendit tant qu’il put. Il sut que plusieurs seraient envoyés à l’infirmerie après ce cours mais il ne put éviter tous leurs assauts, aussi maladroits soient-ils. Son flanc droit le faisait souffrir, trois doigts de sa main gauche enflaient et il peinait à les bouger, garder sa prise sur son bâton était une torture.

Les ecchymoses ne tarderaient pas à fleurir sur son corps. Il comprit alors l’intérêt de cet affrontement inégal. Le directeur le jetterait aux classes de niveau supérieur s’il se rebellait et ces recrues avaient franchi un pas. Agir en équipe, ne pas culpabiliser de lyncher une personne seule à plusieurs, le danger des ennemis qu’ils rencontreraient : voici les leçons des adolescents.

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