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— Tu peux m’allumer s’il te plaît ? interroge Alex devant la machine à café. (Il a l’air irrité, impuissant devant le fait qu’elle ne fonctionne pas aussi vite qu’il le désire.)

— Là, maintenant, tout de suite ? Nous ne sommes pas seuls, ricane Énora. Tu n’es pas mon genre en plus, désolée de te froisser, continue-t-elle de le taquiner.

— Oh ! Moi ? Le beau gosse brun ténébreux, avec Sublime en deuxième prénom ? Je suis offensé ! réplique-t-il l’air mi-amusé, mi-outré. Nan… sans rire, de l’aide s’il te plaît, mon besoin en caféine est vital. (Il joint ses mains en l’implorant.) J’ai un problème…

— Quelle arrogance ! Allez, oust ! Décale-toi, non d’un bigorneau ! (Elle lève les yeux au ciel et passe devant lui.) « Il n’y a pas de problème, il n’y a que des solutions* ». Tu vois, ça ne peut pas fonctionner, il faut seulement appuyer ici… Tu vois ? Facile, non ?

— Gnagnagna. (Il se retourne vers la porte qui vient d’annoncer une entrée, se met tout à coup en position accroupie sous la caisse.)

— Alex, tu vas bien ? lui demande-t-elle, surprise.

— Chut, je ne suis pas là. Fais comme si je n’étais pas là.

— Sérieux ? Tu dois de l’argent à quelqu’un ?

— Moi ? Pff, laisse-moi rire… chut !

— Un gosse ! Un véritable gosse !

Un homme est entré, a bifurqué afin d’aller saluer d’autres clients. Elle l’observe, il porte un foulard bleu marine avec une veste courte, cintrée, couleur camel, ainsi qu’une chemise blanche avec un jean. À vrai dire, elle pense qu’il pourrait tout à fait être au goût de son meilleur ami. Allure mince, les joues creuses, les pommettes saillantes, des yeux noirs, des cheveux châtains avec un maintien parfait. Elle se demande souvent comment les hommes arrivent à être aussi bien coiffés. Il doit être primordial de faire un brushing chaque matin avec le peigne et le sèche-cheveux pour faire tenir les cheveux vers l’arrière.

— Bonjour, je désirerais un latte s’il vous plaît.

— Bonjour, oui, tout de suite, lui sourit-elle. Désirez-vous une viennoiserie ou une pâtisserie en complément ?

— Mmh, oui, je vais me laisser tenter par un croissant, s’il vous plaît.

Son visage est lumineux, bienveillant, désarmant.

Alex attend dans sa cachette improvisée, les jambes repliées tant bien que mal. Ses 1m85 ne rentrent pas dans un mouchoir de poche. Énora se met à sa hauteur.

— Tu comptes sortir un jour et m’expliquer ?

— Je préférerais qu’il se laisse tenter par moi à vrai dire.

— Pff, incorrigible, sors de là ! enchaîne-t-elle la tête penchée sur le côté, les deux mains sur les hanches.

— Non, je ne peux pas, je suis limite paralysé là, c’est un coup de foudre… par contre… un latte… mais c’est indigeste cette chose-là. Il me déçoit.

— Alex !

— Oui ? s’amuse-t-il l’air ignorant. (Tout en étant conscient qu’Énora est en train de perdre patience.) Tu sais que je t’adore, mon amie…

— Essaie autre chose. Tu as manqué quelque chose, si seulement tu avais vu… il a un sourire divin ! tente Énora.

— Hein ? Quoi ? Je veux voir ça ! (Il se relève d’un coup, se cogne la tête bruyamment, pousse un juron, se met sur ses deux jambes, vacille, en se massant le haut du crâne.) Aïe, ça fait mal !

Sept personnes sont dans le salon de thé, cinq dans la libraire, la plupart se retournent vers lui. Alex pose son regard sur son bel inconnu qui lui adresse un sourire compatissant.

— Je vais t’embaucher comme clown si tu augmentes mon chiffre d’affaires avec tes bêtises.

— J’ai bien mérité un latte crémeux s’il te plaît, enchaîne-t-il assez fort pour que ses paroles atteignent tout le commerce.

— Ben tiens ! Et depuis quand bois-tu du latte, monsieur Alex ?

— Depuis l’instant où cet Apollon est apparu dans l’entrée. Ah, c’est magique ici. (Ils chuchotent, leur conversation est devenue de l’ordre privé.)

— Tu ne le savais pas ? C’est vrai que l’on s’y sent bien. (Énora sourit, pensive.) Il a réglé par carte bleue.

— Oh ! ... Ah ? (Il est comme un enfant en attente d’une friandise.) Dis-moi ! C’est un supplice !

— Oh, je t’en prie ! As-tu de la fièvre ? Ou alors tu as dû manger quelque chose d’avarié… s’amuse-t-elle. David, il s’appelle David Lucas.

— J’adore !

— Il aurait pu s’appeler Isidore ou Philibert que tu serais dans le même état. Hey ! Alex ! Il se lève !

— Bisous, je t’adore, à plus tard ! s’empresse-t-il de dire en avançant vers la sortie.

Énora le regarde se hâter vers la porte de sortie, il déloge son téléphone de sa poche, pianote dessus. Ce sont des gestes de nervosité, pense la jeune femme. Il croise le fameux David, elle est ravie.

— Allez-y, je vous en prie, tente Alex en faisant un geste de la main devant la porte.

— Merci, tu peux me tutoyer. Tu viens souvent ici ? lance David.

— Oh ça oui, Énora est ma meilleure amie… moi c’est Alexandre.

— David, à bientôt, Alex. (Il lui tend la main, émet un sourire, se retourne et part vaquer à ses occupations.)

Une matinée qui débute entourée de cupidons. Énora adore cela chez les autres uniquement. Ghislaine a fait un bref passage, rapide comme l’éclair. Elle a manqué le meilleur film cocasse de la rue. Elle nettoie les tables vides de sa petite salle. Elles sont en bois, carrées, beiges et marron. Tout est blanc, marron, beige et doré dans ce salon de thé. La jeune femme n’est pas bouddhiste, mais elle aime lire la philosophie de vie s’y rapportant et collectionne les statues, petites ou imposantes, les tableaux des Bouddhas - tibétain et chinois - et des divinités. Un vertigineux tableau blanc et doré est accroché derrière la caisse. Il représente le Bouddha tibétain, assis en position de lotus, les mains jointes sur le chakra du cœur, en position namasté. Une citation a été peinte au-dessous sur le mur, avec un mélange de peinture noire et dorée « Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous » de Paul Éluard. À côté de la caisse, des statuettes de petits moines bouddhistes sont en train de lire, un livre à la main. Un tableau représentant la sagesse des trois singes avec trois têtes de Bouddha orne le mur principal du salon de thé. Elle a poncé et repeint son encadrement en brun doré. Elle a tenu à la coordination des lieux, sa deuxième maison. À l’entrée, sur la droite, une majestueuse statue de Ganesh, divinité hindoue de la sagesse, de l’intelligence, la prudence, de l’éducation, garde la porte. Énora adule également les éléphants.

À 8 ans, elle avait dit à son père qu’elle désirait un éléphant.

— Mais où allons-nous le mettre ? Son père l'avait questionné avec un regard surpris et tendre.

— Eh bien, dans le jardin ! lui avait-elle répondu, enthousiasmée.

L’innocence et les rêves des enfants sont un bonheur infini. Cependant, elle n’avait pas eu d’éléphant ni de la part du père Noël ni à son anniversaire. Elle avait acheté elle-même ses éléphants bien plus tard, c’était tendance en décoration. Les rêves deviennent forcément réalité un jour ou l’autre, aime-t-elle croire.

Durant son divorce, elle s’était jetée corps et âme afin de retrouver une sérénité perdue durant son mariage.

Il me faut du zen

Elle avait refait toute sa décoration … « zen », d’abord, dans son appartement. Ce qui lui faisait du bien chez elle devait se retrouver dans son activité. Les Bouddhas avaient suivi Au plus bel endroit du monde. Alexandre s’était demandé s’il ne lui fallait pas acquérir aussi quelques statuettes, vu l’effet que cela procurait à son amie. Il avait d’abord pensé que son amie cachait sa morosité dans des achats compulsifs. Mais, au contraire, elle était seulement en train de créer son espace, ses lieux de vie à son image, ses goûts mûrement réfléchis.

* Citation d’André Gide

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