-8-
Chapitre 8
Énora et Alex arrivent à la salle des fêtes qu’ils ont préalablement décorée le matin même. « Noir et Blanc » est le thème, le dress code pour cette soirée d’anniversaire. Christian l’a décidé ainsi, d’après lui, tout le monde possède dans ses placards des vêtements noirs ou blancs. Il ne désire pas que ses invités aient à faire des frais supplémentaires pour s’amuser. Un de ses amis a tenté d’esquiver le thème en affirmant n’avoir ni l’un ni l’autre.
— Le blanc, ce n’est pas pour moi, je suis un vrai petit cochon ambulant et le noir c’est pour le deuil, bof, pas terrible, a-t-il osé affirmer.
Christian est assez persuasif pour faire plier les invités à sa requête. La fête va être magnifique. Des ballons assortis à la thématique de la soirée ont été suspendus çà et là. Un majestueux panneau en polystyrène a été commandé « Joyeux anniversaire, Ghislaine », avec des ballons décorés, gonflés à l’hélium. Les nappes, les assiettes, les verres et les plats sont noirs ou de couleur blanche. Des banderoles indiquent son âge, cinquante ans, une autre a été créée par les petites mains d’Énora à base de peinture et de paillettes : « On t’aime fort ».
— Quelle jolie robe ! Tu es resplendissante. (Alex admire son amie, un large sourire couvre son visage.)
Énora porte une robe en dentelle courte, toute blanche.
— Merci, tu es magnifique aussi en James Bond, tu vas encore faire pâlir la gent féminine. (Une clef USB à la main, elle se dirige vers la scène.) Je dois passer voir monsieur le D.J., s’empresse-t-elle avec un clin d’œil.
Alex se doute bien que son amie va s’assurer que ses chansons favorites seront bel et bien de la partie ce soir. Il se dirige vers les invités, les incite à entrer, se mettre à l’aise. La reine de la soirée est très attendue. À l’heure qu’il est, elle n’est toujours pas consciente de tout ce qui se déroule en coulisse. Christian lui a seulement dit qu’il l’emmènerait dîner, que c’était une surprise. Il a insisté sur le fait qu’elle devait porter sa belle robe noire qu’il aime tant, qui lui sied admirablement bien.
Manigances accomplies à la perfection, pour la bonne cause, s'est-il dit.
Il s’est vêtu d’un pantalon à pinces noir, avec une chemise blanche à manches longues. Un blouson noir a été prévu afin de le maintenir au chaud à l’extérieur. Lorsqu’il se gare sur le parking de la salle des fêtes, elle devient nerveuse, suspicieuse. Elle ne bouge pas. Christian lui ouvre la porte.
— Aller, mon amour, c’est dedans que ça se passe. Tu dois avoir faim après cette longue journée.
— Dedans ? Où ? Tu te moques de moi, je n'irai nulle part !
Il l’embrasse sur le front, Ghislaine se rembrunit. Il tente le regard de chien battu, elle devrait en théorie y succomber.
— Je vais me faire pardonner, viens, lui ordonne-t-il avec douceur en lui prenant la main.
Il a préalablement envoyé un message à Énora pour la prévenir de leur arrivée. Il est légèrement anxieux, car désireux que tout puisse se passer comme il l’a prévu pour la femme de sa vie. Il ouvre la porte de la salle, laisse passer Ghislaine en premier - elle grommelle, traine des pieds, elle n'aime pas les coups de théâtre. La galanterie a une valeur chère à ses yeux et à cet instant, c’est une charmante opportunité.
— Surprise ! crient les invités en cœur avec enthousiasme.
Les lumières s’allument, la musique démarre avec la chanson « We are the champions » du groupe Queen. Ghislaine a les larmes aux yeux, des larmes de joie qui s’entremêlent à des rires et des yeux ébahis, éblouis par la surprise et le bonheur. Énora arrive en face d’elle, la prend dans ses bras.
— Merveilleux anniversaire, mon amie.
— Cachotière, s’exclame Ghislaine. Merci du fond du cœur, c’est… waouh… merci…
Les buffets froids accueillent les invités. La libraire est surprise par le nombre de personnes présentes. Beaucoup plus qu’elle ne l’a envisagé.
— Bravo, Christian, tu as été sensationnel, c’est très réussi.
— Merci à toi ma belle, lui répond-il en l’embrassant sur les joues. Tu viens goûter le punch ?
— Non merci, sans façon, je reste fidèle au jus de fruits sans rhum. Je suis SAM en plus ce soir, commente-t-elle avec une pointe d’arrogance.
— Mouais, fait-il en grognant.
— Je reste maître de moi-même avec des jus de fruits.
— Il faut vider toutes les bouteilles de jus alors ! enchaine-t-il avec des étincelles malicieuses dans les yeux. Alex ! Viens m’aider !
— Oui ! On m’a appelé ? Ah ! Tiens, Énora, viens avec moi, j’ai quelqu’un à te présenter, s'empresse-t-il quand il aperçoit son amie.
— Hmm, je préfère boire du punch avec Christian. (Elle sent l’entourloupe arriver.) Ça sent le plan foireux, excuse mon langage fleuri, mais parfois cela fait du bien, continue-t-elle d’un air narquois.
— Tu vas être saoule, ça peut être un sujet marrant pour la soirée ma foi, s’amuse-t-il.
— Non d’un bigorneau ! Moi, saoule ? Beurk. Ce serait comme voir un chameau se promener sur la banquise, déclare-t-elle l’air horrifié.
Des éclats de rire s’échangent de bon cœur.
Michaël, le fils de Ghislaine, vient l’embrasser, il étreint son père, Énora et Alex. Tous lui souhaitent un très bon anniversaire. Son équipe de football au complet et ses amis l’entourent.
Un invité l’apostrophe.
— Mika, qui est cette femme ? l’interroge-t-il.
— Énora ? Elle fait pratiquement partie de ma famille donc son deuxième prénom c’est « pas touche ».
— Ah, je vois. Je la croise souvent ces temps-ci, je trouve cela étrange et très plaisant.
— Oh, c’est merveilleux ! Tu vas me faire pleurer, se moque Michaël. Aller, le punch nous appelle… Mais, attends, c’est la première fois que je t’entends t’intéresser ouvertement à une femme… nous avons même pensé durant les premières années de ton arrivée dans l’équipe que tu étais gay, ce qui ne pose aucun problème, tu le sais bien…
Un seul regard a suffi pour que Mika interrompe son dialogue.
— Du punch ? se défend-il.
— Ça, enfin, c’est nettement plus intéressant ! lui répond Liam en lui donnant un coup de coude. Arrête tes délires…
David a monopolisé la scène de la salle. Il est très élégant dans un costume blanc, chemise et chaussures blanches, sublimées par une cravate noire. Le micro à la main, il chante « Relax » du chanteur Mika. Il est spectaculaire, tous les yeux sont rivés sur lui. Il n’a d’yeux que pour Alexandre qui, lui, cherche quelqu’un du regard.
— Tu savais qu’il chantait aussi bien ? demande Énora.
— Oui, j’ai droit à un concert privé chaque fois qu’il passe sous la douche, révèle-t-il en caressant David d’un coup d’œil.
— Il est admirable.
— Ah tiens, le voilà ! lance-t-il en serrant la main d’un invité. Énora, je te présente Éric. Éric, voici ma meilleure amie, Énora. On bosse dans la même boîte.
— Enchanté, Alex me parle beaucoup de toi, il me tardait de voir un visage sur ce si beau prénom.
— Tiens donc ! lance-t-elle d’un ton courroucé en fixant Alex.
Alex s’en veut immédiatement. Cela partait d’une bonne intention, mais visiblement, lorsqu’il a vu Éric tenter de faire la connaissance de son amie, il a su que tout partait à vau-l’eau. Échec et mat. Il aurait dû lui fournir des cours « Comment draguer en douceur sans paraitre trop lourd, partie 1 ». Son collègue a insisté pour servir du punch à la jeune femme. Elle a décliné avec un majestueux « Beurk ! non merci ! » deux fois.
Mais arrête, bon sang ! Elle n’aime pas ça, elle l’a déjà répété à plusieurs reprises ! pense Alex consterné.
Lorsque Éric va se servir au buffet, il insiste pour qu’elle l’accompagne.
Quel boulet ! Laisse-la respirer.
Il essaie de tout savoir sur elle : où elle a étudié, où elle vit, quelles passions elle a, si elle pratique un sport. Alexandre fait le pied de grue, il tente parfois de faire dévier les conversations imposées par Éric. Son amie, quant à elle, ne lui a posé aucune question personnelle, parce qu’Alex le sait bien : elle n’a aucun atome crochu avec ce personnage. Demain, ce sera sa fête, elle va lui manifester son mécontentement, il en est certain. Elle reste pourtant polie même si la moutarde lui monte au nez.
La chanson « Macarena » des artistes Los Del Rio fait son irruption, Ghislaine attrape Énora par les épaules.
— Viens là ! On monte sur scène ! Montre-moi ce que tu sais faire.
La jeune femme obtempère, ravie de se débarrasser du monsieur "pot de colle" tellement grandiloquent. Elles sont quatre femmes sur la petite scène et exécutent à merveille la chorégraphie de cette chanson qui a fait un véritable succès dans les années 2000.
Quelle mouche a donc piqué Alex ? Elle rit devant les maladresses de ce pauvre homme : Éric. Il est certes de belle allure, mais… il reste fastidieux à souhait et irritant.
Eh bien ! Les hommes, ce n’est toujours pas pour ce soir ! s’amuse-t-elle à rire intérieurement.
Elle descend de la scène, croise un visage vaguement connu. Il esquisse un large sourire, elle plisse les yeux en farfouillant dans les recoins de sa mémoire… mais oui ! L’homme de la banque ! L’homme au regard de velours noir. Il doit être aussi grand qu’Alex, aussi brun, la coupe BCBG, bien apprêté. Quel hasard de le croiser à répétition ces derniers temps. Énora voit danser devant ses yeux la citation d’Albert Einstein : Le hasard, c’est Dieu qui se promène incognito, et la chasse aussitôt d’un geste imaginaire de la main.
Alexandre arrive vers elle tout penaud.
— Désolée Énora, je crois qu’il est rentré, j’ai dû légèrement le rabrouer, il a été vraiment très lourd. (Il passe sa main dans ses cheveux.)
— Tu m’as dégoté un grand millésime là ! Chapeau ! Quel énergumène cent pour cent grandiloquent !
— Il n’est pas comme ça au boulot, désolé.
— Mouais, soupire-t-elle les bras croisés. Son éloquence à faire tomber les rayures des zèbres me fait encore rire quand j’y repense.
Ils laissent éclater des rires.
— Pauvres zèbres… Allez, viens, on va se nourrir un peu. Entre le chameau et les zèbres, tu es inspirée ce soir, dis donc, s’amuse-t-il.
La discussion qui est passée à drapeau orange avec des vagues très agitées devient drapeau vert.
Près du buffet, Alex est allé trinquer avec Michaël. Christian les a rejoints, suivi d’Énora. Le traiteur a fait un admirable travail, le buffet froid est très apprécié. Toasts, verrines, salades, poissons froids, viandes rouges et blanches, fromages… Tout y est présenté dans un entrelacement de saveurs et de couleurs à mettre en transe les papilles. Les joueurs de foot sont présents aux côtés de Michaël, pour le plus grand plaisir d’Alex qui affectionne particulièrement ce sport.
— Énora, il faudra qu’on aille les voir jouer, ça fait longtemps qu’on n’est pas allés voir Michaël.
— C’est vrai ! Y’a plus ma fan hystérique dans les tribunes depuis bien trop longtemps, rouspète le joueur.
— Je ne vois pas de qui tu parles, vraiment pas, se défend-elle.
— Je vous présente Liam, notre capitaine depuis deux ans, leur dit Michaël en présentant son ami.
— Salut, moi c’est Alex, il lui tend la main pour le saluer.
— Moi tu me connais hein ! lance Christian en blaguant. Monsieur le footballeur le soir et le banquier le jour que je n’apprécie uniquement lorsqu’il a de bonnes nouvelles à m’annoncer.
— Trinquons ensemble ce soir ! lui répond Liam avec un large sourire.
Il avance son verre vers celui de Christian, de Michaël, deux de ses coéquipiers, Alex, puis vient le tour d’Énora. Elle lui sourit.
— Tchin !
Ghislaine arrive en sautillant.
— Moi aussi, tchin !
Les rires fusent, le punch s’écoule, les plats se dépeuplent de leurs aliments, la musique bat son plein. Les desserts arrivent afin de clôturer cette délicieuse soirée : une pièce montée en forme de ballon pour Michaël et une autre en forme de cœur pour Ghislaine.
Les invités commencent à quitter les lieux, David, Alex et Énora rassemblent les tables et les chaises, le nettoyage attendra le lendemain. Ils ont gentiment congédié Ghislaine et Christian en leur proposant de remettre un peu d’ordre. Michaël et Liam viennent les saluer et les féliciter pour cette fabuleuse soirée.
— Aller, tous au lit ! clame Alex.
— Encore merci pour tout, les salue Michaël. Et à bientôt sur le terrain, hein !
— J’ai bien compris le message oui, je vais y penser, cède la libraire.
— Alors, à bientôt… lui dit Liam.
Annotations
Versions