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Ghislaine tourne en rond dans sa cuisine. Son café est froid. Elle envoie un message à Énora en insistant sur le fait qu’elle souhaite la voir avant l’ouverture des ventes privées de Madame Bijoux. C’est une surprise, elle n’en dira pas plus par message. Son amie lui suggère de la retrouver au Plus bel endroit trois quarts d’heure avant leur rendez-vous. La libraire désire y effectuer du tri et des modifications, notamment sur ses étagères de livres. Elle pense ainsi arriver dès le lendemain matin dans son salon de thé et démarrer une nouvelle semaine avec du renouveau dans sa librairie. D’autres petits changements peuvent surgir, comme l’emplacement de quelques cadres. Elle est en train de rassembler ses nouvelles idées éparses, de les classer.
La commerçante s’affaire en musique dans son commerce fermé au public comme tous les lundis lorsque Ghislaine frappe à la porte d’entrée.
— Coucou ! Tu es très jolie aujourd’hui ! la complimente Énora en l’embrassant.
Ghislaine s’attarde, elle tient son amie dans ses bras.
— Merci, comment vas-tu ? Tu veux en parler ?
La femme du boulanger la scrute puis continue à l’interroger du regard. Son amie vient tout de même d’assister aux obsèques de sa mère. Ghislaine est impressionnée par cette résilience innée que détient la libraire.
— Il n’y a plus rien à en dire et je me sens bien, très bien même. (Énora sourit, ses yeux inspirent la sérénité et la franchise.) Caro nous rejoindra plus tard à la vente privée. Je suis avide de connaître le sujet de ta surprise, reprend-elle l’air malicieux.
— Ce n’est pas grand-chose à vrai dire, seulement un petit cadeau pour toi…
Ghislaine lui tend une jolie petite boîte en bois sculptée. Les motifs représentent un mandala, l’intérieur est recouvert de velours noir. Une bague y est méticuleusement retenue par un crochet.
— Mais mon anniversaire est encore loin, Noël est passé… c’est en quel honneur ? (Elle essaie de comprendre pour quelle raison elle reçoit ce présent.) Boudu ! Mais c’est beaucoup trop ! s’exclame-t-elle stupéfaite en détachant et admirant la beauté de la bague.
Ghislaine lui prend délicatement la bague des mains et la lui passe à un doigt, puis à un autre afin de trouver l’emplacement et la taille adéquate. C’est une bague en or jaune avec une perle de culture de Tahiti et un diamant entrelacé. La bague est fine et se marie à la perfection avec le majeur d’Énora.
— C’est parfait ! s’enthousiasme son amie.
— Mais c’est trop…
— Elle va très bien avec ton pendentif, tu sauras prendre soin de la bague comme tu as toujours pris soin du pendentif offert par ton papa. Les perles nécessitent du soin, de l’attention… et puis chaque femme devrait avoir un diamant ! Je t’offre ma bague avec grand plaisir… elle te va mieux qu'à moi en plus, conclut-elle joyeuse et ravie.
La libraire se jette dans ses bras, les larmes aux yeux.
— Merci, arrive-t-elle à balbutier. (Les larmes s’échappent.) Mais je persiste à dire que c’est beaucoup trop…
— J’ai envie que cette bague te revienne et c’est non négociable, ma belle.
Les deux femmes arrivent à l’ouverture exceptionnelle des ventes privées de la boutique de Madame bijoux. Énora porte fièrement la bague offerte par son amie, un cadeau inestimable.
Lana a prévu une petite collation colorée avec des cupcakes. L’ambiance est conviviale, joviale, des jus de fruits frais sont distribués. La boutique est très lumineuse et attrayante, ses murs sont peints avec une couleur pêche.
Énora essaie des boucles d’oreilles dorées et roses en confiant à son amie que cela mettra de la couleur et de la gaieté pour passer le reste de l’hiver. Ghislaine se laisse tenter par un collier, le pendentif est un trèfle argenté. Elle vient de l’essayer et se rend vers la caisse pour faire encaisser son achat. Elle converse avec son amie à propos du prochain apéritif dinatoire entre amis où elles porteront leurs derniers achats pour être deux fois plus coquettes. La libraire lui assure qu’elle n’a pas besoin de collier pour être magnifique.
Ghislaine laisse tomber son sac à main, le collier qu’elle tenait entre ses doigts le rejoint sur le carrelage imitation ardoise. Elle porte soudainement ses deux mains à la poitrine. Énora n’a pas le temps de réagir, elle se penche vers son amie, elle pousse un cri, elle est apeurée. Lana fait rapidement le tour de la caisse pour les rejoindre. La clientèle se masse autour d’elles. Une dame se présente comme étant une infirmière.
Caroline assiste à la scène, effrayée. Elle se fraie un passage pour rejoindre son amie.
Énora a déjà tenté de parler à Ghislaine qui n’a pas répondu. Elle se baisse plus près d’elle, approche sa joue de sa bouche. Pas de souffle. Rien. La panique l’envahit, elle commence à trembler, les larmes se déversent. Elle pose sa main sur le torse de son amie, le ventre ne se lève plus.
— Non ! ne me laisse pas ! Appelez les secours, vite ! hurle-t-elle.
Elle pose ses deux mains sur le torse et débute le massage cardiaque, elle se souvient instinctivement des gestes appris durant sa formation du PSC1. L’infirmière fait des signes à Caro : elle peut prendre le relais. Caro acquiesce d’un signe de tête. Il ne reste plus qu’à convaincre Énora.
Caro pose sa main sur son bras, lui caresse le dos.
— Énora… l’infirmière va prendre le relais. C’est son travail. Les secours ont été contactés. Viens près de moi, viens te reposer, tu reprendras le massage après si besoin.
Caro est consciente que les secours seront arrivés d’ici peu. Il faut que son amie lâche Ghislaine, ses émotions sont bien trop éprouvantes. La libraire lève les yeux sur le visage de l’infirmière sans arrêter le massage. Ses traits bienveillants la réconfortent. Elles entendent au loin la sirène des pompiers.
— D’accord… allez-y, s'il vous plaît…
L’infirmière s’exécute, les secours arrivent dans la foulée. Caro prend Énora dans ses bras qui ne quittent pas des yeux son amie inerte au sol.
Les pompiers écartent les personnes agglutinées autour de la victime, font vider les lieux et remplacent l’infirmière.
— Sauvez mon amie, ma maman, s’il vous plaît, implore Énora en se levant.
Elle doit à contrecœur s’écarter le plus possible. Tremblante, elle répond aux questions posées concernant Ghislaine : son nom, son prénom, son âge, la personne à contacter, son adresse, leurs liens. Elle est sous le choc, elle réagit lentement, son esprit est embrumé. Elle ne voit plus son amie, les pompiers s’occupent d’elle. Le SAMU a été contacté et arrive installer un appareil près de Ghislaine. Le massage cardiaque continue toujours. Énora s’est laissée glisser sur la devanture d’une boutique, elle espère calmer l’agitation de ses émotions gouvernées par la peur. Les larmes l’empêchent de voir correctement la scène qui se déroule un peu plus loin, il lui semble manquer d’air, de vie. De toute évidence, entre les pompiers et le personnel du SAMU, la possibilité de voir ce qui se déroule est mince. Ghislaine ne peut pas tirer sa révérence, pas encore, pas maintenant.
Les pompiers lèvent le brancard avec Ghislaine, le montent dans leur camion. Énora se lève, titube. Elle n’a pas le droit de s’approcher. Caro pose sa main sur son épaule. Le médecin, le sac à main de son amie entre les mains, informe que la victime est évacuée à l’hôpital. Les mots résonnent dans l’esprit d’Énora. Il lui semble se noyer dans une mare sombre, visqueuse. La panique l’oppresse.
— Christian ! Mika ! s’affole-t-elle.
— Je t’y emmène… attends-moi, on y va.
Caro envoie un message à Shin et à Alex. Lana rattrape Énora pour lui donner ses affaires personnelles laissées dans sa boutique.
— Plein de courage, prononce-t-elle les yeux pleins de compassion.
Caroline choisit les longues marches d’escalier qui accèdent au parking pour récupérer sa voiture. Elle est garée sous le pont vieux près du Tarn. Énora prévient Christian de leur venue chez lui par message. Le lundi, c’est son jour de repos, il le passe à jardiner. Elle reçoit une réponse, un message de Mika.
« Papa a été contacté par les urgences de l’hôpital, il est arrivé quelque chose à maman, on y arrive presque. »
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