– Gotffferdomme !

Baraka lâcha un long soupir en s’affalant de tout son poids sur le vieux sofa au cuir craquelé. Éprouvé par les 96 kilos du jeune homme, le fauteuil en fit autant.

C’était le trône favori d’Émile, son père. Chaque soir, Émerence posait sa croupe maternelle sur l’accoudoir matelassé, enlacée par le bras dodu du paternel dont le blanc laiteux contrastait avec la couleur moka du fauteuil (et avec le cuir de Baraka, que Clooney aurait classée quelque part entre volluto et arpeggio). Ils agrémentaient alors le récit de la journée du fiston de rires en double croche. Jusqu’à l’heure du coucher, le vieux fauteuil couinait au rythme synchrone de leur double fessier. Ils l’aimaient, le petit ket.

Mais depuis ce maudit mardi, seule la chatte Jeanneke (vingt-trois ans, sept kilos et une cataracte au compteur) dodelinait d’une tête absente tandis que Baraka vidait son sac et ses glandes lacrymales. Les rires de ses vieux avaient cessé d’éclabousser les murs – plus très – blancs de la fermette. Son cœur esseulé criait famine. La tristesse avait passé le relai à la colère, un sentiment inédit et indomptable pour ce garçon au passif émotionnel en électro-encéphalogramme plat. Depuis près d’une semaine, il s’était retrouvé seul contre le monde et contre lui-même. Ces jérémiades arrivaient trop tard. Baraka n’avait jamais su ce que c’était de grandir. Jusqu’à ce que la grande faucheuse lui force la main à l’aube de ses trente-quatre ans.