#7 Le brouteur de carton

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Coincée entre une facture de gaz et un rappel de facture, l’enveloppe rafistolée d’un méli-mélo de manchettes de journaux se détachait de la pile instable de courrier que Baraka avait laissé s’accumuler sur le guéridon.

Inutile de l’ouvrir, le papier sec et usé s’effrita sous ses doigts, révélant son contenu: un dos de carton souple estampillé Kellog’s. Adepte du spoiler, Baraka zieuta direct la signature.

Trésor.

Mais oui, Trésor! Le seul (et unique) répondant de l’enquête aussi quantitative qu’empirique menée par l’apprenti doctorant. Déniché sur un forum de passionnés de football. Baraka avait fait avec, bidouillant le logiciel d’analyse statistique SPSS pour obtenir un échantillon représentatif. Il n’était pas le premier ni le dernier à le faire, lui avait fait remarquer son directeur de thèse. Il faut dire que sa trouvaille corroborait toutes ses postulats. Trésor trouvait ce projet formidable: il exprimait une motivation sans faille à s’intégrer au tissu social comme garçon de ferme. Baraka et son ego avaient été touchés par cette reconnaissance inespérée, dont le monde académique l’avait privé depuis le premier jour de ses investigations. Enfin quelqu’un pour croire à son projet. Et pas n’importe qui: Trésor incarnait la vraie voix qui compte: celle des réfugiés. Originaire de Côte d’Ivoire, Trésor avait erré par « monzéparvo » traversant les rivières et les rizières, les passeurs et les traquenards, les déserts arides et la grande Mer pour enfin arriver épuisé à Paris, où il revendait des tours « Eïfèlle » aux touristes au pied du « Trocadéro » en attendant des jours meilleurs.

Le répondant s’était ensuite enquis du chercheur par un grand nombre de questions sur son physique: quel était son poids, sa taille, sa corpulence, son look capillaire…? *

Flatté, Baraka avait pris du plaisir à répondre à ces questions peu fréquentes et avait même envoyé quelques photos. Quel drôle de bonhomme ce Trésor!

Que racontait-il donc ce Trésor?

Chère Baracca,

SOS les gardecotte mon cofré.
Il mexpédie dans le camps en périféri de Lyon.
Vien me sové silteplé mon Baracca.
Jetattend vien vitte.

Vindjou! Sa réaction s’était faite en deux temps. Le soulagement, d’abord, car depuis qu’il lui a donné son adresse postale et son numéro d’assuré, il n’avait plus eu de nouvelles de Trésor. Il avait même songé un instant à une… arnaque! Haha où avait-il la tête. C’est le Système et la politique Européenne, l’arnaque. Il s’était plutôt rappelé sa propre devise inspiré de Paul Éluard: Il n’y a pas de hasard mais que des rendez-vous là où la chance vous appelle. Le soulagement avait vite fait part à un sentiment nouveau. De l’inquiétude? Une certaine forme de responsabilité? Hmm… La missive de sa première recrue pour travailler à sa place à la ferme familiale n’arrivait pas par hasard, Baraka en était convaincu. Ce carton de Kellog’s était un signe du destin.

Mu par une force nouvelle, Baraka boucla ses valises: il partirait demain à la première heure.

- - -

*La conversation s’apparentait à celle avec le seul match sur Tinder que Baraka avait grappillé en 6 mois d’abonnement Gold. Au bout du feed, la responsable de casting des frères Dardenne pour un drame social l’avait rapidement ghosté dès qu’il avait commencé à parler abondamment de sa thèse.

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