Journal du Docteur Croswell
Le cas d’Amélia Lavane m’inquiète fortement.
Cette jeune femme me perturbe. Je ne parviens pas à la comprendre. La rage qui l’étouffe et qui n'apparaît que dans son journal, à ce que les infirmières m’ont dit, semble si douloureuse, autant qu’elle est fascinante.
Elle ne parle pas. Ne hurle pas. Ne pleure pas. Mais ses yeux…
Dans son mutisme, elle ne ressemble pas à toutes ces coquilles vides que je vois défiler dans mon bureau quotidiennement. Non, au contraire, elle est si… vivante.
Généralement, les patientes qu’on envoie dans mon service sont fichées violentes, névrosées, quasi irrécupérables, et surtout indomptables sans une camisole chimique. Amélia, elle, ne correspond absolument pas au profil médical que son précédent médecin a fait d’elle. Le diagnostic de la schizophrénie est erroné. J’en suis persuadé. Mais comment le prouver si je ne peux délier sa langue ?
Elle ne me fait pas confiance, je le sais. Elle n’a confiance en personne, d’ailleurs. Pourtant, comme j’aimerais entendre de vive voix les enfers qu’elle décrit dans son journal. Comme j’aimerais moi aussi être son confident.
Mais elle ne me laisse pas entrer dans sa tête. Ne tourne son regard de la fenêtre que pour me lancer un de ses regards aussi noirs que la fange dans laquelle elle est prisonnière.
Je ne sais pas vraiment ce que je fais, ni où je vais, encore moins pourquoi elle m’obsède autant. Je ne peux pas lui dire ouvertement ce que je ressens sans passer moi-même pour un fou.
Pourrais-je d’ailleurs le devenir si elle ne s’ouvre pas à moi ?
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