Prélude (2)

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L'Île des Sœurs est peuplée de gens qui sont à la fois né dans le diable et qui y sont parvenus par un chemin de vieille souche. Vous avez l'impression que votre île est bâtie sur des mâchoires et que les ponts, les rues, les châteaux, les bâtiments et les églises sont parés de barbelés, de cordes et de traits de foudre.

Ce sont des îles à la fois profondément à l'est, ouest, nord ou sud, d'un hémisphère à l'autre. Le seul bon sens à leur égard est de les considérer comme des jouets en perdition.

Dans l'une d'elles, la civilisation est née en réaction à l'expérience de la barbarie. Il faut être bien fou pour découvrir en soi-même quelque chose de barbare et d'horrible.

Quand Stéphane débarque sur l'Île des Sœurs, il est surpris qu'on lui retire aussitôt ses menottes. Il croit qu'on lui a menti et qu'il est enfin libre. Mais non. Les cachotteries sont justifiées : il a été condamné à mort et son crime est de s'être échappé de son hôpital. L'occasion de lui rendre grâce pour lui avoir accordé la vie.

La première personne qu'il croise, c'est Alexandre. Il lui demande quel est son nom. Alexandre lui répond qu'il s'appelle Alexandre. Il lui demande si c'est un nom de baptême. Non, répond Alexandre. Il demande alors s'il est marié. Il est marié, répond Alexandre.

– Je vous remercie, dit Alexandre. Vous êtes le mien?

– Oui.

– Vous n'avez pas le droit de m'interdire le port de mon nom?

– Non, monsieur Alexandre.

– Alors, nous sommes allés à la même école, monsieur Alexandre.

– Je suis obligé de vous le répéter, c'est la première fois que je vous rencontre, je suis Alexandre.

– Vous êtes sûr que c'est un nom de baptême?

– Non, c'est un nom de baptême.

– Je n'ai pas entendu de nom de baptême depuis... À peu près vingt ans.

– Je vous écoute.

– Il y a un nom de baptême, un nom de baptême qui me sert de prénom.

– Je vous écoute.

– Dans un journal.

– Je vous écoute.

– Il y a des gens que j'aime.

– Je vous écoute.

– C'est un nom de baptême.

– Je vous écoute.

– Il est très beau.

– Je vous écoute.

– C'est un nom de baptême.

– Je vous écoute.

– Un nom de baptême.

– Je vous écoute.

– Je sais que c'est un nom de baptême.

– Je vous écoute.

– C'est un nom de baptême.

Stéphane ne faisait pas confiance à cet Alexandre, dont le nom de baptême n'était pas le nom de baptême. Il lui demanda tout de même :

- Il y a des médicaments ici ? Une pharmacie ? Un hôpital ?

- Oui.

- Bon, tu vas y aller?

- Oui, mais je vais en sortir.

- C'est tout?

- Oui, c'est tout.

- Je t'attends.

- Oui, oui, je sais, je sais.

- Oui, t'inquiète pas.

- Oui, je t'aime, je t'aime.

- Je t'aime aussi.

- T'inquiète pas, je vais y aller.

- Aller à l'hôpital.

- À l'hôpital.

- On se revoit.

- C'est ce qu'on fait.

Cette osmose était née sans prévenir – le coup de foudre –, sans grande préparation, et avec des réactions de l’autre côté. Elle est sémantiquement possible, et sémantiquement c’est bien la dernière chose qui intéresse l’ethnologue, qui a une conscience de la réalité sociale.

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