Chapitre 1
C'est là que j'interviens. Qui suis-je ? Pharmacien et pharmacienne. Dans mon métier, je m'appelle Hélène et je suis française. Et je vous parle de la France, et du Brexit, et de la crise sanitaire que nous connaissons en ce moment.
Je ne connais pas encore Stéphane, mais je sais que Stéphane m'a volée. Il m'a pris mon carnet pour y faire des croquis.
— Comment ça?
— Je l'ai vu le chercher lorsqu'il est parti. Il m'a demandé si j'avais besoin de quelque chose. Je lui ai dit que j'avais tout à l'heure dîné chez lui et que je ne mangeais pas de choses. Il m'a répondu qu'il était occupé et que j'avais dîné tout seul. Je l'ai observé, il avait une chemise blanche et un pantalon noir, il avait les mains sales, il n'était pas dans un état de confiance. Alors, j'ai eu l'idée de le prendre.
— Vous l'avez pris?
— Non, je lui ai demandé s'il voulait faire quelque chose. Il a parlé de faire des croquis et j'ai pris le carnet.
Moi, je peux comprendre, l'envie d'aider les autres ou celle de devenir peintre. Mais voler quelqu'un, c'est mal. « C'est un acte criminel. »
Voilà. Les mains sont sur les hanches, il n'y a plus rien à dire. Il me regarde avec beaucoup de détermination. Et je ne sais plus quel son de cloche il réclame.
« Tu as quelque chose à me dire? »
Il se mord les lèvres, d'un air de connivence à l'évidence. Il se lève et va vers la porte. « J'en ai un tout à l'heure. »
Il sort et, quand il revient, le cliquetis d'une porte qu'on ouvre, le grondement de la rue, l'uniforme luisant, et, au fond de moi, une envie de m'en aller.
Il disparaît comme ça et j'ai envie de m'en aller, de me lancer à sa poursuite, de retrouver Stéphane, le voleur de médicaments pour enfants.
— C'est parfait.
C'est la même voix, celle qui vient de détacher ses lunettes.
— C'est une autre histoire, celle de Nicolas. J'avais envie de vous parler de lui, je voulais vous avertir. J'avais l'impression que ça devait arriver. J'ai lu des choses sur son cas. J'ai aussi parlé à son père.
On m'explique que Nicolas est un homme comme les autres. Je ne comprends pas. Il a la tête aussi.
— Vous vous souvenez de lui?
— Non. Je crois. C'est lui qui m'a appelée, dans le train.
— Quel train?
— Le train de l'aéroport.
— Je vous ai dit que vous ne pouviez pas savoir où vous étiez.
Mais tout ça, je m'en fiche. Moi, je veux juste récupérer ce que m'a volé Stéphane. Je ne parle pas des médicaments, mais je parle des vêtements.
– D'accord, mais ça ne vous fait pas rire, hein?
– J'ai pas la tête aussi bien faite que vous croyez.
– Quand vous aurez fini vos pommes, je vous les laisse.
Il n'y a plus de doute : c'est le plus important des pommes, la pomme de Stéphane, que je viens d'ouvrir.
– O�
– Plaît-il ?
L'autre me regarde d'un mauvais œil. Je ne peux pas lui dire que le carnet était dans la poche. Mon carnet. Dans ma poche. Dedans, il y avait des papiers qui avaient leur importance.
– Où est-il?
– Où il est, il est.
– Il n'est pas là?
– À la même place où il était.
– À la même place?
– Oui.
– Il n'y a pas de papier?
– Non.
Je ne mens pas. À peine. Stéphane a tout emporté. Je dois savoir où ils l'ont emmené. Je dois quitter cette maison. Il faut qu'il s'en aille. Je ne peux pas rester ici. Je n'ai plus la force de le garder.
– Vous avez parlé à Stéphanie?
– Elle a l'air de se réjouir de nous voir. Je n'ai pas pu lui dire que tu étais mort.
– Ah bon?
– Tu es précis.
– Je n'ai pas voulu lui parler.
Je sais aussi que je n'y couperais pas. Je ne l'ai pas voulu, mais je devrais lui parler. Stéphanie, c'est un nom de plume. C'est comme ça que je l'ai baptisée, en l'appelant cette petite fille qui n'est pas faite pour ça. Je ne sais pas ce que ça veut dire. C'est la première fois que j'ai une fille. Et ce n'est pas une petite fille.
– Tu l'as tuée?
– Non.
– C'est toi qui as tué Stéphanie?
– C'est Stéphanie qui a tué Stéphanie.
On l'a trop souvent eue, cette conversation. Le père de Stéphanie est rentré d'un voyage en Espagne, et l'enfant est restée à la maison. Stéphanie ne le lui dit pas, ne lui parle pas de son amour, mais, plus tard, elle ajoute :
– Ce qu'il m'a fait, c'est pas normal.
Il ne lui a rien fait. Il ne lui a rien dit. Mais elle ne l'a jamais oublié.
C'est pour ça qu'elle est morte, à cause d'un livre, qu'elle a toujours voulu écrire,
et qu'elle n'a pas pu finir, parce qu'il y avait trop de gens qui allaient la traiter de sorcier.
Et quand elle était à l'hôpital, la faisant remonter,
elle a voulu parler à un psychologue, et c'est là qu'elle a été la première à dire :
"Oui, il y a eu des fautes de ma part,
je l'ai mal fait"
Maintenant, je dois retrouver Stéphane et ce foutu carnet.
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