Dans l’égout qui n’en est pas un.
Elles étaient toutes deux devants l’entrée de ce qui ressemblait à une bouche d’égout ou plutôt à un dégueuloir.
Avec un charmant sourire Yumi s’adressa à Saavati :
- Allons princesse, donnez-vous la peine d’entrer !
- Mais je n’en ferai rien, après vous gueusaille !
- Diantre, il ne s’agit pas de lanterner. Les argousins ne vont pas tarder pour la relève.
Et malgré la situation elles pouffèrent de rire. Puis retenant sa respiration la Nonce risqua une patte, puis l’autre, avec la même conviction qu’une chatte décidée à traverser un étang.
Le conduit était très étroit passeraient-elles ? Saavati sentait l’aide charitable de Yumi qui la poussait. La Nonce avait la sangle du falot entre les dents, elle avançait sur les genoux et les coudes, glissait sur quelque chose de mou, d’humide, de poisseux et surtout de mal odorant. Tête basse leur dos, leur corps, frottant souvent sur le plafond ou les parois du boyau, Saavati et Yumi essayaient de mettre le plus de distance possible entre le débouché de l’égout et elles. Elles avancèrent ainsi pendant ce qui leur sembla être une éternité, le conduit n’était ni rectiligne, ni horizontale, plusieurs fois elles rencontrèrent des croisements et toujours elles prenaient le boyau le plus large, enfin elles purent se redresser. Elles continuèrent encore ainsi à marcher sur un sol relativement plat et meuble dont la pente quoique légèrement pentue n’en finissait pas de monter.
- Saavati, on en est où avec le réservoir du falot ?
- Il est à moitié vide. Pour l’instant, si on retourne sur nos pas, on pourra le faire dans le noir. Tu penses qu’ils viendront nous chercher jusqu’ici ?
- J’en doute, mais notre situation n’est pas brillante. Combien de temps pourra-t-on rester sans boire ni manger dans cet endroit, sérieux je ne pensais pas que cela pouvait être pire que la chiourme.
- Pire que la chiourme ? Tu rigoles… s’ils nous reprennent, nous serons écorchées vives et crucifiées. Attention ! fais attention au trou ! regarde il y a une sorte d’échelle, on fait quoi ? on descend, ou on continue ?
Baissant son falot, elle tenta d’éclairer le puits béant.
- Moi, je suis pour descendre, comme ça s’ils nous envoient des chiens ils ne pourront pas venir nous donner la chasse.
- D’accord Yumi, je commence à descendre l’échelle, elle est en bronze, elle est drôlement glissante. Dés qu’on arrive en bas on fait le point et on défait nos chaines.
- Oui, faut faire gaffe, avec ces putains de chaines c’est un sacré bordel, va pas trop vite n’oublie pas qu’on n’a pas 2m de chaines qui nous relient.
- Putain ! ça je ne risque pas de l’oublier. Bon j’y vais, je commence à en avoir marre de mordre l’anse du falot en bas tu passes devant.
La descente fut longue et périlleuse, Saavati, avec le falot Yumi, avec leur maigre butin, dans deux sacs attachés à la manière d’une besace ou de sacoches cavalières.
Enfin elles se retrouvèrent sur un amas de briques, à la lumière sourde, crépusculaire de leur lumignon, elles aperçurent quelques détails du lieu où elles allaient bientôt patauger. Elles étaient au milieu d’une caverne d’au moins deux cents mètres carrés, aux parois lisses mais torturées, aux stalactites aussi nombreuses que biscornues.
Elles profitèrent de cet ilot de briques au milieu de toute cette boue pour s’enlever les chaines des poignets. Mais elles ne purent retirer aucun bracelet, aucun collier, ils étaient soudés, idem pour la chaine qui les reliait l’une à l’autre car elle l’était toute autant à leur collier.
- Je ne sais pas où on est… mais surement pas, ou plus dans un égout. J’ai l’impression d’être légère sans ces chaines, rien que pour ça, ça en valait la peine. Dit Saavati en se frictionnant les poignets.
- Maintenant on fait quoi ? cette salle a beau être grande c’est tout de même pas un cul de sac ?
- Je suis d’avis de faire le tour de cette putain de grotte, et de trouver un coin pour qu’on se repose un peu et qu’on fasse le point.
- T’as raison, faisons cela.
Elles descendirent du tas de gravats, et les pieds enfoncés biens au-dessus des chevilles dans une crème profonde, liquoreuse, moelleuse mais toujours étrangement tiède, elles entreprirent l’exploration des lieux. Pendant les premiers temps elles progressèrent comme sur des œufs, cela n’empêcha pas nombre de glissades, seul la sauvegarde de la lumière comptait. Au plafond, sur les côtés, ce n’était qu’anfractuosités, jeux d’ombres parois embuées, suintantes. Plus elles avançaient, plus cette salle allait en se resserrant pour ne plus être qu’une sorte de galerie plutôt étroite. Parfois elles devaient marcher accroupies, parfois elles pouvaient se redresser, et encore plus d’une fois elles durent baisser la tête. Puis enfin le boyau s’élargit, la lumière du falot était toujours impuissante à pénétrer les embranchements de plus en plus nombreux qu’elles trouvèrent sur leur chemin. La roche était une sorte de calcaire jaunâtre qui humide tournait facilement en craie et déposait sur leurs corps en sueurs une belle couche de mortier frais.
- C’est tout de même anormal, il devrait faire frais, voir froid. Et nous transpirons comme si nous étions dans une étuve, même la roche est tiède.
- C’est vraie duchesse, et j’ai une de ces soifs ! je te dis pas.
- Moi aussi, il faut qu’on trouve de l’eau. Je suis épuisé et j’ai faim… Ecoute j’entends comme le bruit d’une cascade, ce n’est pas mon imagination ?
- Oui ! C’est vrai, c’est faible, mais tu as raison, ça vient de par là. Regarde ce n’est pas une galerie, mais une chatière ! baisse-toi ! on y va.
Elles abordaient en effet un passage pénible, elles rampaient comme des serpents, poussant devant elles les sacs avec tous leurs trésors. Le sol baissait, puis remontait brusquement pour aboutir à une sorte de banc massif, ou plutôt de balcon dominant une salle gigantesque dont le sommet percé devait bien être à plus de 100 m. Une cascade perçait la paroi à mi-hauteur pour se jeter dans un petit lac au-dessous du balcon.
Tout là-haut un coin de ciel rosissait, le premier jour de leur fraiche liberté pointait son nez.
- On devrait descendre pour aller boire et voir ?
- Tu ne trouves pas que ça pue ?
- Bah ! pas plus que dans la chiourme.
- Yumi, je ne pense pas, cela me rappelle les prisons de l’inquisition, et plus précisément le val de l’enfer. Tu ne sens pas cette odeur acide qui pique le nez ?
- Tu as raison… maintenant que tu le dis… mais on peut quand même descendre.
- Surtout pas. On va attendre que le soleil pénètre par l’avant de faire quoi que ce soit. Ici on est cachée et protégée. On va vider les sacs, faire l’inventaire et nous reposer.
- A tes ordres duchesse. Alors on a : deux chaines d’un mètre, quatre manilles, une paire de sandales à semelles de cordes, une longue tunique rouge au genou avec encolure bateau, c’est une tunique Dominienne à manches courtes, un plastron en cuir doublé de coton lassé sur les côtés, un pagne court, un cingulum, un démanilleur, un épissoir, un coutela, un briquet, de l’amadou, une musette et dans la musette… une gourde pleine de… attend ! je la débouche… du vin ! je ne sais même plus depuis combien de temps je n’en ai pas bu.
- Pareille pour moi. On va pouvoir fêter notre évasion.
- C’est pas tout… il y a aussi trois miches de pain, un gros morceau de fromage, deux autres frais enveloppés dans des feuilles de figuier, un saucisson, une pipe, du tabac, un fouet, une écharpe, une mangue et deux pommes.
- Tu oublies nos trois falots. Files moi à boire.
- Tu entends ?
- Oui, c’est ce que j’attendais. Regarde le trou dans la voute, il s’obscurcit, les locataires rentrent se coucher. Lui cria Saavati.
- T’as raison des dizaines de milliers de chauve-souris. Je comprends maintenant. Hurla l’autre. Ça fait un de ces boucan !
- Oui, ce n’est que le début, dans peu de temps se sont les hirondelles et les turlutis qui sortiront de la caverne. Au sol il faudra faire attention aux serpents et aux grosses scolopendres, sans compter les rats. Ici on est protégée on est en retrait. Pour l’eau du lac elle ne doit pas être bonne à boire il faudra trouver un chemin jusqu’à la cascade.
Saavati éteignit le falot.
- Rien que pour ce qu’on va manger et boire notre évasion valait le coup.
- Oui duchesse, enfin du repos, ici on va se faire un petit nid et attendre de voir venir. Avant de dormir je vais enfin pouvoir me retirer cette putain de manille qu’on a à notre sexe.
- Je suis du même avis que toi Yumi, et arrête de m’appeler duchesse.
Leurs rires se perdirent dans l’immensité du gouffre, étouffés sous le bruissement d’ailes et les piaillements des oiseaux qui s’éveillaient.
Annotations
Versions