Prologue (corr. Anne).
On dit que tous les tarmacs de tous les astroports se ressemblent, c’est peut-être vrai. En tout cas, celui d’Exo-Time 1 ne dérogeait pas à cette règle. Les robots molosses patrouillaient en silence, leurs quatre yeux et leurs oreilles paraboliques étaient à l’affût de tout mouvement suspect. Les tourelles de DCA, ainsi que de multiples radars, scrutaient l’horizon d'un ciel sans nuage. Une des compagnies du régiment colonial T-Rex3 accédait, en bon ordre, à la première soute d’un lourd transport de troupes. Deux cents hommes en armures de combat prenaient en même temps place dans leurs sièges coquilles, selon la procédure réglementaire. Les intercoms étaient branchés sur leur Capitaine, lequel était en contact avec la passerelle de commandement et plus précisément avec le PCO*. Cela devait faire maintenant une bonne heure qu’ils attendaient que la rampe arrière se relève et se ferme, mais rien… ou si peu : juste un superbe coucher de soleil dont les derniers rayons ricochaient sur la rampe, faite d'un alliage de graphène- titane et de biopolymères multicouches blindées.
- Mais enfin, mon Capitaine, on attend quoi ?
- Caporal, il semblerait qu’il manque encore trois passagers.
- Bah, ils n’auront qu’à prendre le prochain transport, mon Capitaine. Là, ce sont des heures de perme qu’on perd !
- C’est vrai, mon Capitaine… renchérit un autre Caporal, nous sommes quand même la crème des troupes de choc ! On nous doit bien cela, surtout après la prise du secteur 8.
- Le problème, les gars, c’est que c’est nous qui sommes dans leur transport, et non le contraire. Nous sommes leurs invités, notre transport n’était pas attendu avant demain.
- Mon Capitaine, un transport, pour seulement trois bonshommes ?
- Oui, c’est tout ce que je sais. Alors, bouclez-la ! D’ailleurs, j’ai un message audio… on ne va plus attendre longtemps, ils arrivent. Verrouillez vos casques et branchez-les mode sécu niveau 1, procédure décollage, risque mini.
- A vos ordres !
Deux cents AMADs* semblèrent se figer au même instant que deux Almocaténs, en tenue de combat, gravissaient la rampe, accompagnés d’un sarcophage, suspendu dans l’air par quelques mini droneporteurs. A peine cinq minutes plus tard, le transport décollait, encadré de quatre chasseurs VX Vulcain, en direction de la lune Minor, base arrière des troupes de l’Union Démocratique Interplanétaire (UDI). L'UDI était à l’origine l’alliance de quatre planètes et du triple de lunes, une union historique dont le projet était d’augmenter le potentiel de recherche pour le développement spatial commun. Cela avait été la plus grande levée de fond depuis l’aube des civilisations humaines, son objectif premier était d'explorer la galaxie, en vue de trouver de véritables jumelles de la terre, et de découvrir de nouvelles ressources exploitables. La majeure partie serait envoyée dans le système solaire, grâce aux balises spatiales et aux satellites-relais mis au point par les Nietzschéens. Mais, si l’humanité avait trouvé quelques planètes porteuses d’espoir, elle avait trouvé aussi d’autres intelligences, pas toujours bienveillantes, ni heureuses de se voir dépouiller de leur biens. Sans compter qu’au sein même de l’UDI, au fil des décennies, tensions, dissenssions avaient fait leur chemin et l’UDI s’était scindée en deux ; la Terre, Vénus et Mercure faisant bande à part, pour créer la Coalition Ecologique des Trusts Capitalistes, (CETC). Si, dans bien des cas, l’UDI et la CETC pouvaient encore faire cause commune, surtout quand il fallait taper sur un tiers, il n’en allait pas de même pour EXO, planète et joyau oublié sur le bras de Persée, et surtout dépourvu de civilisation aborigène. Le gâteau était bien trop tentant, et c’était à qui aurait la plus grosse part. Bref, c’était la guerre entre l’UDI et la CETC, une guerre sans nom, dissimulée derrière un acronyme : l'OPEP.
Une lumière verte s’alluma au plafond, suivie d’une sonnerie.
***
- Ça y est les gars, vous pouvez retirer vos casques et sortir de vos AMADs, nous sommes dans le rayon tracteur. Dans six heures, nous serons en orbite autour de Minor. Caporal Satou, tu disais qu’on était les meilleurs ? Viens, je vais te présenter à la crème de la crème des troupes de choc, les véritables héros de la prise du secteur 8 !
Les deux hommes, en combinaison vert olive, s’avancèrent au-devant des deux Almocaténs. Et après un bref salut réglementaire :
- Je me présente : capitaine Garmisch, et voici le caporal Satou. C’est un honneur. Je vous remercie, au nom de ma compagnie et en mon nom, pour cette balade dans votre transport.
- De rien, capitaine. Je suis l’Almocatén Riu Muntanya, et voici l’Almocatén Ferro de Llança. J’espère seulement que nous serons dans les temps pour notre arrivée sur Minor.
- Je vois que vous escortez un sarcophage cellulaire.
- Oui, nous l’amenons sur Minor, pour qu’il soit pris en charge par douze de nos Adalids les plus capés.
- Je croyais que vous régliez vos comptes rapidement au sein de vos sections ?
- C’est toujours le cas.
- Alors, cet Almogàver que vous transportez endormi ?
- Lui, c’est une exception, justement. C’est pour cela qu’on espère qu’il arrivera encore endormi sur Minor, sinon, il va tout casser.
- A ce point ? interrogea le Caporal Satou.
- Oui, Caporal, intervint le Capitaine, il faut que je t’explique… nos armures sont notre défense avec son blindage, et les servomoteurs qui y sont greffés nous donnent une force surhumaine. Si tu veux, on est comme des crabes. Mais pour les Almogàvers, l’exosquelette est interne. Cela leur donne une force inimaginable, leur rapidité et agilité leur tiennent lieu de blindage, c’est pour cela qu’ils portent des combinaisons souples. Ils représentent les troupes d’élite de nos alliés, les Nietzschéens. Dans leur sang coulent des nano particules de biopolymères régénératrices, sans compter les micro-puces de dernière génération qui dopent leur cerveau.
- C’est vrai, Capitaine, nous sommes des humains augmentés… oui, encore humains et pas tout à fait cyborgs. Et vous savez que les Nietzschéens n’ont pas de limites en matière de recherches.
- Et il a fait quoi, votre gus, pour être là-dedans ?
Les deux Almocaténs se regardèrent et rirent de bon cœur.
- Et bien, il a tout fait et rien, pour en arriver là. Approchez-vous et regardez-le bien à travers la vitre blindée.
- Bordel ! c’est un deuxième classe, un simple peón. Pourtant il porte un Oracle Grade 9.3, celui des Généraux Interarmes. En plus, il y a une signature ADN dédiée, c’est impossible, il n’a pas pu l’usurper ! Et s’il avait été cassé de son grade, c’est la première chose qu’on aurait effacée.
- Vous avez raison, et ce n’est pas une anomalie du Système Oracle Supervisor.
- Alors, comment ?
- Dis-lui, toi, Riu, après tout c’est ton ami.
- Després de tot ! (Après tout) on a le temps, si cela vous dit ?
- Évidemment ! Ce n’est pas tous les jours qu’on voit ça.
- Bon, pour un Almogàver, il est tout ce qu’il y a de plus normal. Il est endurci aux privations, il supporte des fatigues auxquelles peuvent seuls résister les tempéraments de fer. Il nous arrive souvent de nous passer de rations ou de sommeil pendant plusieurs jours, et pourtant d’être opérationnels. Il est comme nous tous, très vif, ardent et agile à la course, il fait un excellent éclaireur, rapide à donner la mort, maître en camouflage. Non, son truc, c’est de survivre. Dans nos sections de combats, quand il y avait un ou quelques survivants… il faisait toujours partie du lot. Au début, on pensait que c’était un lâche ou un planqué... mais, rien de cela. Pour être sûr, on a interrogé les survivants qui étaient dans les sections où il a servi… De tous, le même son de cloche… le serrer de près était dans la plupart des cas une assurance de survie. On a visionné des centaines d’heures d’holobandes : rien de concluant. Par contre, on s’est vite rendu compte que c’était un emmerdeur, un tire-au-flanc qui savait se faire oublier, mais qui peut-être avait un problème avec l’autorité. Du moins, c’est ce qu’on croyait, car, pour aucun combat, même pour ceux où il avait fait preuve d’héroïsme, il n’avait été cité pour une médaille ou une promotion. Alors, pour tirer cela au clair, on m’a bombardé chef de Région militaire, avec dans ma section celui qui allait devenir mon ami. La première chose qu’il m’a dite, lors de notre première rencontre : "j’aime pas recevoir d’ordres et j’aime encore moins en donner. Cap Riu, je vais te dire la même chose qu’à tous les Almocaténs qui t’ont précédé : si tu veux les lauriers, pas de problème, juste oublie-moi dans tes rapports et pas de promotion pour moi, tu veux ? Je suis un chien de guerre bon qu’à mordre. De toute façon, comme les autres, tu comprendras vite." Et c’est vrai, j’ai vite compris. En réalité, c’est lui qui, de façon facétieuse, commandait non pas mon escouade, mais tout un bataillon ; sans participer aux réunions d’état-major, sans même faire semblant de s’y intéresser. C’étaient presque tous les Almocaténs et même beaucoup d’Adalids qui venaient prendre conseil. Il disait : tu veux mon avis ? Eh bien, faisons une partie de néoshogi. Et, tout en avançant ses pions, il déroulait ses instructions en lissant sa barbe. Ce qui est étrange, c’est qu’il savait avant tout le monde où étaient nos troupes et celles de l’ennemi.
- Mais, vous ne voyez pas son Oracle ? L’écran est bien plus grand qu’une montre antique, tout de même ! Sur l’artéfact qu’on porte au poignet gauche, le menu d’accueil est très lisible, et on peut lire, en grosses lettres, Oracle Grade 9.3.
- Exact, mais quand on est dans le menu paramètre, on peut baisser artificiellement le Grade de l’Oracle ou faire en sorte qu’il n’apparaisse pas. Et comme vous le savez Capitaine, les upgrades de l’Oracle sont différents des gallons, car c’est l’algorithme Nietzschéen qui gère l’Oracle et non pas le haut commandement, ni le ministère des armées. Le SOS, prime sur tout, il reflète l’intérêt et le pouvoir que donne les Nietzschéens à un individu. Regardez le mien. Je ne suis qu’un Almocatén, ce qui équivaut au grade de Sergent ou Sergent-Chef, pourtant je suis certain que mon Oracle est supérieur au vôtre. J’affiche Oracle Grade 4.5, alors que vous êtes Capitaine d’une compagnie d’élite, et pourtant votre Oracle affiche Grade 4.2, c’est-à-dire que sur un champ de bataille, je peux, si je veux, vous commander. Le plus fort de l’histoire, c’est que celui que vous nommez peón a pour nom Teixó, ce qui veut dire blaireau dans notre langue et d’une certaine façon il en a le caractère, mais il n’a jamais fait usage de ce passe-droit pour donner son avis. Qu’on l’écoute ou pas, il s’en fout, on dirait qu’il sait que de toute façon, il sauvera sa peau. Je l’ai vu traverser un champ de mines rôdeuses, sans l’ombre d’une hésitation. Non, c’est certain, nos « créateurs », les Nietzschéens, ont beau nous avoir génétiquement et mécaniquement modifiés, cela n’explique pas tout. Et ce n’est que depuis quinze jours… après la prise du Secteur 8 aux troupes de la CETC, que j’ai, par inadvertance, pu prendre connaissance du Grade de son Oracle. Sur ce coup-là, mes gars et moi, on l’a joué fine quand, pour fêter notre victoire, on a fait une descente dans le quartier des plaisirs de la base Delta, avec pour mission de saoûler et droguer ce cher Teixó. Cette fois, il n’y coupera pas. De peón, il va passer Adalid, direct.
- C’est bien la première fois que je vois une telle promotion, et un homme faire tout pour y échapper.
- J’ai quand même mon avis là-dessus.
- Mais encore ?
- Que savez-vous de nous et de nos brigades, Capitaine Garmisch?
- Ce que l’on apprend en école de guerre.
- Oui, je vois et c’est peu. Le mot d’ordre des Nietzschéens tient en une phrase : « l’idéologie, c’est le savoir, la science et la technologie. » Nous en sommes la preuve. A la base, nous sommes des humains comme vous, mais nous sommes triés génétiquement, puis, si c’est notre volonté, modifiés. Nous sommes tous d’origine Catalane, c’est pourquoi les Nietzschéens ont créé les bataillons d’Almogàvers. Ils ont fait appel à la mémoire des gènes, une de leurs nombreuses trouvailles. Ainsi, chaque Almogàver pourrait dire : « Il y a quelqu'un dans ma tête, mais… Il ne vit pas dans ce siècle-ci ! ». Ainsi, en plus de mes souvenirs, j’ai ceux d’un lointain ancêtre. D’ailleurs, il nous arrive souvent de parler de nos batailles du XIII siècle. Il semblerait que, pour Teixó, cela soit plus compliqué, bien plus compliqué. Vous voyez, dans mon cas, je me souviens de mon vrai passé : celui d’un pionnier un peu bagarreur sur Ganymède, avant de m’engager comme soldat pour le compte des Nietzschéens. Ensuite, ils m’ont proposé de « m’augmenter ». J’ai dit oui, mais, comme ils disent : « il vaut mieux ne pas être plus de deux dans une tête, et c’est déjà beaucoup. » Donc, les ingénieurs Nietzschéens font en sorte que les souvenirs d’un de nos ancêtres s’accordent le plus possible avec notre personnalité. J’ai donc pris le nom de mon aïeul, comme une deuxième naissance, sans pourtant renier qui je suis. Je sais, c’est compliqué et notre sélection est impitoyable, pour éviter tout cas de schizophrénie. J’ai compris que Teixó était à part, quant à dire que c’est une volonté des Nietzschéens, je ne saurais dire. Ce que je sais par contre, c’est qu’il a été découvert dans le cocon d’un vaisseau à la dérive, perdu dans le Nuage de Oort. C’est un miracle qu’une patrouille des Nietzschéens l’ait retrouvé. Je ne peux pas dire qu’il ait été très loquace sur cet épisode, il ne m’a pas dit combien de cycles de sommeil il a enchainés, ce qu’il m’a répondu, c’est qu’après le centième, il a arrêté de compter, et qu’il aurait préféré ne pas avoir à subir autant de fois la phase réveil et endormissement, mais son cocon était bloqué sur des cycles de 80 ans. Bref, on l’a rapatrié sur Éris au Centre de Santé CS-01 du secteur FNO-Britannia-22, ce qui correspond aux Côtes d'Armor de la division 2017, le laboratoire recherche et développement de l’armement Nietzschéen.
- Eh bien, Almocatén Riu, cela semble bien mystérieux ! En dehors de tout ça, une chose intrigue aussi : pourquoi avoir pris un transport de troupe et non une navette ?
- A cause d’une découverte faite par Teixó, oui, encore lui. Vous savez que nous sommes vulnérables dans les airs, et que le ciel d’Exo est un véritable champ de tir au pigeon.
- Oui, c’est vrai. Les transports terrestres vers le front sont lents, il n’y a aucune infrastructure, pas de route et les fleuves sont aussi nombreux que larges et entre… rien, hormis des champs de mines, des plateaux arides, des déserts et des montagnes. Les fleuves sont la seule voie d’accès, et ils sont difficilement défendables car, comme on dit : qui tient les hauts, tient les bas. Or, ils sont, comme on le sait, bien plus bas que les plateaux, sans compter qu'ils peuvent aussi être minés.
- C’est pour cela que Teixó a trouvé une solution. Mais vous m’excuserez de ne pas en dire plus, car c’est encore top secret. Alors, si cela vous dit, passez nous voir à notre Bodéga sur Minor.
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PCO (Poste Central Opérations).
AMADs (Armure Mobile d’Attaque et Défense).
Union Démocratique Interplanétaire, (UDI).
Coalition Ecologique des Trusts Capitalistes, (CETC).
OPEP (Opération Planétaire d’Etablissement Prioritaire).
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