I. La fin du roi

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La tête du roi gisait au sol. L'exécution fut rapide, nette et précise. Le bourreau tenait une lame suffisamment grande pour détacher plusieurs corps de leurs têtes, le fil de l'épée paraissait assez aiguisé pour couper le billot qui soutenait le condamné. L'arme n'avait sans nul doute jamais foulé un champ de bataille et il s'agissait d'une insulte à la bannière des Illithir.

La place était si bondée que l'air semblait s'y faire rare. Les grands noms des plus grandes familles de la ville étaient réunis avec le bas peuple, les "gueux" dont ils avaient réprimé quelques révoltes les ans passés. L'Église des Seigneurs Divins avait envoyé certains de ses représentants pour attester de la mort de Rehimyr Illithir ; il l'était.

Cependant, aucun son ne s'élevait de l'endroit rempli des contemporains d'un des plus illustres souverains. La foule semblait retenir son souffle, l'air était lourd comme à l'approche d'une tempête orageuse, le vent soufflait dans les rares arbres qui ornaient l'esplanade de pierre d'un gris usé par le temps et rougit en son milieu, par le sang fraîchement épandu. Il était difficile de croire qu'un tel homme pouvait s'éteindre si simplement, sans artifice ou quelconque subterfuge pour s'évaporer dans les ruelles de la ville fortifiée à la recherche d'une monture pour le conduire loin de là. Ce que tout le monde guettait, c'était le signe de la faiblesse de cette supercherie, la preuve que tout n'était que vulgaire tromperie. Sans héritier, la bannière de la famille Illithir sera détachée du donjon de Fort Aldamis, bâtiment central d'Ysgarath.

L'attente de l'attroupement fut récompensée, d'une certaine manière, par une agitation provoquée par les soldats en armure, qui gardaient précédemment l'édifice faisant office de paysage : le siège du Haut Conseil. Ils progressaient maintenant à travers le public en bousculant de leurs larges épaules protégées d'un métal luisant, visiblement aussi vierge en batailles que l'épée du bourreau.

On pouvait donc voir la foule se séparer en deux au passage forcé des sentinelles. En suivant du regard l'endroit duquel ils avaient démarré leur incursion dans le rassemblement, on pouvait y distinguer un homme d'un âge avancé, au visage déformé par ce qui semblait être de la colère. Ses habits étaient colorés et lui seyaient parfaitement, agrémentés çà et là de dorures qui formaient une fioriture distinguée qui ne laissait aucun doute sur la provenance nobiliaire de l'individu. En plissant un peu les yeux, j'ai pu distinguer le Juge du Haut Conseil. La couleur violette prédominante dans son accoutrement indiquait son appartenance à la famille Helwing, connue notamment pour avoir des racines dans la majorité des institutions du royaume.

Les gardes avaient atteint le billot et poussèrent l'exécuteur au bas de la petite estrade sur laquelle s'était déroulé le spectacle sanglant. Ils attrapèrent la tête du condamné, ce qui me fit frémir de rage et de dégoût. J'avais une boule dans la gorge, j'entendais le sang passer dans mes oreilles et mes poings se serraient sans que je n'en aie nullement le contrôle. Comme d'un réflexe ou d'une pulsion, j'ai commencé, à l'instar des brutes cuirassées, à me frayer un chemin en écartant le flot humain qui me séparait du centre de l'attention.

Comment osaient-ils ? Ils tenaient la tête du roi Rehimyr, mon maître, mon ami. Ils la tenaient par les cheveux, la levant vers le Juge, sans montrer ni respect, ni pardon.

Une fois proche de l'échafaud, je me suis écrié :

— N'avez-vous donc aucun respect pour la dépouille de feu votre roi, chiens ?!

Cette phrase fut le déclencheur d'un mouvement de foule inespéré. Le calme qui avait progressivement déteint, venait finalement de rompre. Un brouhaha éclata de toutes parts. "Allez-vous en !", "Laissez le corps du roi !", "Chiens !" et "Vous n'avez aucun respect !" n'était qu'un avant-goût des protestations qui étaient jetées comme des pierres sur la carapace luisante des rustres qui continuaient de fixer leur supérieur.

— Silence ! s'écria de toute sa voix le Juge.

Tout le monde se tut et l'observa avec attention.

— Je comprends votre... Agitation. Cependant, la personne dont vous voyez actuellement la dépouille n'est pas votre traître de roi. Il s'agit d'une pâle copie ! affirma-t-il, non sans gravité dans le ton de sa voix.

Mon attention s'était donc portée sur le visage inerte balancé à bout de bras, juste devant moi. L'espoir était revenu, mon cœur se réchauffait et la boule qui entravait ma trachée devenait peu à peu une sensation chaude et agréable dans mon estomac et mes entrailles. Le malheureux qui gisait sans vie n'était pas mon roi. La ressemblance était frappante, mais certains détails, comme les traits fins et gracieux ou encore les fossettes qui agrémentaient ses sourires, n'étaient pas identiques.

La cacophonie reprit de plus belle, mais rien n'était compréhensible. Devant le Haut Conseil, on pouvait voir de nouvelles couleurs s'approcher et bien qu'il ait été difficile de reconnaître leurs visages, leurs corps tout entier hurlaient l'incompréhension, la colère et l'inquiétude. La question était sur toutes les bouches, nul ne pouvait contenir son esprit en ébullition, du petit bourge tenant une modeste échoppe à l'érudit chargé d'entretenir la Grande Bibliothèque, de l'arnaqueur notoire au garde qui tenait la tête d'un quidam sur l'échafaud, le microcosme de cet événement avait une seule question en commun : où est le roi ?

Pendant que tout un chacun tournait la tête dans toutes les directions, comme si le roi avait pu être leur voisin, une main venait tapoter mon épaule et mon oreille distingua une phrase, prononcée d'une voix féminine, ferme et visiblement pressée :

— Elethor, venez avec moi.

En me retournant, j'avais pu voir que le corps relié à ladite main était encapuchonné dans une étoffe bordeaux finement ouvragée. Cette couleur n'était pas celle de n'importe qui, c'était celle de la bannière sous laquelle j'ai prêté ma vie, celle de la famille Illithir.

Elle s'était mise rapidement à tourner les talons dans le but de s'extraire de la masse et je lui ai rapidement emboîté le pas. Le temps semblait s'être suspendu autour du corps inconnu, mais je n'avais pas le temps de rester inerte ici, car la voix que j'avais entendue était celle de ma reine et elle m'a ordonné de la suivre.

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