II. La machination

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Nous avions traversé les rues pavées de la cité en grande hâte. Aucun mot n'était nécessaire pour comprendre l'urgence de la situation car, une fois la cohue calmée là-bas, les soldats risquaient de se ruer vers la forteresse. Le roi, condamné à mort pour trahison envers le peuple et le Haut Conseil, accusé d'avoir provoqué une révolte dans le fief d'une famille rivale, avait fui, on ne savait ni où, ni comment.

On était arrivés dans les appartements royaux en ignorant les courbettes et les visages inquiets des différents serviteurs et gardes parsemés sur le chemin.

— Elethor, vous devez préparer vos affaires, les Sentinelles vont arriver d'une minute à l'autre. Vous devez partir sur-le-champ.

— Mais... Majest-..

— Non. On n'a pas le temps. Vous devez le retrouver. C'est un ordre ; c'est son ordre.

Elle quitta la pièce sur ces mots. La reine était une femme d'une taille dans la moyenne, et pourtant, elle avait le caractère d'un géant. Ses yeux bruns m'avaient fixé tout le long de son injonction, sans une once de crainte. L'assurance et le contrôle semblaient rayonner de sa personne.

J'avais observé sa silhouette ainsi que ses cheveux châtains lorsqu'elle sortit de la pièce. Je ne verrais peut-être jamais plus ce visage aux traits envoûtants, cachant une quantité innombrable de malice. Elle n'avait jamais la langue dans sa poche et sa perspicacité lui avait assuré une place sur le trône, presque taillé uniquement pour elle.

Elle était sans l'ombre d'un doute la femme la plus puissante du royaume. Certains disaient également la plus belle. J'ai longuement eu l'occasion de la côtoyer. Le roi étant ce qu'il était, j'ai été le plus propice à passer du temps avec la mère du royaume.

Nous avons ensemble passé des soirs entiers à discuter de domaines d'éruditions qu'elle appréciait toucher du bout du doigt, sans pour autant s'enorgueillir d'une quelconque expertise. C'est ainsi que nous refaisions les décisions et batailles de son mari, nous observions les étoiles et prenions connaissance des dernières avancées en médecine.

Elle était assurément une bonne personne, aimante et aimée. Et pourtant, cela ne l'empêchait pas de se sentir humble et modeste. D'aucuns diraient qu'il existait des défauts chez elle, comme son manque de tenue et son obstination, pourtant je ne comprends que trop bien le choix de mon roi de s'en être entiché.

Il me fallut quelques minutes pour oublier sa présence royale et me rendre compte qu'elle m'avait mené dans ses propres appartements et ceux du roi.

En observant plus attentivement la prestigieuse chambre à coucher, je me rendis compte qu'elle n'avait point bougé depuis l'arrestation, le lit à baldaquin recouvert de soie, les murs de pierres blanches immaculée, la tapisserie dans laquelle étaient brodés les membres de la famille Illithir jusqu'aux deux derniers : Rehimyr et sa femme Nayra.

En entrant dans la pièce, c'était effectivement la chose qui se démarquait le plus, cette tapisserie, car la couche se trouvait directement à la gauche de la porte et le reste des meubles, bien que recouverts de feuilles d'or, ne dénotaient pas avec l'esthétique du donjon. Cependant, en détournant les yeux de l'œuvre murale, je vis, au fond de la salle, de l'autre côté du lit, une silhouette se tenant debout, immobile.

En m'approchant lentement, je constatai qu'il s'agissait d'une tenue de voyage en cuir, bien qu'elle eût semblé être modifiée, peut-être mélangée, avec une armure légère similaire à celle d'un brigand. Dans le brassard, il y avait l'emblème de la bannière Illithir, un sablier, qui avait été martelé.

Je compris avec aisance qu'elle m'était destinée, car la coupe et les dimensions étaient miennes. Je ne suis pas un grand athlète, mais j'avais une carrure assez fine et élancée que pour être agile, bien que je n'avais guère eu l'occasion de me pencher sur la question d'un point de vue pratique.

Après un long moment, j'avais finalement terminé d'enfiler le vêtement défensif qui me donnait l'effet d'un uniforme d'assassin au service de la bannière.

Je n'eus point l'occasion d'admirer ma nouvelle toilette, car assez rapidement, les couloirs du donjon firent résonner quelques protestations étouffées contre les murs de marbre. Bien que j'eusse été incapable d'en comprendre les mots, il ne faisait aucun doute que Dame Nayra en était la destinataire.

C'était sans une once de doute que j'avais pressé l'allure en direction de la salle du trône, mais avant de pouvoir traverser librement le couloir coudé qui menait au flanc de ladite salle, un garde se mit en travers de mon chemin.

— Elethor, attendez, dit-il d'une voix saccadée.

Il me tendit d'une main hésitante une enveloppe cachetée d'un sablier. Il devait à peine avoir atteint la majorité et l'état de son armure prouvait qu'il venait de finir l'académie martiale. Son hésitation n'était que le fruit de sa peur, la situation était limpide autant pour les novices que les chevronnés, le terrain était assez fertile que pour semer la guerre. Je pris la lettre scellée avant de la glisser dans ma cuirasse de cuir, puis il reprit lentement la parole.

— J'ai également reçu l'ordre de vous indiquer de passer par le couloir des domestiques. Non loin du garde-manger, il y a un accès aux charpentes pour les artisans chargés d'entretenir le bâti. De là-haut, vous pourriez vous éclipser plus aisément.

— Qui vous a donné ces indications ? Pourquoi je devrais m'éclipser comme un voleur ? demandais-je avec une certaine impatience.

— C'est Sa Majesté la reine, affirma-t-il en tournant les talons pour rejoindre, à la hâte, la salle du trône.

Je fis donc ce qu'il me disait, me dirigeant d'un pas assuré vers le quartier des domestiques. En entrant dans le couloir dont il était question, je fus étonné de n'y voir personne, comme s'il avait été précédemment évacué et en y réfléchissant, j'avais croisé bien moins de membres du personnel depuis que j'avais quitté la chambre royale. La porte de service n'était pas spécialement dure à repérer, il s'agissait d'un étroit passage dans le mur, quelques mètres après l'entrée des cuisines. Habituellement, la porte était cadenassée cependant ma fuite semblait si bien organisée que la porte était grande ouverte, donnant sur un escalier en colimaçon qui s'érigeait jusqu'au squelette du toit.

Une fois le palier atteint et quelques passages exigus traversés, je me trouvais donc à une dizaine de mètres au-dessus du trône et je vis la scène qui s'y déroulait, à l'abri des regards.

— Je le répète une dernière fois, clama la sentinelle en chef qui se tenait devant la reine. Selon la décision unanime du Haut Conseil et avec l'aval des bannières de la couronne, vous êtes priée de nous suivre sans résistance pour vous faire mettre aux fers tant que votre complicité dans l'évasion de votre mari, le roi déchu Rehimyr de la bannière Illithir, n'aura pas été démentie.

— Et je répète qu'en tant que votre souveraine régente, la décision du conseil n'est pas unanime car je n'ai jamais donné mon aval pour ma propre arrestation.

À l'entrée de la salle, il y avait une dizaine d'hommes de la garde royale, portant leurs hallebardes en direction de Dame Nayra, tandis que celle-ci discutait avec un homme un peu plus avancé que les autres. Son armure était davantage impressionnante et d'un meilleur ouvrage, il était en vérité le chef d'un détachement de sentinelles chargé d'arrêter officiellement la famille royale. L'élément que je n'avais pas remarqué, dans un premier temps, était que l'impressionnante femme portait une arme, une arbalète, qu'elle tenait en joue en direction de son interlocuteur.

— Vous n'avez pas ordre, ni même droit, de me tuer. Alors essayez donc de m'emmener de force. Je vous attends.

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