Chapitre 1 : Deux enfants dans le désert
La voiture traversait rapidement le désert en cette après-midi. Ma sœur et moi étions postés sur le siège arrière de la voiture. Nous n’étions aucunement inconfortables, simplement nous admirions les dunes ainsi que le ciel bleu qui nous avait fait rêvé depuis notre appartement parisien. Je m'hypnotisais à les regarder ces dunes, il y a en qui passaient si vite et que je m’amusais à les suivre d’un bout à l’autre de la fenêtre. Le désert était tranquille et nous étions tous seuls et je ne me lassais pas de ce jeu de course poursuite avec les yeux.
Tout était si irréel ! J’en avais à peine cru mon père quand il m’avait dit que nous irions visiter l’Émir. Lui et ma mère avaient reçu une mission scientifique de la part du généreux prince. C’était en rapport avec des plantes de ce que l’on nous avait annoncé au tout départ. Qu’importe l’objet ! Nous, ce qui nous importait en ce moment, c’était qu’on nous avait pas laissé sans nos parents. Moi je me souvenais de ces mille voyages où nos parents nous quittaient, des moments de solitude, de désarroi et enfin de colère. Hors ici et maintenant, j’enterrai la hache de guerre, ils nous avaient pris avec nous, pour une fois. Ils ne nous avaient pas abandonné. Et en quelle honneur ? Je connaissais bien mes parents, et je me doutais bien que ce n’était pas de leur initiative. C’était l’Émir qui l’avait voulu.
Poussé par la curiosité, il m’arrivait de m’avancer depuis le siège arrière vers le siège avant. Et je leur glissai la question à l’oreille. « C’est qui l’Émir ? ». Mon père, qui ne conduisait pas, se retournait aussitôt. Son œil gauche était glacé tandis que son œil droit s’illuminait vivement. « Qu’est-ce que tu veux que j’en sache ? », disait-il comme si j’avais proféré le dernier des affronts. Pour une fois, il me disait la chose de manière courtoise, signe bel et bien qu’il se passait quelque chose dans ce petit voyage. Oui l’Émir, ce que ces regards me disaient, c’était que c’était quelque chose pour mes parents. Ils faisaient ce voyage pour le prestige très sûrement, avoir l’honneur d’être reçu par un prince, et enfin, c’était l’essentiel, ils le faisaient pour l’argent. Il m’apparaissait que cet Émir devait être bien riche pour pouvoir nous conduire tous les quatre jusqu’à une destination lointaine. L’Émir, je l'imaginai qui siégeait sur un trône en or et en diamant. Dans une belle salle de réception. Il avait le loisir de nous faire attendre, lui qui devait recevoir les invités par centaine chaque jour. Il y aurait une antichambre décorée de mosaïque où des serviteurs nous amèneraient des figues, des petits gâteaux et autres sur des plateaux d'électrum, et enfin, après quelques jours, les portes s’ouvriraient, et à ce moment, tous les quatre, nous inclinerions bien bas sur le tapis brodé.
Mes parents ne m’écoutaient pas. C’était un fait. Ils avaient manqué toute la belle description qui répondait à ma propre question. Non, ils ne m’écoutaient pas. Tant pis pour eux. Je me tournai vers ma sœur. Qu’avait-elle ? Je voyais son visage si lisse, aussi lisse que la pente des dunes. Son teint était cependant si pâle et je me doutais bien vite que quelque chose n’allait pas.
– Qu’est-ce que tu as ?, demandai-je à ma petite sœur.
Celle-ci continuait à fixer le siège arrière, sans même me regarder. Je la connaissais plus vivace. Il y a une minute à peine, j’avais de la peine à la contenir, et elle s’exclaffait sur la beauté du ciel, sur le paysage, me posait toutes les questions que j’avais moi-même posées à mes parents. En murmure, comme l’exigeait ma mère, je lui avais glissé mes suggestions de réponse, mes mille hypothèses. Le fait que nous aurions sûrement une chambre à partager là-bas, que je m’occuperai d’elle, à mon habitude quand les parents n’étaient pas là, que j'espérais qu’on nous nourrirait bien. Toutes mes explications étaient en général accueillies par tout un flot de paroles de sa part. Alors pourquoi se taisait-elle ?
Je la vis vaciller un peu sur son siège, pour se pencher en avant. Elle allait vomir, c’était donc ça. Les heures passées confinées à l’intérieur ne lui réussissaient donc pas. Fort heureusement, un sac l’attendait qu’elle eut le temps de saisir. Durant tout le processus, nos parents ne la regardèrent même pas, semblaient toujours ne rien entendre, et de surcroît ne sentait rien à l’odeur. Le déjeuner vite fait avaler d’il y a quelques heures fut ainsi déchargé dans ce petit sac, et heureusement, tout à fait refermer. Nos regards se croisèrent, par un haussement de sourcils, je lui adressai un « tu vas bien ? » auquel elle répondit d’un air noir, une sorte de « laisse moi tranquille ».
– Tu vas bien ?, lança enfin mon père sans se retourner.
– Oui ça va, lui répondit l’enfant presque étonnée.
En réponse, je sentis mon père acquiescer mais rien de plus. Pas un mot de plus. Je n’étais pas fou au point de l’imaginer sourire aux malheurs de sa fille, tout en observant ce panorama devant ses yeux. Non, je pense plutôt qu’il devait attendre la deuxième crise, inlassablement, le moment où on serait obligé de s’arrêter. Et alors, je savais que ça allait barder.
Un petit visage s’approcha de ma joue. Je me tournai aussitôt pensant avoir affaire à un spectre. Mais ce n’était que ma sœur qui m’observait, l’air fatigué.
– C’est quand qu’on arrive ?, me murmura-t-elle à l’oreille.
Une question que moi aussi je me demandais bien. Je regardai par la fenêtre. Le ciel était tout aussi bleu, l’après-midi tout aussi avancé et enfin les dunes identiques à celles que nous avions saluées il y a quelques heures. J'étais confus. Que lui répondre ? J’eus tout à coup l’impression d’être Atlas qui portait le monde sur mes épaules. Elle pouvait perdre la tête si la réponse était imparfaite, si elle décelait en moi un doute ou une hésitation. Il fallait donc faire vite.
– Oh nous arrivons. Dans pas longtemps. A mon avis, l’Émir a mis son château pas loin de la station. Mais oui tu sais, il doit avoir d’autres visiteurs !
– C’est qui l’Émir ?
– Bah, l’Émir, c’est notre hôte.
– Et tu sais s’il est gentil ?
Je lui adressais le plus grand des sourires. Je lui recyclai ma longue description de ce fameux prince. L’Émir oui je me projetai à plusieurs lieues d’ici, à plusieurs minutes de là. Une odeur d’encens parfumait le salon des invités. Nous étions assis, les uns à côté des autres. Mon père me tournait le dos et quant à ma mère, elle se tenait à côté, tenant la main de ma sœur. Une immense fresque se dessinait devant mes yeux. Il y avait des coussins, des couleurs chatoyantes, des épices, des thés de différentes couleurs. Et puis un jardin que l’on voyait par un vitrail. Un magnifique jardin qui contrastait avec le désert dont je ne désirais que sentir les odeurs et pénétrer les mystères. Enfin, et c’était l’essentiel, l’Émir était allongé en face de moi. Il était…. mais au même moment, mon père me sortit de ma rêverie.
– Voilà, nous y sommes les enfants, dit-il en nous regardant du coin de l'œil.
Ma sœur regarda aussitôt par les deux fenêtres. Aussi curieuse que d’habitude, elle cherchait à distinguer le merveilleux palais. Je regardai aussi. Il n’y avait que des dunes, encore, et ce ciel d’un bleu qui commençait à devenir oppressant.
Une petite main me tapota l’épaule.
– Oh, regarde !, m’indiqua ma jeune sœur.
En effet, là juste devant, par le par-brise, un monument se dessinait à travers l’horizon. Nous étions aux portes de chez l’Émir.
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