Chapitre 3 : Comment fuir d’un palais ?

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L’Émir nous fit traverser un jardin tout en longueur, délimité par un canal où l’eau coulait doucement. J’avais grand soif, surtout après les évènements qui venaient de se produire, et je dus me contenir pour ne pas plonger tête bêche dans le bassin. J’avais déjà manqué à l’ordre une fois et la sécheresse de ma bouche ne valait pas encore de se battre. Pour l’oublier, je me concentrais plutôt sur la belle vue et les bonnes senteurs qu’on nous offrait. Je voyais des arbustes d’à peine ma taille à côté de buissons et de plantes de couleurs apaisantes. Il me sembla distinguer de la lavande à l’oeil, une plante me rappellait de bons souvenirs. Je constatai aussi les taillis plus feuillu où j’évitai soigneusement de me prendre les pieds. Comme nous longions un muret, je me focalisai également sur les plantes rampantes, en réalité simplement le feuillage d’un arbre planté de l’autre côté. Je me demandai bien jusqu’où allait ce jardin puisqu’il semblait y avoir tant de parties interconnectées. J’espérai en tout cas que ce n’était pas juste un jardin où voir mais qu’il y aurait en supplément de quoi s’asseoir.

En tête de file, on trouvait notre hôte accompagné par mon père. Les deux hommes semblaient plongés dans leur discussion, en pleine négociation même. On aurait dit que mon père connaissait déjà le palais parce qu’il ne prêtait pas vraiment attention à tout ce qui nous entourait. Après tout, peut-être était-il déjà venu ici à l’occasion de l’un de ses nombreux voyages. Peut-être qu’il avait déjà pris le temps de mémoriser chaque senteur et chaque vue de ce jardin. Mais non, c’était impossible, comment pouvait-il passer devant ce petit ruisseau et ne pas s’exclamer que c’était beau, ou embrasser les pieds de son employeur pour l’avoir menée dans ce petit endroit. Les plaisirs étaient rares, alors pourquoi manquer celui-ci ?

Tout comme ma mère, mon père était chercheur. Les deux travaillaient dans le service identique et s’était d’ailleurs rencontré là-bas. Je ne me rappelle pas que mes parents m’aient jamais parlé de ce qu’il faisait exactement, ou seulement à l’occasion parfois pendant le dîner. Je m’aperçois avec le recul que ça tombait sous le sens qu’ils nous aient amener en plein désert. De ce que j’ai appris bien plus tard, ce deux personnes voulaient modifier des plantes pour les rendre plus résistante à la chaleur, au sable, plus économe en eau aussi. Un projet qui avait bien des concurrents vu le stress qu’ils dégagaient mais, à en voir leurs regards vers le lointain, un projet qui pouvait changer le monde. Toujours est-il qu’ils eurent de bout en bout la discipline de ne rien nous révéler, et ce jusqu’à la fin.

Le jardin débouchait sur un bâtiment rougeâtre plutôt de bonne hauteur. Je me surpris de ne pas l’avoir remarqué plus tôt. Il ressemblait tellement aux autres bâtiments du dehors et je ne pensais donc pas qu’il était inclus dans le jardin. Il ne m’intrigua pas outre mesure et nous le longeâmes vite sans autre commentaire. Dans la suite du parcours, l’Émir nous fit descendre jusqu’à une petite rotonde. Le sol tout autour était recouvert de mosaïque abstraite qui me faisait penser au carrelage de ma salle de bains, mais j’évitais bien sûr la remarque.

Enfin, et après tout ce parcours qui n’était pas désagréable malgré mon inconfort, ma soif et ma colère, on nous servit le thé.

Le thé ! Oh je me souviens le moment où l’Émir s’est absenté quelques instants et que nous sommes restés tous les quatre sous le toît de la rotonde. Ma mère et mon père ne me regardaient pas, nous étions comme invisibles ma petite sœur et moi. Je me tournai vers la jeune enfant qui fixait toujours en face d’elle. Ne se sentait-elle toujours pas bien, bien que nous soyions sortis de la voiture ? Quelque chose n’allait pas.

– Ne t’inquiètes pas, on va nous apporter du thé, lui signifia-je afin de la rassurer.

Elle ne me répondit pas, ne me dévisagea pas. Je détournai le regard assez chagriné de son manque de respect. Je portai ma vue un peu plus loin. Le soleil m'éblouit. Je détournai le regard à nouveau. J’aperçus enfin un reflet étrange. Je vis une cour en contrebas, une autre cours à l’entrée d’un grand bâtiment. A cette entrée, sculptée dans un matériel plus sombre se trouvait une fontaine richement décorée. Elle était entourée par des lions qui la regardaient et crachaient par leur gueule dans le bassin. Je me dis bien que c’était original mais avant d’avoir pu comprendre ce qu’était cet autre bâtiment, une toute petite main vint se poser sur mon épaule.

– J’aimerais bien aller aux toilettes, me dit-elle.

Elle me regarda presque avec honte en baissant la tête. Le fait est qu’on nous avait juste fait asseoir, nos bagages sur le dos, sans un mot de plus. Mes parents semblaient encore une fois être sourds, et de toute façon ne seraient pas d’une grande utilité. J’eus une idée. Je montrai à ma sœur la fameuse cour en contrebas. Il n’y avait personne après tout, et de toute façon, il était raisonnable de penser que dans un si majestueux palais, les sanitaires soient à portée de main. Vraiment, je le pensais sérieusement en montrant à ma sœur comment descendre par le petit escalier qui était un peu en retrait. L’enfant se leva et parti.

– Mais où va-t-elle comme ça ?, sorti ma mère, ses yeux comme deux pistolets.

Je lui expliquai la chose calmement, le plus simplement possible. La chercheuse en biologie rumina quelque chose dans un langage fleuri, parut choquée et fonça vers la cour que je lui avais indiqué. Ça aurait pu s’en arrêter là mais la dame se retourna et me mit une chiquenaude sur la tête, qui valait à mon avis pour cette bêtise et pour l’autre. Ça annonçait encore pire bien sûr, tout était mesuré en présence de mon père, qui, ça tombait sous le sens, nous ignorait royalement.

Je manquai de peu de m’étouffer en larmes, de honte et de remords. Mais je savais bien d’expérience que ce scientifique en face de moi ne le prendrait pas bien, essayerait de temporiser la chose, pour en fin de compte tout mettre sous le tapis. Je gardais tout pour moi, en imaginant un monde meilleur, en essayant de faire la part des choses. En réalité, toute l’énergie était en train de s’emmagasiner à l’intérieur et le séisme ne saurait bien tarder.

L’Émir ! Ce fameux prince qui faisait briller les yeux de ceux qui m’avaient donné naissance. Le voilà qui approchait pour nous donner à boire. Je pourrais refuser, tolérer de rester la gorge pâteuse, l’esprit embrumé jusqu’à la fin de après-midi, et après prendre un peu de l’eau des fontaines. Rien ne m’obligeait à accepter le verre de thé qu’il me tendait. Il faudrait que cette ordure me le fasse ingurgiter de force s’il voulait vraiment que je sois son esclave. Il envinemait tout en réalité, tout était beau ici, mais nocif, et il le savait bien. Ses pensées me traversèrent au moment où nos regards se croisèrent. Je ne suis pas dûpe, voulais-je dire tout haut. Ses petites lunettes firent un bond sur son nez. Il se pencha vers moi un peu, plus que je ne l’avais vu faire, et je vis un petit plissement autour de l'œil droit. Il cligna ensuite des yeux : le message était passé, nous n’étions pas amis.

Il posa un verre de thé sur le tapis en face de moi, puis se releva tout entier.

– Mon cher Monsieur, je voulais vous montrer nos dernières trouvailles. Laissez-moi vous les montrer !, dit-il en s’adressant à mon père.

Ce dernier s’était allongé confortablement sur les coussins, le verre de thé entre le pouce et l’index. Il sourit à l’illustre personnage.

– Euh… oui… enfin, d’accord mais ça va refroidir tout ça, ne vouliez-vous pas me montrer les spécimens après ?

Au sourire déjà gigantesque de mon paternel, l’homme répondit en faisant presque un croissant de lune avec sa bouche.

– Les murs ont des oreilles mon bon Monsieur. Pour le thé, ne vous en faîtes pas ! Il va refroidir à la température idéale le temps que j’aille vous montrer ce qu’il y a montrer.

Sans bouger son visage, sans même arrêter de sourire, ses iris pivotèrent dans ma direction. Une menace pour inhiber ma curiosité ? Il n’osait pas quand même !

– Allons-y alors, dit mon père en sautant en position verticale.

Et c’était ainsi que sous la coupole de cette rotonde, je me retrouvai tout à fait seul. Isolé sans que personne ne soucit de moi. Précisément personne.

Le soleil était encore en haut dans le ciel mais moi j’étais à l’ombre au frais. Alors pourquoi m’enfuir maintenant ?, pensai-je. Je brûlerais au soleil avant même que les gardes ne me rattrappent. Ces deux personnages, je devinais qu’ils s’étaient retirés à l’entrée du palais, et s’ils me voyaient, ils ne pourraient se faire de doute sur mon intention. Il faudrait passer très vite devant eux, peut-être me camoufler, passer sous une branche… Les subterfuges dansaient devant mes yeux fatigués. Puis, un autre souci, comment allais-je me débrouiller ensuite sur la grande route à pied. Il me faudrait trouver un refuge, quelque part dans ce désert. Je pensais aux tribus nomades qui parcouraient le désert. J’avais lu tant de choses à ce sujet, je les imaginais innombrable dans le désert. Il y aurait bien des âmes charitables pour m’intégrer dans leur voyage et faire de moi un bon caravanier. Alors, il ne me restait qu’à m’échapper de ce palais et le tour était joué.

C’était une occasion pour fuir d’ici, c’était sûr, mais la solution ne me sautait pas aux yeux. J’eus l’idée pour patienter d’aller voir de l’autre côté. Du côté de la cour aux lions. Vers le bâtiment que je voyais bien sombre. Le palais devait avoir une autre frontière, peut-être une avec une grille assez espacée pour me laisser passer. Je décidai donc de descendre l’escalier et d’aller voir ce qui se dessinait derrière le bâtiment.

Un petit canal faisait circuler de l’eau au côté de l’escalier. Je dévalai ce dernier, de peur malgré tout que l’Émir et mon père ne surviennent de derrière. Mais vite, je me rendis compte qu’il n’y avait décidemment personne d’autre dans le palais. Je me doutai bien qu’il devait y avoir un jardinier pourquoi s’occuper de toutes ces bellles plantes mais je ne craignai pour l’instant pas de le croiser dans cet immense jardin. Le jardin s’arrêtait de toute façon dans cette cour et ne semblait pas se prolonger au côté du bâtiment. Deux des lions grandeur nature me dévisageaient en déversant de l’eau dans le bassin. Potable ou non, je me jetai pour la boire.

Le bassin était si limpide, rien à voir avec ces autres fontaines qu’on salissait à tout bout de champ et où l’on jetait des pièces pour faire un vœu. Même pas une colonie d’algues ou je-ne-sais-quoi de plantes sauvages. De l’eau pure ! Cependant, au moment où j’en prenais dans ma main, j’entendis une branche craquée derrière. Ils sont revenus, pensai-je. Je m’autorisa une gorgée avant ma sentence et je me figeai à côté des félins. J’entendais l’eau qui coulait mais sinon le silence était total. C’était une fausse alerte, je respirai. Mais cela me fit comprendre que je ne pouvais jouer les promeneurs, les enjeux étaient trop grands.

Je jetai un œil au-dessus de la tête d’un des lions. Celui-ci me parut bizarre, c’est juste qu’il ne crachait pas d’eau, ou plutôt qu’il crachotait mal au lieu de cracher. C’est comme s’il y avait quelque chose de bloqué à l’intérieur. Peu importe, je devais partir à tout prix. Depuis la tête du lion malade, j'observais mieux l’entrée du bâtiment. Celle-ci était recouverte par une toiture imposante formée de plusieurs strates. Il m’était difficile de juger de la profondeur de ce lieu, et on distinguait mal les portes. Pas d’autre moyen de contourner, il fallait que je m’en fasse une idée de près.

La peur me taraudait quand même au moment de monter les marches du bâtiment. Superstitions ? En même temps, il y avait les excuses. Quelqu’un me verrait. On me ramènerait ensuite de force pour me faire châtier. Ou pire, quand on verrait que je suis entré, on m’emmurerait dans une salle tout seul à l’intérieur. Non, n’y pensons pas. La sortie était là, je ne pouvais pas renoncer. Je sentis une bouffée d’air frais. Il y avait une porte, il y avait une entrée. Je me jetais dans la gueule du loup.

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