Chapitre 4 : Le Monstre du souterrain
Ayant atteint les souterrains du bâtiment, mes pensées dérivèrent vers des sentiers plus sombres. Je parcourais les couloirs souterrains du bâtiments, les jambes à mon coup. Je n’avais qu’un mot en tête, « courir », qu’une émotion la colère. Je bouillonnais et c’était cette force qui me mettait en mouvement, donnant de la vigueur à chacune de mes enjambées.
Je ne me répérais plus du tout. Les couloirs qui apparaissaient à tournant étaient à l’identique des couloirs précédents. Un vrai labyrinthe. Faute de pouvoir sortir, je me mis à vouloir en découdre. Tout ça, c’était son palais, c’était à lui. A l’Émir. Les murs que je voyais était si sale et si lugubre et méritait malgré tout ma salissure. Je me voyais déjà rugir en heurtant de mes poings la brique en vis-à-vis. J’aurais aimé détruire tout ce qui était à lui, pourquoi alors ne pas commencer à l’instant ? Par exemple, en me défoulant sur cette lampe à demi-éteinte qui diffusait une lumière jaunâtre ? Ou cette maudite porte dont la couleur avait subi l’épreuve du temps ?
En même temps, le choix des objets à détruire se restreignait au fur et à mesure. Les éléments se raréfiaient et la lumière perdait en intensité à mesure que je franchissais ce souterrain. D’un instant à l’autre, ma cavale aurait une fin, c’était indubitable. Et effectivement, elle en eut une.
De peur de chuter sur un obstacle mal éclairé, je me contrains à réduire un peu ma vitesse. C’est donc sous un mauvais éclairage que m’apparut une longue tunique bien plus haute que moi. Un serviteur lambda l’avait suspendu au mur, pas de quoi s’inquiéter. Soudain, saut d’adrénaline. Il y avait quelqu’un dans la tunique. Le sommet de sa tête touchait le plafond tandis que ses bras ballants heurtaient sans encombre les deux murs parallèles. L’inconnu me barrait la route.
– Pousse-toi de là !, lui criais-je.
Il obéit sans un mot à mon injonction. Il me laissait passer. Non, c’était trop facile : il y avait une anguille sous la roche. Je le longeai sans encombre, puis soudain, quelque chose se passa. Je ne sais toujours pas si c’est lui ou si c’était moi, mais je sentis quelque chose à proximité de mon dos. Une sueur froide, ou bien une main qui s’apprêtait à me saisir. Bien sûr, il y avait de la colère, de la fatigue et de la honte, sinon je ne n’aurais jamais fait ce que j’ai fait. Et surtout, de la folie.
Un coup de poing dans l’estomac le fit reculer vers le mur. Puis, il y eut cette béquille qui lui fit perdre l’équilibre. Cela, je le fis tout en prenant la fuite vers le bout du couloir. Derrière moi, j’entendis un bruit sec sur le sol : il s’était effondré par terre. Déjà ! Mon orgueil gonflait. J’en perdais l’esprit, ne voulais-je pas simplement fuir ? Non, d’abord une preuve, une preuve de mon succès. Je me tournai vers l’homme en plein dans l’éclairage. Et soudain, la lumière se fit.
– C’est vous !, hurlais-je.
Je pris peur. Son visage dispersait mes doutes. Je le reconnus. Chaque trait que j’avais pris soin d’observer se retrouver dans ce visage. Le long nez, les lunettes en fil de fer, les yeux noirs, ce profil élancé et enfin même le sourire, tout y était. J’avais en face de moi l’Émir.
Ma course s’était durablement arrêtée. Je me décomposais petit à petit. Qu’allais-je faire ? Horreur, c’était impossible ! Le maître du palais, ici. Je ne comprenais pas. Peut-être des raccourcis dans le souterrain ? En si peu de temps ? On parlait de quelques minutes quand même, et moi je l’avais vu partir dans l’autre direction. Seul un démon pouvait se téléporter ainsi ! Un démon, oui démon, voilà ce qu’était l’Émir. Ce n’était pas du hasard. Il me pourchassait ; il voulait me retrouver.
Il fallut un instant pour moi croire piéger comme un rat. Il souriait toujours, même mis par terre. L’Émir avait proprement encassé le coup et se releva maintenant. Fuir, il fallait fuir ! La sortie ne devait pas être loin. Mais par la science du démon, mes jambes ne répondaient plus. J’étais fixer sur le sol, tétanisé d’effrois. Les pensées fusaient de partout. Je craignais pour ma vie. Il fallait que je m’en sorte. Le cyclope était encore en train d’époussetter son vêtement.
– Viens païen ! Viens crapule !, lui criais-je à plein poumons.
C’était mon dernier chant avant d’affronter mon destin. J’aurais pu l’assommer d’un lexique des bas-quartier mais c’était les seuls mots qui m’étaient venus. Mes jambes étaient cloutées mais au moins il me restait la partie supérieure. Le cyclope n’en sortirait pas indemne c’était sûr.
– Qu’est-ce qu’il y a ? Tu as peur ?, commençais-je alors qu’une élancée nous séparait, une élancée avant qu’il ne s’effondre sur moi.
La suite des mots ne me venaient pas. Tout à coup, je sentis un afflux de salive sur ma langue et mon estomac fut douloureux. J’ouvris la bouche pour proférer une ultime parole, une utilme insulte. A la place des mots, je vomis à ses pieds. A entendre ses pas, l’homme recula et prit ses distances. L’amas visqueux et acide m’irritait la gorge ainsi que le fond de mon nez. J’ouvris faiblement des yeux, le liquide dégoûlinait de partout. Je vis aussi l’Émir à trois à quatre pas. Je titubais jusque là. S’il vous plaît, insinuais-je à mon corps, offrez-moi un deuxième jet d’acide pour dissoudre le cyclope.
Mais mon monde vacilla. Je perdis l’équilibre et me mangeais le sol. Deux mains me saisirent sous les bras. On m’extrayait de mon propre vomi. Mon champ de vision rétrécissait au fur et à mesure. En une dernière vision, je distinguai un pan de tunique qui se couvraient d’étoiles blanches, comme si le monstre allait se diluer dans le l’air. Il ne bougeait plus. Au moins, je n’aurais pas périt sans lutter, pensais-je alors que tout devenait noir.
Soudain, il eut cette voix tout près de mon oreille :
– Ne crains rien mon enfant. Ne crains rien, tout ira bien.
Il répétait ça en boucle par-dessus le bourdonnement dans mes oreilles. La voix devenait lente et grave, un murmure distant. Il répétait ça de plus en plus lentement, de plus en plus doucement…
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