Chapitre 5 : Aux Soins de l’Émir

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Mes yeux me faisaient mal. Je devinai une douce lumière de mes paupières closes. Je me sentais la tête lourde et le front brûlant de fièvre. Je sentais de l’encens. Je la reconnaissais car mon père avait l’habitude de brûler des bâtons d’encens quand j’étais malade. Ce n’était pas oppressant, au contraire l’odeur m’aidait à retrouver mes esprits. Mon corps était allongé : j’étais dans un lit. La couverture qui m’enveloppait était si légère que je la sentais à peine sur moi. C’est en tanguant de gauche à droite que je la devinai épaisse et moelleuse. Ça n’était pas mon lit à la maison, j’en étais persuadé.

J’entrouveris mes paupières. Une lumière orangée révélait une petite chambre au plafond bas. Je vis en premier lieu le fameux bâtonnet d’encens posé sur son support. Des volutes de fumées blanches s’en échappaient, dessinant des formes parfois familières, parfois inconnues. J’aimais ce jeu d’imagination à la maison, ça avait comme effet de m'apaiser. Je me sentais de mieux en mieux.

Je me tournai un peu. Sur un siège à côté, on avait posé une étoffe à la couleur du sable agrémentée de dorures. L’étoffe était épaisse, à moins qu’elle ait été repliée plusieurs fois sur ell-même. Il m’apparut cependant vite que ce tissu avait deux bras, deux jambes et un visage qui se rapprochait de moi. Je le désignais de mon index.

– Vous n’êtes pas l’employeur de mon père, affirmai-je.

La voix voix rauque qui sortit de ma gorge irritée me surpris.

Ce qui aurait dû faire l’effet d’une révélation sensationnelle n’amena chez lui qu’un petit sourire.

– Et qu’est-ce qui te dis que je ne le suis pas ?

Je me plongeais une nouvelle fois dans ces traits du visage, ce nez, ces yeux, ces lunettes. Tout cela m’avait valu tant de haine, et pourtant….

– Vous ne me vouvoyez pas, lui dis-je.

Il ne me répondit pas mais me scruta largement tandis que je détournai mon visage de lui. Un autre détail me vint :

– L’Émir est avec mon père.

Il fronça un peu les sourcils, pris un peu de recul comme s’il était indigné.

– Mon enfant, ton père s’est installé il y a une heure à peine à l’étage au-dessus. Je l’ai laissé à ses affaires, rien de plus, rien de moins.

– J’ai vu l’Émir partir de l’autre côté. Ce n’est pas possible.

– Tu veux dire de l’autre côté du jardin ?

– Non, du palais.

– Qu’est-ce qui nous empêcherait d’avoir rejoint l’étage supérieur par ce biais, puis moi de mon côté d’être descendu voir ce qui se tramait dans mes souterrains ?, énonça-t-il lentement.

– Comment saviez-vous que j’étais là ?

Il pencha légèrement la tête, releva ses lunettes en regardant vers la tête du lit.

– Mon cher, ça je ne saurais te le dire. Pas en cet instant.

– Alors vous mentez !, lançais-je en écarquillant les yeux.

Au lieu de me répondre, il se pencha vers la table au chevet du lit, où était déjà posé l’encens. Je ne vis pas ce qu’il fit mais je sentis soudain sur mon front une serviette imbibée d’eau fraîche. Le contact me fit tressaillir ; fort heureusement, l’eau ne me ruissela pas sur le visage.

– Détends-toi mon enfant. Tu as de la fièvre. Voudrais-tu un petit verre d’eau ?

Je hochai vaguement la tête sans même le regarder. Il se releva, pris un verre, le remplit et me le mit au chevet du lit. Je crus bien qu’il allait s’en arrêter là mais il apporta également une paille. Je buvais goulûment gorgée par gorgée, car sans m’en rendre compte, j’avais extrêmement soif. L’eau ravivait mon esprit, me fit avoir les idées claires. J’en oubliais presque la haine que j’avais pour l’homme et les horribles pensées que j’avais cultivées à son égard.

C’est donc que je me laissai fort quand l’homme posa sa main sur mes cheveux. Ses grandes mains qui me firent drôlement penser à des veuves noires, et malgré cela, je restai docile. Ce contact me faisait tout bizarre, je n’avais pas l’habitude ; ça me rappelait un lointain passé, ma petite enfance à vrai dire. L’homme se mit aussi à psalmodier. On dirait qu’il faisait sa salât du soir, c’était bien l’heure de la prière j’imagine. En même temps, on aurait dit les berceuses qu’on me chantait quand j’étais tout petit, quand il fallait dormir mais que le sommeil avait tardé à venir. Il murmurait ainsi calmement, inlassablement, dans sa langue gutturale sans que je ne puisse à aucun moment en deviner le sens.

Alors que l’incantation s’étendait dans la longueur, je rivai mes yeux sur lui. Il était immobile et les paupières closes, en transe.

– J’ai envie d’aller aux toilettes. Est-ce que je peux me lever ?

Le chant s’arrêta doucement, et doucement, il ouvrit l'œil.

– Je vais te porter. Il y a un peu de chemin.

Un peu de chemin ? Mais les palais des princes n’ont-ils pas des toilettes à chaque recoin ? Toujours est-il qu’il me prit tout entier dans ses bras, sans faire chavirer la tête. Il me transporta ainsi à l’horizontal hors de la pièce, puis hors du couloir. J’eus l’impression de flotter dans les airs, comme s’il avait porté le lit avec moi. Le trajet heureusement ne dura que quelques pas, et il me déposa en fin de compte près des sanitaires. Je mis les pieds au sol ; je me sentais faible et nauséeux ; l’air était rare en oxygène comme dans une cave. Cependant, ce fut assez pour aller sans encombre jusqu’à la cabine.

En sortant je sursautais de le voir encore. L’homme m’avait attendu les bras croisés dans le couloir. Il observait avec attention une lampe incandescente. En me voyant, il sourit et accouru vers moi pour me porter. Je lui fis cependant vite signe que ce n’était pas nécessaire, que je pouvais tenir sur mes pieds. Il acquiesça mais resta cependant à mon dos, comme s’il avait peur qu’à tout moment je chute.

Notre porte était la seule et unique porte ouverte. Il y a en avait deux autres du même gabarit mais également du même coloris vert abîmé des hôpitaux. Qu’est-ce qui se cachait donc derrière ? Avec une pointe d’inquiétude, j’entrai vite à la lumière de notre pièce.

Le lit occupait une grande partie de la chambre, mais ce n’est pas ça qui figea mon attention. Là, à la tête du llit, où je m’attendais bêtement à une fenêtre se trouvait une grande tapisserie. Ses couleurs étaient chaudes, en parfaite harmonie avec la lumière orangée. On aurait un rouge sale qui avait subi l’épreuve du temps. Je posai quelques instants, à une distance prudente, au pied du lit pour en discerner les formes. Le contour du tapis était formé de bandes plus sombres, remplies de sorte de petits monstres noirs. Leur tête était comme des blocs de marbres noirs, leurs pattes étaient fourchues et ramifiées à la manière des insectes ; leurs yeux enfins, deux orbes faites pour traquer. Je les observai interloqué, comme si je croyais vraiment qu’ils allaient bouger, comme si soudain les choses allaient sortir du décor pour m’attraper. L’Émir posa sa main dans mon dos, je sursotai.

– Qu’est-ce que c’est ?, demandais-je d’une petite voix à l’hôte des lieux.

Le personnage m’avait laissé observé, sans me pousser pour me remettre au lit, sans prononcer un seul mot. Il pencha la tête par-dessus mon épaule pour mieux observer.

– Ce n’est rien mon enfant. Il s’agit juste d’une tapisserie que je mets pour égailler les lieux. Je peux l’enlever bien sûr s’il vous inquiète de quelques manières.

Pour égailler les lieux ? Il plaisantait décidément.

– Monsieur, c’est quoi en fait cette chambre ?

Il mit sa deuxième main sur mon épaule, l’air rassurant.

– Eh bien, mon cher, vous êtes actuellement dans ma propre chambre. Mon lieu de vie, mon lieu de refuge.

Je me retournai et me détachai de sa prise et le regardai droit dans les yeux.

– L’Émir vit dans une chambre royale, Monsieur, donc vous n’êtes pas l’Émir.

– La chambre n’est donc pas assez royale, mon cher ?, signifia-t-il avec un petit sourire.

– Non, je ne pense pas. L’Émir est avec mon père de toute façon, et ma mère aussi. Ils ont du travail à faire ensemble.

Au lieu de répondre, il toucha mon front du dos de la main.

– Mon petit, je te sens un peu fiévreux tout à coup. Je te propose de retourner te reposer dans ton lit.

Il ne me contraint pas à y retourner, mais je jugeai plus sage d’économiser mes forces pour l’instant. Cependant, je décidai de m’asseoir seulement sur le rebord, pas tout à fait convaincu de ma sécurité. Il reprit la parole sur le même ton rieur :

– Tes parents t’attendent à la porte de l’infirmerie, là où tu es en ce moment.

– Devant la porte, là où je suis en ce moment ?, répétais-je bêtement l’air franchement perplexe.

– Pas devant cette porte, celle de l’infirmerie, là où tu es en ce moment, expliqua-t-il avec tout autant d’énigme.

Voyant mon air déconcerté, il m’avoua finalement la substance de la chose.

– Tes parents te croient à l’infirmerie, deux étages plus haut. Ils n’ouvriront pas la porte avant que tu y sois vraiment.

– C’est un stratagème alors ?

– Oh non, pas un stratagème. Je ne voulais pas dire ça. Je voulais te dire de ne pas t’inquiéter. Tes parents savent que tu as fait un malaise en t’aventurant trop loin dans le souterrain, me dit-il.

Il se pencha alors presque à mon oreille.

– Toutefois, ils ne sauront rien pour ta petite crise de colère. Cela restera entre nous.

Je restai un moment interdit, me plongeant dans ses yeux pour voir si c’était là la vérité. Quel malheur m’était-il arrivé ! Je me rendais peu à peu compte que j’étais dans un piège. C’était un piège qui ne manquerait pas de se refermer. L’Émir, ou n’importe quelle créature qu’il fut, en connaissait manifestement beaucoup trop. C’était comme s’il s’était attendu à me trouver dans ce couloir, m’ayant pisté au préalable. Et en même temps…. en même temps, il y a quelque chose dans mon cœur d’enfant qui me disait qu’il ne voulait pas de mal. Pas pour l’instant en tout cas. Je ne pense pas qu’il était du même habit que mes parents, c’était une personne beaucoup trop différente, beaucoup trop pour qu’il révèle de but en blanc ma crise au monde extérieur.

Je guettai un tressaillement sur son visage, un petit pli qui montrait qu’il hésitait, qu’il hésitait, qu’il avait brusquement changé d’avis. Mais je n’aperçu rien d’anormal. Il pouvait donc être réellement sincère.

Enfin, il posa sa main sur mes cheveux dans un geste qui me surpris un peu. Ses longs doigts heurtaient mon front.

– Mon enfant, j’aimerais tant que tu reste ici. Je ne peux pas cependant, tes parents t’attendent, il faut que t’y retourne car il serait mieux que tu leur dises au revoir tout de même. Tu vas rester sans eux pendant si longtemps. Tu m’excusera bien pour la méthode peu commode.

Là-dessus, il appuya sa main sur mon front tout en murmurant un flot de paroles incompréhensibles. J’eus la sensation de tomber de quatre étages, puis ce fut le noir, et enfin le silence.

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