Chapitre 6 : Au-revoir aux parents
Je me réveillais au son d’une cloche. Comme un tintement d’une entrée de magasin. Ensuite, j’entendis très vaguement une voix qui semblait tout droit sortie du fin fond du Tartare. Ça venait de la personne qui venait d'entrer. Il me sembla que c’était de l’Anglais mais ça pouvait tout aussi être n’importe quel charabia. Force était de constater qu’il y avait plusieurs personnes autour de moi qui discutaient. A mesure que je m’éveillais, je discernais deux ou trois mots, puis des phrases jusqu’à raccrocher les wagons de la conversation. Ce n’était pas une langue étrangère mais du français
– Êtes-vous sûr qu’il n’a pas d’antécédent médical ?, demanda une voix masculine avec prudence.
On entendit en même temps le bruit d’un stylo sur un calepin. Ou bien l’homme dessinait, ou bien il notait des choses avec un trait de crayon adroit.
– Non non, je vous assure que tout allait bien jusqu’à là. Enfin, ça m’étonne beaucoup de lui parce que d’habitude, il est si calme, répondit une voix féminine.
C’était ma mère, et elle se tenait tout près de ma tête.
– Et il n’a pas mangé ou bu quelque chose d’anormal avant ?, redemanda le médecin.
J’entendis un bruit de chaussure sur le sol, comme si ma mère avait pivoté sur les talons. Elle s’adressait faiblement à mon père. Elle lui glissa une ou deux choses un peu vite que je ne pus comprendre car j’étais encore un peu dans les vapes.
– Non, rien à signaler Monsieur, indiqua mon père.
Lui je l’avais reconnu tout de suite. Il semblait beaucoup plus soucieux que d’habitude. Quelque chose de grave s’était passé ? Les évènements que j’avais vécus me revenait peu à peu à l’esprit. Je me rappelai être tombé dans les pommes après ma rencontre avec cet étrange personnage qui se disait être l’Émir. L’Émir ! C’était lui qui m’avait ensorcellé. Je me rappelai vite ce qu’il m’avait dit. Mes parents savaient qu’ils m’étaient arrivés quelque chose mais ne savaient a priori pas pour ma mésaventure souterraine. Enfin, je l’espérai de tout coeur.
– Et mais il ouvre les yeux !, souligna une voix enfantine.
Ma sœur aussi était là. Fait étonnant, elle s’était tenu motus et bouche cousue jusque là sans même bouger d’un cil. Je l’aurais tout de suite entendu sinon, elle qui avait déjà le don de me réveiller quand elle parlait.
Je me décidai en effet à ouvrir les yeux. Surpris d’abord par la lumière blanche au-dessus de moi, je parvins cependant vite à y voir clair. Le plafond était reluisant avec deux ou trois points noirs qui restaient fixes, donc n’étaient pas dû à ma vision défaillante. Fichtre ! Mais j’étais dans une infirmerie ! Je le sentis immédiatement à cette satanée odeur de pièce on ne sait combien de fois nettoyée de fond en comble. Et puis ça faisait sens avec le médecin à mon chevet, qui tenait sûrement plus de l’infirmier vue sa blouse entièrement blanche.
C’est ma mère qui fut la plus estomaquée de me voir sortir de ma torpeur. Elle se planta juste devant moi la bouche tremblante.
– Mais qu’est-ce qui t’a pris ?, lança-t-elle sèchement à ma figure.
Je la regardai en plissant les yeux, sans comprendre. Elle continua dans son délire.
– On t’avait dit ne pas t’éloigner ! Et là, toi, on te trouve à moitié mort à côté de la fontaine. On ne savait pas si tu étais tombé, si tu avais glissé. Tu te rends compte de tout ce qu’on s’est imaginé ? Allez explique, pourquoi tu es parti à la sauvette ?, hurla-t-elle presque sur la fin.
Un peu en retrait je vis le médecin qui notait avidement sur son calepin. Il semblait bien plus jeune que ne le suggérait le timbre de sa voix. Ses petites lunettes faisaient un peu vieillard, certes, mais son visage était tout dénué de rides. Il n’avait pas réagit et ne me regardait pas, laissant ma mère me passer au tabac. Quant à mon père, lui était de la partie, il me fixait l’air furieux pour appuyer les propos de sa conjointe. Il attendait des réponses lui aussi.
– Je… je ne sais pas trop…
Ils me regardèrent tous, une foule d’yeux pointée vers moi. Le médecin et ma sœur avaient également relevé leur visage, surpris. Ma voix sonnait très bas au fond de ma poitrine, elle sonnait la voix irritée du matin, abîmée et tout à fait asséchée. Je rembobinais le film des événements. L’Émir m’était tombé dessus, enfin plutôt, j’étais tombé sur lui, mais bon, on fera l’économie de la nuance. Ensuite, il y avait ce séjour dans le souterrain, le séjour dans l’étrange chambre. Pourquoi au juste étais-je en train de l’appeler « Émir » ? En même temps, le sorcier avait si bien pris les traits du maître du palais qu’on ne savait quelle forme il pouvait revêtir. Je dévisageais justement le médecin dans les deux yeux. On ne savait pas à quoi s’attendre dans ce palais. Les murs ont des oreilles.
Un détail justement me parut louche.
– Mais… vous m’avez trouvé dehors ?, indiquai-je.
– Oui c’est ça fait l’innoncent. Je te connais moi, je sais que tu t’en rappelles très bien, siffla ma mère.
L’eau me manquait à la bouche. J’avais toute cette vilaine histoire à déballer, et eux qui m’écouteraient tous comme des vipères. Même ma sœur je ne savais si je pouvais lui faire confiance. Le médecin vint cependant s’interposer avant que je me mette à cracher des vilains mots. Il me sourit, je lui souris en retour, et cela m’apaisa déjà.
– Oui s’il vous plaît, c’est également de notre intérêt de savoir ce qu’il s’est passé. Ça nous évitera des déconvenues avec d’autres visiteurs. C’est juste pour nous pour savoir, me signifia-t-il.
Ce médecin m’inspirait confiance mais je ne pouvais tout raconter en présence de ma famille. Comment leur expliquer la chambre souterraine et le vilain sorcier avec des mots justes et des raisonnements construits ? J’étais dans les vapes ne l’oublions pas, et cela se ressentait douloureusement dans mes capacités mentales. Le médecin sembla cependant lire dans mes pensées :
– Je pense que le garçon devrait s’exprimer dans un cadre privé. Serait-il possible de m’entretenir seul à seul avec lui ?, dit l’illustre médecin.
Ma mère esquissa du mépris et du dégoût. Bien sûr qu’elle ne voulait pas. Elle voulait savoir tout ici et maintenant. Mon père lui, non plus, il se doutait de quelque chose de malsain dans mon histoire qui mériterait d’être éclairci dans l’immédiat.
Le médecin les regarda noblement puis ajouta :
– Si vous le permettez, il s’agit de la sécurité des bâtiments et des cours intérieurs également. Je dois m’entretenir avec lui seul à seul, ce sera plus simple, énonça-t-il.
La proposition paraissait bien étrange, mais peut-être avait-il senti le malaise réciproque entre mes parents et moi. Mes parents quant à eux ne parurent pas plus choqués que ça, ils plièrent et inclinèrent le buste en signe de soumission. Ils ne me jetèrent pas un seul regard lorsqu’ils partirent de l’infirmerie, ma sœur, elle, me jeta un regard un peu inquiet. Je lui souriais vaguement pour dire que tout allait bien, mais je n’avais pas l’air très convaincu.
Le médecin pris son temps pour refermer la porte puis revint vers moi, doucement très doucement. Dans cet aller-retour, je retins tout à fait mon souffle. Il plongea ses yeux dans les miens. Je n’avais pas peur, j’avais confiance en lui.
Il s’assit à mes côtés et dit :
– Raconte mon garçon, raconte-moi comment tu en es arrivé là.
Il me sourit avec entrain, de sorte que je cru à un mauvais piège. Mes doutes se dissipèrent vite toutefois, je sentais qu’il me voulait du bien. C’est alors que j’ouvris la bouche, moins asséché que quelques minutes plus tôt, et que, en toute confiance, je lui contais volontiers mon histoire. Il m’écouta avec attention, sans rien ajouter. Il prit des notes ça et là sur son petit carnet, et me regardait parfois plus intensément. Je me sentais respecter et gagnais en assurance au moment de parler de la fameuse rencontre avec l’Émir.
– L’Émir ! Attends mon enfant, tu veux dire le maître du palais en personne ?, s’étonna le médecin.
– Pardon Monsieur, il ressemblait à l’Émir mais ce n’était pas l’Émir enfin…, m’embrouillai-je un peu.
Il me regarda dubitatif.
– L’Émir qui n’était pas l’Émir ? Je vois… Tu veux dire que tu penses l’avoir croisé mais tu hésites encore ?
– Oui, avouai-je.
Il ne me quittait pas des yeux. Sans expression cette fois. Me jugeait-il déjà ? Je n’avais pourtant pas encore parler des modalités de cette rencontre, à savoir la fameuse béquille.
– Mais non, je ne te juge pas. Je contemple seulement ton visage mon petit. Un si beau visage qui prend les meilleures expressions quand tu vas parler de l’Émir, n’est-ce pas ?
– Quoi… Qu’est-ce que vous voulez dire ?
– Oh mais rien. Juste que tu avais un beau visage.
Sur ce, il posa sa main sur ma joue. Très bizarre ce médecin, un peu trop sympathique. Lui qui voulait connaître comment je m’étais évanoui, il ne risquait pas de savoir grand-chose vu comment il subissait ses émotions.
– Eh bien, tu me regardes comme si j’étais un monstre mon garçon, dit-il en riant un peu.
– Vous ne voulez pas savoir comment je suis tombé ?
Il ricanna un peu à ma question, puis il murmura pour lui-même :
– Oh mais ça, je le sais bien…
Pas une parole de plus ne fut échangée. Il retira sa main, se leva et s’éloigna. Il ne me dit pas un au-revoir et je crus alors qu’il revenait me chercher. Mais au fil des minutes, je me rendis bien compte qu’il n’allait pas revenir.
C’est ainsi que débuta mon séjour au palais, seul avec ma sœur, mon père et ma mère éloignés de moi. Et même eux ne m'avaient pas dit au-revoir.
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