Chapitre 7 : Invités pour le thé

8 minutes de lecture

Le pire dans cette histoire, c’est qu’on ne me dit jamais comment rejoindre ma chambre depuis l’infirmerie. Voyant donc que j’étais tout seul et me souvenant vaguement la mention d’un logement, je me dis bien que je n'étais pas condamné à habiter l’infirmerie. Je résolu par conséquent à me lever pour rejoindre la place qui m’était destinée. J’avais abandonné mes projets de fugue, encore sous le choc de la précédente tentative.

La chambre n’était pas dure à trouver mais du haut de mes onze ans, ce fut comme l’épreuve du siècle. Je dû bien longer les couloirs une ou deux avant de me rendre compte qu’il n’y avait rien à l’étage. La fenêtre quant elle m’indiquait un autre bâtiment à petite distance ; je reconnus à son reflet la fontaine aux lions, et donc identifiai le bâtiment qui m’avait valu ce séjour à l’infirmerie. Si je devais être là-bas, alors j’étais bien maudit. Je m’écartai vite de la fenêtre pour descendre les étages.

Les escaliers étaient bien larges et calfeutrés, de sorte que mon passage fut discret. Je tins à la rampe car on ne sait jamais ce qu’un vieil escalier pouvait avoir comme surprise. Même si tout cela avait l’air d’un manoir, pas de tableaux aux murs, aucune représentation sinon des motifs abstraits. Aucun indice qui me permettait d’en apprendre sur le maître des lieux.

Je m’arrêtai brusquement deux étages plus bas, j’avais entendu un craquement de parquet. On venait ! Plus précisément, on venait au trot. Je m’arrêtai au palier et vit une petite personne s’approcher. Elle avait les cheveux en bataille assorti à son pyjama farfelu, lui-même assorti à son affreux tempérament. Trop jeune pour se soucier de moi, elle voulait me montrer ce qu’elle avait à la main. Elle tenait toute excitée son cahier de dessin.

– Regarde !, me lança-t-elle.

Au moins j’étais soulagé de la voir, la question de la chambre était résolue. Comme j’étais encore confus, elle dû bien me mettre le cahier plusieurs fois sous le nez avant qu’enfin, j’accepte de jouer les critiques. Je connaissais bien ma sœur pour ses perspectives fantaisistes et ses couleurs saturées, et le dessin sous mes yeux ne faisait pas exception à la règle. Voilà donc son chef d'œuvre. On devinait qu’elle avait représenté un lit vu de face. Tous les éléments y étaient, c’était une première chose. Les pieds étaient là légèrement incurvés, il y avait aussi l’armature, le matelas, la couverture et les oreillers, mais le tout s'enchevêtrait bien trop bizarrement. La moustiquaire était au sommet du lit, représentée par des hachures, et on l’aurait prit trop facilement pour un gribouillage. Mais en fait, en dehors des perspectives, on voyait que c’était une très belle chambre.

– Alors comme ça tu as une chambre juste pour toi…, m’étonnai-je.

– Mais oui ! Mais toi aussi !

– Attends, quoi ?

Je ne me doutais pas qu’on m’ait offert une chambre pour moi tout seul. Pour moi, c’était inimaginable.

– On a le même lit en plus, me signifia la jeune artiste.

J’espérai qu’il n’était pas aussi tordu que le sien vu son dessin.

– Il faut que tu me montres ça, lui indiquai-je.

– Quoi ? Mais attend c’est pas ça que je voulais te montrer !

– C’est un autre dessin, alors montre vite parce que moi je veux aussi aller dormir après.

Impatient, je pris le cahier des mains de ma sœur et je tournais les pages à la volée.

– Attention, tu vas le déchirer !, protesta-t-elle.

Elle fit un geste pour me le reprendre des mains mais je savais que, si elle le reprenait, elle me bassinerait avec tout un récit pour chaque œuvre, alors moi, je me me dédiais à voir les choses de mes propres yeux. Après avoir parcouru sa collection de dessins, soit une petite dizaine en tout et pour tout, je lui retendis son cahier à deux mains comme si de rien n’était. En vérité, je l’avais laissé ouvert sur un de ses gribouillages, le doigt pointé sur un détail.

– Elles sont à toi toutes ses robes ?

Elle écarquillait les yeux comme si j’avais commis le plus horrible des affronts.

– Bah oui !, répondit-elle, encore un peu sous le choc que je lui ai arraché son carnet des mains.

Je les comptais une à une en les distinguant à peu près par les couleurs.

– Tout ça ?, lui indiquai-je.

– Oui tout ça, c’est à moi, dit-elle en chantonnant.

– Même la robe jaune ici ?, demandai-je à tout hasard.

Elle hocha la tête avec conviction. On voyait en effet ladite robe émerger amplement d’un tiroir pour se perdre sur le sol. Au jugé, elle était bien trop grande pour la si petite personne qu’était ma sœur. Les deux manches semblaient si légères qu’on aurait dit qu’elle tenait en lévitation. Puis il y avait cette couleur, que ma sœur avant tant accentuée pour qu’on ne remarque que ce vêtement parmi tous les autres.

Pourtant, je ne me rappelai pas que ma sœur ait emporté tout ça dans ses affaires. En plus, s’il y avait vraiment eu toutes ces robes, elles auraient eu une valise à elles seules. Haute comme trois pommes, ma sœur n’aurait pu les transporter en toute discrétion. Et je les aurais vu toutes celles-là si elle les avait eu toutes celles-là à Paris.

– Mais… ce n’est pas possible…, concluai-je simplement.

Elle inventait c’était sûr mais du moins pour une fois, elle avait inventé avec précision. Je lui retendis son cahier de dessin qui contenait toutes ces inventions. La petite avait l’air satisfaite de l’attention que je lui portais : elle virevoltait un peu dans le couloir en frottant ses pieds sur le tapis de feutre.

– Il faut que tu me montre ça !

Elle arrêta à peine sa pirouette et me prit par la manche.

– C’est juste à côté, chantonna-t-elle.

Ma petite sœur m’amena quelques pas plus loin vers le fond du couloir : une porte était laissée grand ouverte. Et là, je n’en crus pas mes yeux.

– Je dessine bien, n’est-ce pas ?, affirma la jeune enfant, une sourire à la clé.

– Non… enfin oui… mais tu toi tu y crois vraiment à tout ça ?… enfin…

– Quoi ? Tu ne trouves pas que c’était ressemblant ?

– Ce n’est pas ça.

Maintenant je comprenais les dimensions de la chambre sur le dessin, c’était donc vrai. Une telle chambre pour une si petite personne ! Et dire que moi, à en croire mes parents, aussi une telle chambre m’attendait quelque part ! Le poids qui était sur mon cœur et qui s’était accumulé pendant le voyage partit à l’instant. C’était magnifique, maintenant que je m’en rendais compte, tout était différent.

Ce qui intéressait ma visite toutefois, c’était le fameux tiroir tarabiscoté. Il fallut un instant pour le trouver puis admirer la ressemblance. Il faisait partie d’une petite commode posée à gauche de la porte, typique du vieux meuble pour vieux bijoux et draps usés par le temps. Le tiroir quant à lui, je l’avais crus déformé par la piètre perspective de ma sœur, mais il était vraiment dans le mauvais angle. Ça s’entendit quand elle l’ouvrit, le fameux bruit du tiroir qui coince. Elle put toutefois bien sortir toutes les pièces à conviction. Des tas de robes et puis des robes compactés dans un mouchoir de poche. Certaines fines, d’autres très épaisses, très belles pour certaines, très laides pour d’autres. L’ensemble en tout cas était consigné à merveille dans le carnet de ma sœur.

– Tu… mais enfin… c’est pas à toi…

– Bah si !

Pour preuve elle déplia l’une des robes. Elle superposa les épaules avec ses épaules : le vêtement descendait précisément jusqu’à ses chevilles sans se tasser. Des robes de fillette dans un vieux meuble d’un vieux manoir, des robes presque neuves en plus. Ma sœur nageait dans l’innocence tandis que moi, plus mature, les frissons commençaient à me gagner, et surtout les questions.

– Tu as trouvé ça comme ça ?, demandai-je.

– Oui !

– Arrête, tu me fais marcher ! Des robes si neuves, tu les as trouvé comme ça !

– Bah oui, c’était un cadeau pour moi.

– Un cadeau ? De papa maman ?

– Non.

– Alors un cadeau de qui, un cadeau du père Noël j’imagine ?

– Mais non, un cadeau de l’Émir.

Mon souffle s’arrêta. Non, je me guidai à son regard : elle ne savait pas. Elle ne pouvait pas mentionner l’autre, le sosie, le frère jumeau. Elle venait de mentionner le maître des lieux, l’Émir, le fameux qui nous avait accueilli. Juste ça. Oui ça faisait sens en plus, parce que qui d’autre pouvait laisser un cadeau dans une chambre sinon celui même qui l’avait offerte.

– L’Émir… mmm… d’accord, c’est très gentil de sa part de nous faire des cadeaux, lui dis-je.

– Non non non, toi tu n’as de pas de cadeaux !

Je la regardai de travers. Elle avait visité ma chambre avant moi évidemment, elle se croyait donc tout permis.

– Fais pas cette tête. En plus il a pensé à toi l’Émir dans la lettre !, dit-elle sur un ton consolant.

– Une lettre ! Donc tu n’as pas trouvé ça comme ça alors.

– Pas tout à fait…

– Pas tout à fait ? Oh écoute, c’est pas grave mais montre-moi ça quand même.

Elle chercha la lettre parmi les vêtements du tiroir. Ces derniers s’amoncelèrent sur le beau parquet à mesure que ma sœur les jetait. Je me rendais bien compte que cette masse n’aurait jamais sa place ni dans une valise, ni dans les yeux de mes parents, qui douteraient très certainement de leur authenticité. Ma sœur enfin se tourna vers moi, un morceau de papier à la main, je le pris.

Le papier était cartonné et lisse. Je vis des lettres tracées par un stylo fin mais suffisamment appuyées pour que le message soit lisible.

– Tu sais lire toi ?, lui lançais-je à l’improviste.

Elle devint un peu rouge : sujet sensible.

– Oui oui, dit-elle finalement.

– Je t’en prie alors, lis-nous le papier.

Il ne fallait pas perdre la face et elle reprit fièrement le morceau de papier. Le parcourant de bout en bout, elle finit par tout déclamer en accentuant chaque syllabe :

– « Avec toute mon attention », lut-elle.

Puis elle posa le morceau, fixant mon visage comme pour vérifier mon verdict.

– Et…

– C’est tout !, annonça-t-elle.

– Pas de nom, pas d’adresse ?

– Non.

– Donc pourquoi tu m’as dit que c’était l’Émir ?

– J’ai supposé ! Ça peut pas être quelqu’un d’autre.

– D’accord et pourquoi tu dis qu’il y a moi dedans ?

– C’est écrit derrière.

Cette carte qui venait avec le cadeau sonnait aussi bizarre que le cadeau. C’est donc que je fus d’autant plus surpris vu que ce qui était derrière était carré sans ambiguïté. On nous invitait à prendre le thé après-demain à seize heures. Nous devions être là tous les deux, mais seuls. Il y avait nos deux noms là-dessus. Rendez-vous au jardin. Seuls. Ça sentait comme un piège ou une invitation pour un duel à mort. Les robes étaient un piège, la lettre en était un autre.

– Tu ne pensais pas aller là-bas, j’espère ?

– Si !

– Non !

– Si !

Mais mon autorité de grand frère ne servait plus à rien à ce stade. On avait beau être tard dans la soirée, cela ne suffisait pas à calmer ma sœur. Elle sautait presque sur plus à mesure que je tentai de lui éviter de tomber dans la gueule du loup. De toute façon, il était tard et moi je voulais juste clore le débat.

– Bon très bien, alors parions qu’il n’y aura personne.

– Parions !

Elle me tendit la main comme un général. Je conclus l’accord. A seize heures le surlendemain, nous nous retrouvons dans le jardin, en plein soleil. Et advienne que pourra ! De toute façon, je pouvais enfin aller dormir l’esprit tranquille. Demain serait un autre jour.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Mehdi M ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0