Chapitre 11 : Les Pieds-léger(es)
Quelques mois auparavant, à plusieurs milliers de kilomètres de chez l’Émir…
Nous étions une chaude, très chaude nuit où la température caniculaire n’avait encore une fois pas voulu baisser. Il faisait assez chaud pour se brûler les pieds sur le bitume, si un malchanceux avait laissé de côté ses chaussures. Même les animaux nocturnes évitaient les routes et ils devenaient de plus en plus commun d’en trouver un ou deux terrassés par la chaleur et laissés au sol sans sépulture.
Dans cette banlieue Nord de Paris, même les voitures passaient leur chemin. Pourtant, si un passant avait tenté le détour, il aurait entendu de nombreux murmures aux abords du stade. Alors, sûrement aurait-il détallé, croyant sûrement à des fantômes.
En réalité, dans ce stade, tout un tas de personnes se tenaient assises sur le pelouse, collées les unes aux autres comme des manchots empereurs. C’était elles qui murmuraient ainsi. Les projecteurs tout autour donnaient à voir mille visages, des visages rompus de fatigue, en alerte cependant car inquiets de ce qui se tramait. Tout autour de ces mille personnes, se trouvaient des hommes installés sur des estrades, bras croisés et l’air peu commode. Parmi ces solides gaillards, un personnage semblait moins bien doté par la nature car le temps était passé par là, sans oublier la béquille qu’il tenait. Wilfried, c’était son nom, s’avança et parla de sa voix de tribun romain :
– Bons Mesdames, arrêtez de nous tourner en bourrique, est-ce qu’on peut savoir où sont les Messieurs ?
Il eût du mouvement dans la foule, on s’agitait un peu. Postés tout autour, les Hurons, le nom des militants dirigés par Wilfried, épiaient les faits et gestes et lisaient sur les visages. Ils ordonnèrent un peu de calme dans une partie de la masse. L’un de sauta d’estrade en estrade jusqu’à son chef et lui souffla quelque chose à l’oreille.
– Vous ne comprenez pas c’est ça ?, lança-t-il fort à l’assemblée.
Encore des murmures et manifestement pas en français. Le même Huron vint suggéra autre chose à son oreille.
– Écoutez Mesdames, nous savons bien qu’il y a quelques semaines il y avait des interprètes parmi vous. Vous n’allez pas me dire qu’on a aucune ici ?, s’énerva-t-il.
Un peu plus de retrait mais toujours pas de réponse.
– Vous n’avez décidément pas compris. Tout le monde va rester ici jusqu’au matin tant que je n’ai pas de réponse.
Wilfried trottina un peu sur sa béquille jusqu’au bord de l’estrade. Ses yeux de lynx fouinaient le stade de part en part. Puis, son visage s’éclaira. Il fit signe à un homme non loin et on éclaira un recoin du stade en particulier.
– Vous là-bas, vous oui. Je connais votre visage, lança-t-il avec une forte voix.
Wilfried pointait une femme en particulier, désormais éblouis par les feux des projecteurs. Aussitôt dit, deux Hurons les plus proches de la scène se jetèrent dans la foule. Ils parvinrent à se frayer un chemin jusqu’à ladite dame, l’attraper comme un sac puis la transporter jusqu’à l’estrade où siégeait le grand chef.
– Ça fait quelques semaines n’est-ce pas ? Je vous ai croisé à l’aéroport.Vous devez bien me reconnaître si moi je vous ai reconnu, lui dit-il.
Elle ne fit pas signe de comprendre. Les Hurons s’impatientèrent. Avant que quiconque ne puisse intervenir, l’un de ceux qui l’avait apporté la saisit par le bras et lui envoya son poing dans le foie. Elle se tordit de douleur. Il préparait déjà sa deuxième frappe quand Wilfried se jeta dans la mêlée. Les mots du chef à son militant l’incitèrent à enterrer la hache de guerre.
– Mon ami, mon ami, je n’ai pas fait venir toutes ces personnes ici pour que tu y déchaînes toutes des passions. Prend les comme nos invités, ce ne sont pas nos ennemis, insista le sublime chef.
Puis il se tourna vers l’invité en question.
– Toi, amie, excuse mon Huron et enterre la hache de guerre. Je sais très bien que tu parles notre langue. Je ne vous veux pas de mal, gardez ça à l’esprit.
L’étrangère, car ce n’était pas son pays, se redressa devant le chef des Hurons.C’est bien en français qu’elle répondit, et dans un bon français qui plus est :
– Qu’est-ce que vous nous voulez ?, dit-elle.
– Je te retourne la question, qu’est-ce que vous nous voulez ? Je ne vous avez pas dit de repartir à l’aéroport ? Je te l’avais dit non ?
– Wilfried, nous non plus nous ne vous voulons pas de mal, nous voulons juste…
Elle ne put vraiment poursuivre car les Hurons se mirent à rire bruyamment. On ne la prenait pas au sérieux et d'autres la voyaient comme un vulgaire jouet. Heureusement que leur chef n’était pas loin car il suffit à Wilfried d’un signe et tous les gardes simultanément cessèrent.
– Parle alors, quel est ton intention en venant dans ce pays comme passager clandestin quand beaucoup ici commence à manquer d’eau ? Oui quel est ton intention en venant troubler la tranquillité de tout le monde ?
– Mais Wilfried, c’est votre préfet de la police qui a l’amabilité de nous laisser nous installer ici. C’est le préfet qui nous a guidé vers là où il y restait de la place. Pourquoi nous accuser d’être venue si nous avons l’accord de votre préfet ?
– Pardon ? Peux-tu répéter s’il te plaît ?
L’étrangère ne répondit pas et regarda vers ses compatriotes comme pour transmettre des messages avec ses yeux. Le chef des Hurons fit signe à ses hommes de main de s’éloigner, lui-même se rapprocha de la porte-parole.
– Ma pauvre dame, il n’y a pas de place ici, vous comprenez bien qu’il y a erreur. Nous on l’a bien vu quand on a vu vos tentes. On se moque du monde et vous vous êtes les victimes. Nous on est pas insensible à ça Madame. Je veux savoir ce qui vous a amené à cette vilaine situation, allez-y alors ?
La porte-parole réfléchit un long moment pour une question pourtant simple, qu’elle avait sûrement répété mainte et mainte fois dans ces deux semaines. Ce que pensa Wilfried, et pourtant, ni lui ni ses Hurons ne montrèrent signe d’impatience. À présent, on entendait seulement donc un faible murmure, celui de l’assemblée qui elle aussi réfléchissait. Tout le monde sur le pelouse semblait avoir compris la question d’une façon ou d’une autre, peut-être bien par un jeu de signes entre la porte-parole et son peuple. Mais enfin, ces étrangères au pays arrivèrent à un consensus :
– Naturellement, Wilfried, tu souhaites savoir ce qui nous amène ici. Tu nous pressens un danger et tu t’inquiètes pour ton pays. Alors, je vais te dire notre périple. Pourquoi nous sommes venu, comment, et enfin pourquoi nous restons. Je vais te répondre Wilfred, mais à la condition de donner des réponses à mes questions aussi. Et, alors, nous pourrons trouver un accord.
– Tu n’es pas en position de négocier…, rappela le chef.
– Non, mais je pense qu’on gagnerait à échanger. Tu l’as dit toi-même, tu nous veux du bien, alors pourquoi nous avoir amener ici, ce n’était pas pour faire un accord ?
Le digne Wilfried fit taire quelques rires parmi ses troupes. En clopinant sur sa béquille, il se rapprocha de la porte-parole, et lui parla avec le sérieux d’un légat romain :
– Madame, oui, en effet, c’était pour trouver ensemble un accord que vous êtes là. Je vous promets de l’expliquer en entier, mais d’abord racontez-moi tout.
L’étrangère accepta dans une révérence qu’on réservait dans son pays aux cours princières. À la voir, on oublierait le stade, les projecteurs et le coup de poing qu’elle avait reçu.
– Alors je vais vous raconter. Wilfried, nous sommes venus avec la vague de chaleur qui a frappé notre région. Le matin où nous sommes partis, on a signifié qu’il n’y avait plus d’eau. Dans beaucoup de régions, ça aurait été un moment d’entraide, un foisonnement d’idées pour résoudre le problème. Mais Wilfried, les gens étaient fatigués et aigris par le mauvais temps. Et au petit matin, les autorités nous ont fait faire nos bagages, et nous avons dû partir. De toute façon, nous avons appris que, depuis quelques semaines, il ne reste rien des belles terres qui nous ont vu naître. Une seconde vague les a dévastés.
Wilfried baissa la tête, il semblait préoccupé par quelque chose. Ses Hurons aussi semblaient soudain gênés par un point dans le discours de la porte-parole, et peut-être bien inquiets. Néanmoins, ni Hurons, ni Wilfried, ni étrangères ne déranger l’exposé, et la porte-parole, qui s’était arrêté un instant, reprit :
– Pour revenir à notre périple, nous n’avions pas d’attelages, pas d’autre véhicule, et il nous a fallu aller à pied. Nous avons dû marcher pour nous enfuir de ce pays et rejoindre une terre plus favorable.
Le digne chef tappa fort sa béquille sur l’estrade.
– Marchez ! Vous êtes venus en marchant jusqu’à l’aéroport ?, souligna-t-il en clignant brusquement des yeux.
– On nous a mis ici Wilfried, le préfet nous a indiqué de rester ici le temps qu’il trouve une solution.
– Nous verrons les détails après, il vous reste à me dire pourquoi vous n’êtes pas reparti et qui vous a laissé dans notre pays.
– Je te l’ai dit, Wilfried, c’est le préfet lui-même.
A ce moment, il se passa quelque chose. Le grand chef semblait sur le point de pondre quelque chose de fulgurant. On voyait l’expression de fureur sur son visage tandis que sa béquille allait faire la misère de l’estrade en bas. Cependant, avant cela, il eût un cri. Le cri, ou plutôt un glapissement, venait de quelque part à l’autre bout du stade. Un instant plus tard, les Hurons se dirigeaient vers la scène du crime mais l’instant d’après, ils firent tous halte à distance respectable. On voyait un grand cercle de personnes se former au loin, quelque chose se passait. Ni une, ni deux, le grand chef se jeta pêle-mêle dans la foule, écartant les dames hors de son chemin. Il se fraya furieusement un chemin jusqu’à se trouver auprès de deux ses hommes d’armes.
– Qu’est-ce qui vous prend, bon sang !, leur signifia-t-il.
Pas de réponse, mais des regards inquiets chez ces deux gaillards : deux têtes de plus que leur chef, mais mille fois plus effrayés. Au même moment, une voix féminine l’appela.
– Qui est là ?, gronda-t-il.
Et écartant les deux jojos, il franchit le périmètre de sécurité.
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