Chapitre 13 : Manifester en pleine canicule
Quelques mois plus tard
Ce samedi après-midi laissait présager le meilleur. Le soleil resplendissait et illuminait notre quartier de part en part. Cependant, le soleil, nous l’observions que par une petite ouverture sous les volets, car en cette après-midi, il faisait bien chaud. On ne voyait pas un chat dehors, même les voitures ne roulaient pas devant chez nous, et les passants, n’en parlons pas. Le silence. Un climat favorable pour la sieste de mes parents. Et nous, nous avions le champ libre pour toutes les bêtises.
Les jeux calmes n’étaient pas de la partie. Bien sûr au départ, sous la houppe de nos parents, nous avions entamé un jeu de société. Un tour ou deux étaient passés, puis nous avons eu vite assez. Nous avons un plan diabolique derrière la tête. On plaquait nos lits contre les murs, ainsi que le tapis, qui fut coincé derrière la porte. Alors, je me précipitai tout content vers nos affaires de Badminton, qui n’avaient pas été touchées depuis notre voyage. Alors que je sortais volants, filets et raquettes, ma jeune sœur avait déjà pris position et sautillait de joie. Je lui lançais son équipement pour gagner du temps et elle réceptionna le projectile dans les airs. À peine le filet mit, la voilà qui commençait déjà à servir.
– Mais attend !, protestai-je en riant.
A ce moment, elle s’arrêta nette, les épaules rentrées, la face un peu sombre. D’abord étonné, je me rappelai qu’on n’était pas seule ici. Les parents dormaient juste à côté. Il fallait donc être discret s’il on voulait passer un bon moment. On fit très attention, mis à part quand la balle gifla une ou deux fois le plafond, mais à ces moments là, nous nous regardions tous les deux pour nous accabler réciproquement. Puis nous repartions comme si de rien n’était. L’instant d’après, les soucis étaient oubliés, je me retrouvai dans le lointain, dans le passé, chez ce fameux Émir. Sous mes pieds le sol chaud devenait l’herbe fraîche de chez l’Émir. La chaleur qui me faisait suer à grosses gouttes malgré la climatisation, mais soudain je sentais une ondée fraîche : la fontaine de chez l’Émir. Puis j’entendais un bruit dehors, un oiseau de chez l’Émir. Tout me ramenait chez lui, désespérément, tout faisait penser à l’Émir. J'oubliais décidemment tout, et je revenais plusieurs kilomètres en arrière, dans le lointain. Mais cela ne dura qu’un instant.
– Attend, il se passe quelque chose, dis-je soudain à ma sœur en baissant ma raquette.
Effectivement, il se passait quelque chose. Et c’était dehors que ça se passait. Il y avait un bruit de tintamarre dehors. Un bruit assez lointain mais qui, indéniablement se rapprochait. En fait, on comprit vite que c’était une fanfare, ou quelque chose dans le genre. On entendait de la musique qui se jouait assez fort. Ma sœur et moi, nous nous regardions avec de grands yeux. Mais c’était si calme il y a deux minutes… Nous nous jetâmes alors à la fenêtre dont nous ouvrâmes entièrement les volets. Là, devant nous, la scène la plus confuse et la plus désordonnée. On les voyait tout au bout de notre avenue. Ils étaient alignés comme des petits soldats et marchaient lentement et sûrement comme au quatorze juillet. D’abord, une sorte d’avant-garde qu’on distinguait plutôt bien, car de couleurs écarlates. Ma sœur voulut ouvrir la fenêtre pour mieux voir.
– Fermes, fermes. Tu es folle ? Tu veux réveiller papa et maman ?, paniquai-je.
En plus, j’avais bien peur qu’elle ne tombe à la renverse si l’ouverture était béante. De toute façon, la fanfarre ne tarda pas à arriver sous nous yeux. Comme je disais, d’abord l’avant-garde qui fila à toute vitesse. J’eus à peine le temps d’admirer leurs costumes haut en couleur, tous et toutes surplombés d’une coiffe à en faire pâlir Sitting Bull. Puis après, une masse très compacte, qui était à l’origine de la majorité du vacarme. Heureusement que ma sœur avait laissé fermé, parce que le coup des tambours m’aurait assomé à l’instant. Les gens qui avaient les mains libres balançaient un bras devant l’autre de manière synchronisé. Contrairement aux premiers, leur tenue à eux étaient plutôt simple : un haut et un bas noir tandis que leur front était enserré par un ruban blanc. J’imaginais qu’il devait y avoir un sens à tout ça bien sûr, mais je ne vis pas de banderolle et n’arrivait pas à lire sur les rubans. Par contre, quelque’en soit le message, ces gens étaient déterminés. On aurait dit des militaires, même s’il n’avait pas le gabarit. Moi je connaissais les fanfares, et là, ce n’en était pas une, et encore moins une des quartiers comme les miens.
Tandis que je pensais à tout ça, une ribambelle d’enfants apparut devant. Contrairement aux premières lignes, ils se déplaçaient plus librement, comme des marathoniens du dimanche, discutant les uns avec les autres. Ils devaient avoir mon âge, et je fus un brin jaloux de leur semblant de bonheur à tous les voir là. Parce que je me disais que leurs parents devaient bien être fiers d’eux d’être à la lumière. Puis, une pensée méchante me vint : ces fils de travailleurs avaient du cran, mais ils restaient fils de travailleurs.
Tout était beau mais il n’y avait rien à comprendre. De leur costume bien épais, je déduisis seulement qu’ils étaient fous de défiler avec quarante degrés dehors. Et pour capter quelque chose, il fallait ouvrir la fenêtre, et en ouvrant la fenêtre, on se casserait les oreilles, donc on ne capterait rien.
Avec un peu de patience, et d’entraînement à «Où est Charlie », je pointai trois personnages pas du tout comme les autres. Le premier, c'était le plus facile à voir, il portait une casquette en aluminium ou un matériel réfléchissant du même genre. A mon avis, c’est celui qui voulait faire le plus original parmi tous ces gens bien sérieux. Et puis, je mis mes considérations de côté, car il n’était finalement pas le seul fanfaron. Le deuxième, c’était un géant de deux têtes de plus que les autres. Il était affublé d’une tunique épaisse à carreaux, et portait une sorte de jupe au lieu d’un pantalon. Un Highlander, devinai-je en me rappelant un livre illustré de quand j’étais petit. Le déguisement était poussé aux réalisme car le drôle avait accroché deux lames à son dos. À la lumière du soleil, elles semblaient bien fines et bien tranchantes, et malgré la distance, j’en avais la chair de poule. Et enfin, le dernier personnage.
– Eh tu as vu le Monsieur avec une jupe ! On va le voir ?, m’hurla ma sœur à l’oreille.
Je sursautai au point de prendre la fenêtre de plein fouet. « Aï ».
– Chut, tu vas réveiller les parents, et non, il ne faut pas aller les voir, on ne les connaît pas donc c’est dangereux., d’accord ?
Son expression se décomposa mais j’insistai de mon regard, de sorte qu’à la fin, elle dû acquiescer d’obéissance devant son grand frère. Je pus repasser à la fenêtre moyennant une petite rougeur sur le front. Alors, quant était-il du dernier personnage ? Où était-il d’ailleurs ? Heureusement, il n’était pas encore parti du champ de vision. Je le vis d’office à sa tenue plus… comment dire ? Plus boueuse et plus sale que les autres qui étaient d’un noir et blanc parfaits. En vérité, ce n’était pas un personnage. C’était ni plus ni moins qu’un cochon glissé au beau milieu de la masse. Oui, un porc au beau milieu de tous. Et le pire était que c’était ce porc qui portait l’enceinte qui diffusait haut et fort la musique et ses paroles incompréhensibles.
Et là je me retournai pour faire part de mes découvertes à ma frangine. Mais où était ma sœur ! Et deux temps trois mouvements plus tard, j’entendis la porte d’entrée se fermer. J’étais complètement absorbé par la mélodie pour essayer de comprendre, mais j’avais oublié de garder un œil sur ma petite sœur. Les parents m’en voudraient… Il fallait la retrouver au plus vite. En deux trois mouvements, j’avais mis mes basquettes et dévalait les escaliers jusqu’à la sortie de l’immeuble. J’ouvrais la grande porte extérieure. C’était un vrai four dehors, une bouffée de chaleur me gifla ne m’irritant bien la peau et les narines. Dans la précipitation, j’avais oublié le feu dehors. Raison de plus pour retrouver ma sœur, et je m’infiltrai aussitôt dans la manifestation.
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