Chapitre 14 : La Truie et le Highlander

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Ma sœur était introuvable. La foule était épaisse comme la tignasse sur ma tête. De haut, on distinguait le haut des têtes et l’exercice était possible, mais d’en bas, moi ce que je voyais c’était juste des bonhommes tous identiques. Et entre deux jambes devaient bien être cachées ma sœur. Au départ, je n'osais pas foncer là-dedans. Trop dangereux, je risquais de finir en bloc compact. Puis à un moment, la masse commença à s’éclaircir. Je vis vite une ouverture et m’incrustai en disant « pardon ». Ces gens étaient bizarres. Ils ne se questionnaient même pas sur la venue d’un petit garçon à moitié en pyjama ! Mais, en même temps, ils n’avaient pas fait plus de bruit pour un cochon et un highlander, alors la chose pouvait se comprendre.

J’étais assourdi par l’affreuse musique, des sortes de paroles guerrières prononcées avec ferveur. Je ne savais même pas si c’était du français, même si ces gens ressemblaient à des Français. J’aurais bien reconnu un ou deux mots mais c’était tout. L’essentiel, c’était de retrouver ma sœur, et à l’oreille, ça ne marcherait pas, il fallait épier recoin après recoin.

A peine avais-je fais quelques pas, qu’un choc me secoua l’épaule :

– Eh ! Salut la compagnie !, déclama-t-on.

Un grand homme venait de m’accoster. Un géant dont je ne voyais pas les deux yeux et qui dépassait pour sûr d’au moins deux têtes la plupart des manifestants. Et malgrès le boucan, lui ses mots étaient clairs comme jamais. Je fus un peu furieux d’être ainsi dérangé dans ma recherche.

– Vous êtes qui vous ?

Mais il n’entendit pas et, ni une deux, m’attrapa des deux côtés pour me soulever dans ses mains. Je voulus protester mais les forces me manquèrent et me voilà à près d’un mètre au-dessus de la fanfarre. Puis l’horizon tangua de droite à gauche et finalement s’arrêta de tanguer lorsque je me sentis posé sur une épaule.

– Désolé de t’avoir pris comme ça mon p’tit mais on peut mieux discuter quand t’es à côté mon oreille, me dit le géant de son énorme voix.

Mais pour qu’il se prenait pour me molester comme ça, ce voyou ? Géant ou pas, il me devait des explications.

– Vous êtes qui ? Je peux savoir qui vous êtes pour me prendre comme ça ?

Avant qu’il n’eut le temps de répondre, je vis rapidement son accoutrement : une immense tunique verte rayée ainsi qu’une sorte de jupe en guise de pantalon. Le Highlander !, pensai-je brusquement.

– Je suis un ami de ta sœur mon pt’it !

– Ah bah justement, moi je viens juste pour la récupérer parce qu’elle s’est enfuie de chez moi. Et dans les meilleurs délais parce que si nos parents voient qu’on n’est pas là, ils vont s’inquiéter et se fâcher. Vous savez où elle est ?

– Du calme, mon pt’it ! T’inquiète pas, elle dans le coin là en bas, regarde par toi-même !, dit-il en riant.

Le Highlander pivota le torse de sorte à ce que je sois juste en face d’une scène bien étrange. Une fillette en pyjama juchée sur un porc qui pourrait l’avaler toute entière. Elle se semblait aucunement gênée par l’énorme enceinte à son dos, celle qui générait la douce musique de la manifestation. Au contraire, elle se balançait même à son rythme. La fillette, c’était ma sœur.

– Par contre, va falloir lui parler à celle-là, parce qu’elle ait pas prête à partir, me souffla le Highlander

Entre les pourquoi et comment ma sœur s’était retrouvée dans cette posture, il ne manquait plus que je dusse négocier pour la sortir d’ici. De toute façon, aussi bien pour moi, que pour elle, la musique allait nous rendre sourd avant que le défilé ne se termine.

– Vous allez jusqu’où ?, demandai-je inquiet à mon porteur.

– Je sais pas… plus loin que l’avenue en tout cas.

– L’avenue ? Celle-ci ?

– Oui celle-ci mon ami.

Il mentionnait donc l’énorme avenue sur laquelle était située ma maison.

– Et ça dure combien de temps tout ça ?, paniquai-je.

– Oh… deux heures peut-être… voir trois. En général, c’est pas plus que ça !

Mon estomac s’en retournait presque. Tout ce temps durant lequel je devrais supporter et la chaleur et le bruit et ce fanfaron de la plus basse des castes qui se croyait tout permis. Tout ce temps durant lequel mes parents pourraient se réveiller et se rendre compte de notre absence. J’en eus le vertige.

Une main vint me tapoter l’éapule.

– Eh mon ami, tu viens et tu veux déjà nous quitter, viens plutôt entendre notre chant le temps que t’y es.

– Arrêtez votre délire. On y comprend rien et de toute façon personne ne vous écoute.

Une secousse parcourut le corps de mon porteur et il ralentit. J’avais touché un point sensible.

– Pourquoi tu dis ça ?, dit-il plus sérieusement.

J’avalai ma salive après ce faux-pas.

– Je ne voulais pas vous fâcher. Je disais juste juste qu’on ne comprenait pas le sens de cette manifestation et que de toute façon, votre musique est trop forte et on y comprend rien.

Le highlander accéléra le pas jusqu’à ma sœur, en vérité jusqu’à l’enceinte. Il tourna un gros bouton jusqu’à ce que la musique baisse de plusieurs décibels. Aussitôt, ce fut comme un bouffée d’oxygène : mes tympans n’étaient plus mis à l’épreuve. Les voix tout autour commençaient à devenir audibles. Je tournai la tête vers toutes ces personnes, je vis des regards vers nous : les autres autour semblaient moins ravi qu’on ait coupé leur source de motivation. Néanmoins, leur regard s’arrêtaient sur le géant, dont la présence les incita à ne pas protester plus.

Je vis ma sœur. Elle fronçait les sourcils et me regardait comme si j'étais le coupable. Pourtant je l’avais sauvé, enfin presque. Elle était à portée de bras, il ne faudrait que se balancer un peu pour sauter sur le dos du porc, agripper ma sœur et m’enfuir avec mon fagot. Encore mes idées romanesques ! Mais le highlander ne m’avait pas oublié.

– Tu n’as pas demandé pourquoi on fait tout ça, fit-il remarquer avec un grand sourire.

– Tout ça, vous voulez dire le défilé ?

– Oui c’est ça, la manifestation. Le pourquoi le son, pourquoi on marche sous les dards du Soleil, pourquoi on est motivé pour aller jusqu’au bout de la marche, quitte à se faire chopé à l’arrivée. Tu demandes tout ça, hein ?

J’aurais bien répondu que je n’avais pas eu le temps de les poser, et que, même si je n’étais pas inintéressé par tout ce qui se tramait ici, j’avais mieux à faire. Je jetai un œil à ma sœur, laissant de côté mes idées de la reprendre : ce n’était pas le moment opportun. Après tout ce défilé, c’était aussi une aventure, donc, en bon élève, je reformulai une à une les questions à mon cher porteur qui les reçut avec grand plaisir.

– Pour te répondre mon pt’it : si on fait tout ça, c’est pour défendre les pieds-légers. Les pieds-légers, on a les tous vu à la télé au moins une fois. Et pourtant, tout le monde garde les mains dans les poches qu’il s’agit de les aider. Pas que les citoyens comme toi et moi, mais même nos gouverneurs, et ça tu sais que quand les gouverneurs s’en contre-fichent d’un problème d’ampleur, c’est bien qu’ils le font exprès. Il y a un complot derrière. Donc c’est pas sans risque qu’on fait ça, tu comprends ?

– Je… d’accord… mais attendez, qui sont les « pieds-légers » ?

– Ah mais ça c’est moi qui les appelle comme ça mon pt’it ! Je vais pas jouer à la devinette pour voir jusqu’où descend ton ignorance sur le sujet…

– Hé !

Il rit fort de ma réaction : il venait de me traîter d’ignorant après tout et maintenant se moquait de moi.

– Mais non c’est pas contre toi. Justement, ça montre ce que je pensais. Personne ne connaît leur histoire, personne ne faisait attention quand le reportage est passé sur eux. C’était d’ailleurs pas de ton âge à mon avis, donc raison de plus. Les pieds-légers, je parle de ceux qui sont venus à pied jusque dans nos banlieues. Légers parce que quand on les a chassé de chez eux, ils pris sur le dos tout ce qu’il pouvait emporter, c’est-à-dire pas grand-chose. Moi je les ai vu leur pieds, énormes, couvert de callosité. Plusieurs semaines de marche mais pas une cloque.

– Ah d’accord.

– C’est tout ! « Ah d’accord ». Mais mon gars, moi quand j’ai entendu ça, c’est comme si une lance me perçait le cœur. Imagine, tout un peuple qui marche semaine après semaine à pied sans l’espoir d’avoir une âme charitable pour les accueillir. Et quand on daigné les accueillir ici, c’est pour qu’on les traite de flâneurs qui vont au pied léger chez les uns chez les autres.

Il eut profond regard dans le lointain, comme s’il suivait le vol d’un oiseau à belle distance. Je me penchais même pour voir si, par hasard, cet émotif ne serait pas en train de pleurer.

– Nan mais les gens n’ont pas de cœur ici. C’est un complot du gouvernement je te dis. On les embêtait nuit et jour quand on les casé dans les banlieues. On les embêtait, enfin pas que les résidents, les gendarmes aussi en profitait. Il y a eu des vols, des enlèvements et d’autres vilaines histoires.

Ma sœur à côté penchait également la tête, épiant mot après mot du discours du Highlander. Ce dernier coupa soudain son souffle, il balayait l’horizon de part en part.

– Mais ça, c’était avant que la Grande Dame sache tout de ces affaires. Elle saura châtier ceux qui ont fait du mal dans ce pays, ceux qui ont oppressé ses invités. La Grande Dame, un jour…

Il s’arrêta au milieu de sa phrase. Il venait d’y avoir du bruit plus en avant, pas des murmures, mais comme des appels à l’aide. On s’arrêta de marcher et certains rebroussaient chemin les jambes à leur coup.

  • Je crois qu’il y a du mouvement à l’horizon, avisa mon porteur.

De la hauteur où j’étais, c’était facile à voir. Plus loin, au devant, c’était le bout de l’avenue. Et ce bout d’avenue censé être vide sous la canicule était parsemé de tâches noirs. On aurait dit une nuée de corbeaux qui nous attendait à l’autre bout. Je le compris aux cris ainsi qu’aux visages inquiets : les forces de l’ordre nous bloquaient l’avenue. Je n’avais jamais vu autant de gendarmes de ma vie, et jamais autant que je n'espérais voir dans un quartier tranquille. En temps normal, j’aurais cru à accident, mais là les regards inquiets autour de moi ne laissaient pas de doutes sur leurs intentions.

Même si l’on s’était arrêté, le pire était que les nuées se rapprochaient de nous. Je dis les nuées parce que les rues perpendiculaires étaient tout autant bloquées. Non seulement nous étions encerclés mais en plus l’étau se refermait.

Dans la panique, les gens oubliaient de regarder en face et le Highlander fut percuté de plein fouet à multiple reprises. Mais l’embarcation tint bon.

– Il faut que vous partiez…

– Oui justement, j’allais le suggérer !, osai-je.

– … là maintenant ! Si on m’attrappe avec vous, ils vont se poser trop de questions. Il faut que vous partiez.

Là-dessus, il m’attrappa le cou comme un chaton, me souleva à nouveau et me posa au côté de ma sœur, à savoir sur le dos de l’animal.

– Ma bonne truie sera votre guide, elle connaît le chemin, elle vous ramènera chez vous. Alors, force à vous deux, et adieu pour toujours !

Et plein désordre, il crut malin de rugir. Rugir je dis bien ; un cri de guerre qui aurait fait trembler toute l’Écosse. Ce fut le signal pour la truie qui fonça dans l’avenue à toute vitesse. L’animal était déchaîné mais à aucun moment, il ne rentra dans un fuyard, et dépassa rapidement toutes ces personnes. Bien vite cependant, on vit le cordon de policier qui bloquait l’avenue dans l’autre sens. Il ne manquait plus qu’on se fasse attrapper, comment on expliquerait le pyjama et notre monture ? Mais avant que la confrontation ait lieu, la bête s’arrêta nette : elle nous avait mené jusqu’à chez nous. Ça y est, nous y avions échappé belle.

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