Chapitre 16 : Les Accords de Mantes-La-Jolie

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On ne peut pas dire que la manifestation avait attiré grand monde et il en fut de même pour l’évènement qui suivit.

Je vais vous raconter précisément comment j’en ai entendu parler de cet évènement mystère. Ce fut déjà un petit prodige de l’avoir constaté sur le moment-même. Et quel événement !

Une nuit, je me réveillai. J’étais dans ma chambre, tout allait bien sauf la lumière qui sortait du salon. C’était là-nuit après tout, et mes parents n’avaient pas l’habitude de veiller aussi tard. Et puis, autre chose, c’est qu’il y avait du bruit. Manifestement ça venait de la chambre de ma mère et de mon père, séparée de la nôtre par la grande pièce. Sans bouger d’un cil, je tendis l’oreille : ils avaient l’air inquiet.

Je décidai donc de m’approcher un petit peu, au moins pour capter un mot ou deux. Ma sœur sur le lit d’à côté dormait ou faisait admirablement semblant. Dans le doute, je me renversa sur le sol à quatre pattes, me glissa sur le parquet en évitant les lattes traîtresses et arrivais ainsi à la porte du salon, par laquelle je dus encore me contorsionner afin que la lumière n’heurte pas les yeux de ma sœur. Alors, d’abord éblouis, je vis quelque chose d’inhabituel.

Sur la table du salon se trouvait un journal froissé, presque déchiré, de travers et ouvert sur la table. Sûrement que le lecteur, mon père sans nul doute, avait fait une mauvaise découverte. C’était là-dedans forcément. Peut-être que les accents inquiets de mon père et de ma mère à côté trouvaient leur source ici ? Sans plus de formalité, j’ouvris la fameuse page.

Une photo en couleur. De haut en bas coulait un fleuve à l’aspect apaisant sur lequel se réfletait les rayons du Soleil. Sur les rives du fleuve, des arbres, en multitude, presque au niveau de l’eau. Des arbres secs, noirs à l’agonie comme ceux qu’on voyait proliférer dans la capitale et qui dans les jours qui suivront se multiplieront à l’infini. En arrière-plan, à moitié cachés par le fourrage, on distinguait une cathédrale, très exactement comme Notre-Dame. Mais ce n’était pas Paris. Non, comme inscrit sur la légende, c’était Mantes-La-Jolie.

On en voyait pas grand-chose de cette ville, deux trois logements sociaux un peu éloignés des rives. Ce n’est pas apparement pas ce que le photographe avait voulu souligné. On ne peut en même temps pas dire qu’il avait voulu le cacher. Non, l’essentiel se passait sur le pont autoroutier d’où était prise la photo.

Il y avait deux personnages, à gauche, une dame vêtue d’une immense tunique noire ainsi que d’un foulard, tout aussi sombre, lui couvrant tout à fait les cheveux. Sur la légende, on pouvait lire “La Grande Dame”, car les médias commençait à l’appeler ainsi. La Grande Dame était inconnu au bataillon, alors le journal expliquait brièvement qui elle était. On put lire que c’était la cheffe d’un collectif de banlieusards, une armée des ombres il fallait entendre, qui avait vu la jour à l’arrivée des pieds-légers. Fait rare, ce dernier mot avait passé la censure.

J'entendis du mouvement dans la chambre de mes parents. J’en eus une sueur froide et pensais me glisser sous le fauteuil de papa. Fort heureusement pour moi, c’était une fausse alerte. Tout de même, j’optai pour la discrétion et me mit à quatre pattes pour finir ma lecture.

Revenons à la photo, donc j’ai décris le personnage à gauche, qui comme je le disais, luttait de tout son souffle pour que les pieds-légers puissent vivre décemment. Ce fut ainsi que je pus mettre un visage sur cette personne. Satisfait de retrouver la personne à l’origine du boucan de la dernière fois, mais pas davantage surpris. Là où je fus étonné, ce fut avec le personnage de droite : le préfet de la police que j’avais vu plus d’une fois à l’école primaire quand il nous rendait visite. Il avait le même regard froid, les mêmes rides marquées, la même mâchoire carrée et, c’était militairement qu’il serrait la main de la Grande Dame.

Ainsi donc, j’étais témoin indirect des accords de Mantes-La-Jolie. Tout le travail de la diplomate de Hassna avait mené à ceci : que le préfet retire son autorité de la zone, et que La Grande Dame soit sacrée reine des banlieues. Voilà où on en était. Elle venait donc d’obtenir carte blanche pour faire carburer la machine pour extraire les pieds-légers de la misère et mener à un monde meilleur. Fiouf, on était sauvé ! Plus d'agression, plus de meurtres, plus de prise d'otage ou d'interpellation excessive là où Hassna passait. Hassna, présidente ! La Grande Dame, présidente !, criait-on chez ses sympathisants. Mais ce n'était pas à l’ordre du jour, enfin pas encore.

Si Hassna avait obtenu la main mise sur les quartiers, il y avait une contrepartie. Derrière le sourire du préfet sur la photo, quelque chose se tramait. C’était trop facile, et Hassna s’en doutait bien. Et puis cette histoire de prise d’otage avait été trop subitement passée à la trappe. Où était ce Wilfried ? Et puis au fond, si les pieds légers étaient venus, n’était-ce pas la “faute” du préfet ? Il y avait de l’ozone dans l’air caniculaire, ça s’était sûr.

Soudain, je fus interrompu par un bruit électrique. La lampe du salon trésaillit pour s’éteindre brusquement me plongeant dans le noir. Les parents !, pensai-je tout à coup. Je les entendis aussitôt accourir pour voir ce qui se passait. Mais moi j’avais déjà filé : ni une, ni deux, je laissai tomber le journal pour me glisser dans ma chambre. Alors, j’attendis caché sous la couverture, respirant lentement. Je les sentis venir dans la chambre puis murmurer doucement, très doucement. Qu’est-ce qu’il complotait ceux-là ? Et puis, peu à peu, sous l'œil de Big Brother, je finis par m’assoupir.

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