Chapitre 18 : Un court moment aux Champs Élysées
Personne. Il n’y avait personne pour nous accueillir. Mes parents échangeaient des regards étonnés, tandis que nous les enfants, nous avions hâte d’être à l’intérieur. Mon père avait grimpé la pente jusqu’au portail, sonné à plusieurs reprises, mais rien de rien n’était sorti. La demeure de l’Émir n’avait pas changé depuis notre arrivée. Elle avait toujours son air de manoir anglais, même si c’était plutôt un patchwork de bâtiments qu’autre chose. On sentait aussi de loin l’odeur du jardin palatial, mon cœur s’emplit d’extase : ça aussi, ça n’avait pas changé.
Mais le temps que pensées divaguent, on nous avait entendu.
Un homme courait vers nous à travers le parterre de fleurs. Un éclair me frappa, mon souffle s’arrêta. Mais l’instant d’après, mes doutes se dissipèrent : ce n’était pas l’Émir. L’homme ouvrit le portail, et nous ouvrit grand les bras.
– Y a Allah my friend, you have come in the end, déclama-t-il.
Et il se jeta sur mon père dans un affreux claquement de bises puis une avalanche de politesse. Alors moi, pour éviter le moment gênant, je faussais compagnie à tout le monde et m'introduisais discrètement à l’intérieur.
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Revenu mains dans les poches comme un petit prince, je retrouvai le bataillon non pas à l’entrée mais dans le jardin, assis à prendre le thé. Mon père me vit, me sourit un peu surpris. Il semblait avoir pris note que j’avais filé à l’anglaise mais en aucune façon il n’était énervé. Tant mieux !
– Il est où l’Émir ?, demandai-je à mon paternel.
– L’Émir ? Qu’est-ce que tu veux qu’en sache ?
– Mais papa tu ne l’as pas appeler au téléphone ?
– Si, si. Mais je ne sais pas où il est.
Et il se retourna vers ma mère en lui demandant de lui passer un plat de gâteaux. Il ne fit qu’à peine attention à moi et rien du tout ne pouvait faire sa bonne humeur. La preuve, je revins à l’assaut :
– Alors, s’il n’est pas là, tu vas rester avec nous ?
– Hein quoi ? Et bien tu sais, si Dieu le veut je reste toute la vie avec toi, me lança-t-il.
Décidément, pas moyen d’avoir quoi que ce soit de cohérent. L’autre, mon père, vit ma mine déconfite et voulu se rattraper.
– Mon garçon, soit fort, on se retrouvera très vite ne t’inquiète pas et on rentrera à Paris tous ensemble comme la dernière fois, d’accord ?, dit-il un faux sourire.
Moi aussi, je souris mais plus pour le satisfaire que par réel contentement. Trop de promesses non tenues dans sa bouche, mais n'en parlons plus.
Les tasses de thé étaient ensorcelées c’étaient sûr car après avoir ingurgité la mienne, mon humeur changea. La lumière du soleil paraissait deux mille fois plus lumineuses, la bise qui soufflait un peu me faisait voyager aux milles et une nuits, les parfums des fleurs me montaient jusqu’au cerveau et tout ce que je goûtais était comme du nectar et de l’ambroisie : j’étais au Jardin d’Eden.
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Les parents durent finalement nous quitter car l’Émir allait mieux. Nous avions en effet appris que ce dernier était malade et que donc il s’excusait de ne pas nous avoir accueilli. Au départ, nous étions un peu tristes, pour une fois que papa et maman nous donnaient du réconfort ! Mais ensuite, nous appréciâmes la nouvelle vie à deux. Nous passions nos journées dans le jardin. Dans ce petit paradis, il n’y avait pas un nuage pour distraire nos jeux de l’après-midi, et pas un bruit, sinon les oiseaux, pour nous tirer de nos siestes.
Ce jour-ci justement, nous nous étions mis à l’ombre d’un arbre. Ma sœur était moelleusement allongée sur le parterre tandis que moi, j’avais choisi de m’adosser au tronc pour mieux observer la nature. Je regardai avec beaucoup d’attention la maison de la rue d’en face, qu’on voyait bien de notre hauteur. Ses couleurs étaient fades, même sales. Ça ne faisait pas partie du palais c’était sûr. Rien pour concurrencer le palais, rien rien rien. J’étais même sûr que là-bas, l’air devait être chaud et sec, comme dans notre vieille capitale.
– On est venu au bon moment ça alors !, insinuai-je à ma jeune sœur.
La pauvre petite ouvrit une oeil bien pesant, je la tirai du monde de Monde Morphée.
– Oui, il ne neige pas encore, marmonna-t-elle.
Je m’esclaffai un peu en voyant à quel point la fatigue embrumait ses pensées.
– Mais il ne neige pas ici ! Tu es bête !
Elle redressa le dos.
– Bah, peut-être que si !, signifia-t-elle
– Tu veux dire de la neige comme à Paris ?
– Il ne neige pas à Paris, dit-elle d’un trait.
J’allais répondre mais je fus pris d’un doute. Me souvenai-je vraiment d’avoir vu de la neige ou c’était mon imagination ? Ça remontait à si longtemps après tout, c’était à plusieurs siècles de distance tout cela. Neigait-il vraiment à Paris ?
– C’était là canicule là-bas, me rappela-t-elle finalement.
– Le robinet qui donnait plus d’eau, c’est moi qui rêve ?
– Non, c’était dans la cuisine !
– Et l’arbre devant la fenêtre qu’on a dû couper ?
– Non, tu ne rêves pas, c’est ça.
Donc, au moins, je n’étais pas amnésique. C’était difficile de se souvenir de ma vie antérieure, mais au moins ça revenait. Et il neigeait à Paris, c’était sûr.
– Tu n’es pas content d’être là ?, lança-t-elle.
– Si mais… , et mon regard parcouru l’horizon.
Que voulais-je lui répondre ? Qu’on vivait un conte de fées où le grand méchant manquait à l’appel ? Que c’était irréel comme dans un rêve ? Que le destin fixait notre place à Paris ? Ou un mix de tout ça. Puis soudain, mon regard fut happé par un objet à petite distance, quelque chose qui tenait sur quatre pattes. J’indiquai l’endroit avec mon doigt :
– Il y a un chat qui nous regarde !
La bête semblait tout de même plus grosse qu’un chat, pas un lynx mais plus qu’un simple chat. L’animal devait être bien habile pour avoir franchit les hauts murs du palais. Il ne pouvait pas appartenir au maître du Palais sans quoi nous l’aurions vu au premier voyage. Non seulement agile, la créature était furtive pour s’être glisser devant nous par un terrain découvert. Donc, pour résumer, nous étions assis par terre sans défense et nous voilà avec un mini-tigre à trois mètres. Trop petit pour nous dévorer mais assez pour nous faire de belle balafre.
– C’es moi ou toi qu’il regarde ?, s’écria ma sœur en se mettant sur ses jambes.
– Euh… ce n’est pas le moment… je crois que c’est toi de toute façon.
En fait, c’était moi, car lorsque ma sœur fit un pas de côté, le chat n’avait pas bougé d’un cil, ne s’était pas retourné.
– Il a peut-être faim, suggéra ma sœur.
Elle me faisait faire des frayeurs. Moi aussi je me relevai, près à bondir dans les branches si la bête me sautait à la gorge. Il se passa un instant durant lequel je ne pensais à rien sinon à l’accueil que j’espérai chaleureux du portier d’Hadès. Mais il s’écoula un bon moment et je me rendis compte que si la créature nous voulait du mal, elle ne le transparaissait pas : le gros chat se tenait là, tranquille, les grilles rentrées.
– On va chercher de la viande ?, lança ma sœur en me faisant sursauter.
– Pourquoi ?
– Bah, pour le chat.
Connaissant ma sœur, ça ne mènerait à rien de la contredire, et pire, je me retrouverai tout seul face à la bête si la petite réussissait à s’échapper. Mieux valait ne pas tenter le diable.
Il se pouvait en effet qu’à cette heure-ci, il eût un peu de poulet dans les placards. Et puis, les cuisiniers nous étaient sympathiques, alors satisfaire, si c’est de la viande qu’elle voulait, satisfaire la bête n’était pas compliqué.
Nous descendîmes donc de notre hauteur afin de rejoindre la voie pavée qui menait aux bâtiments. Mais la bête ne fut pas du même avis. La créature bondit aussitôt et s’étendit de long en large par là où nous voulions passer. Alors, oui, on aurait pu sauter au-dessus, cependant gare au coup de griffe !
Ma sœur prit peur et me heurta en reculant. Aï !
– On fait quoi maintenant, dis-je à l’aventurière en soulageant mon menton.
– Elle veut pas qu’on lui cherche quelque chose !, affirma ma sœur, désignant la bête
– Oui, ça j’avais compris. Mais on fait quoi alors ?
Ma jeune sœur fixait la chose comme si c’était un mystère à dévoiler, une nouvelle énigme. Soudain, elle se retourna :
– Il faut la suivre !
Comme pour confirmer ses propos, sans trêve de bavardage, le chat se mit en marche. Et alors, nous aussi, nous empruntâmes la petite voie pavée.
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Forcé était de constater que ma sœur avait juste. Plus que de nous nuire, la créature semblait vouloir nous diriger quelque part. La preuve était dans ses temps d’arrêts où elle s'asseyait sur séant puis nous attendait pour repartir. Mais où est-ce qu’on nous menait ? Je ne reconnaissais pas le coin du jardin, ça n’était pas là où l’on jouait. Pourtant, ce muret et ces bosquets devant lesquels nous venions de passer, je les avais vu autre part : mais où ? Je craignais fort qu’on atteigne une zone interdite, ou pire.
Toutes ces questions passaient par-dessus la tête de ma sœur, qui, elle, chantonna tout au long
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J’étais sûr d’avoir vu au moins une fois cette toiture. On aurait dit un immense gouffre obscur qui nous avalerait tout cru. Pourtant, c’était notre destination. Je pris la main de ma sœur et commençais à monter la pente vers le bâtiment.
– Attends, me dit ma sœur.
Elle me retenait en arrière. De l’index, elle pointait la sombre entrée de l’édifice.
– Il y a un monstre à l’intérieur.
– Ça doit être le chat, répondis-je à ses superstitions.
– Non, c’est un monstre qui est caché.
– Mais où un monstre ? Je suis déjà passé par-là je te dis, c’est le bâtiment de papa et maman. Je t’assure, il n’y a rien, juste des portes.
– Mais je te dis qu’il y a un monstre !, hurla-t-elle.
Je soufflai.
– Les monstres, ça n’existe pas, lui dis-je pour clore l’affaire.
Grossière erreur. Ma sœur, qui me tenait toujours, se rapprocha au point de se coller entièrement à moi. Elle s’inclina vers mon oreille comme pour me raconter une histoire d’épouvante. Dans notre contact, je la sentais distinctement trembler.
– Et pourtant, il y en a un juste en face, murmura-t-elle.
– Je ne crois pas aux monstres, et toi non plus, tu ne devrais pas !
– Il te regarde, il te sent, continua-t-elle sans m’avoir écouté.
– Les monstres, c’est pour les enfants.
Je n’eus l’occasion de corriger ma bêtise, car, soudain, ma sœur se cramponna d’autant plus sur moi.
– Il vient, dit-elle avec une voix à demi-étouffée.
Et, contre toute vraisemblance, il venait. Ou plutôt quelque chose bougeait dans l’ombre. Contre une des colonnes qui supportait le bâtiment, il me sembla voir une étoffe. Le tissu aurait pu être blanc nacré ou rouge écarlate, on n’en avait pas la moindre idée. Puis soudain, l’objet incongru se mit en mouvement, et disparut dans l’obscurité. Ma sœur et moi restâmes cramponnés l’un à l’autre, à demi-conscient.
Et enfin, l’étoffe apparu à la lumière du jour.
Pas de monstre. Ma seule satisfaction. Un fantôme plutôt. L’étoffe se glissa vers nous sans bruit. C’était une belle étoffe, bien travaillée avec des décorations ça et là, des boutons bien reluisants mais aussi des manches et un col. Non pas un fantôme. Il y avait quelqu’un dedans.
Un visage, que chacun aura reconnu, s’inclina vers le sol, puis une main vint sur le cœur.
– Alhamdoullilah, vous êtes revenu ! Mes enfants, soyez le bienvenu dans mon humble demeure.
– Oh ce n’était pas un monstre !, dit ma sœur pour seule salutation.
Et quant à moi, je me terrais dans le silence.
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