Chapitre 22 : Frappés d’une pluie de météores

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On nous avait réveillé et fait courir dans l’avenue. Nous, c’était ma sœur et moi ainsi que tous les autres enfants. Les parents quant à eux suivaient le pas du mieux qu’ils pouvaient.

Mes pensées étaient embrumées car on m’avait tiré du lit de bonne heure. Quelle heure était-il ? Suffisamment tôt le matin pour que le soleil brille derrière cet immeuble mais suffisamment tard pour qu’il laisse de belles étoiles dans le bleu du ciel.

Je m’arrêtai un instant sur la beauté du spectacle. Non seulement ces étoiles étincelaient de mille feux, mais elles laissaient des traînées vaporeuses se déplaçant. Que c’était beau ! J’aurais pu contempler le spectacle des heures et des heures si on ne m’avait poussé vers l’avant en me criant “dépêche-toi”. Et sur ce, je me ruai vers le point de rassemblement qu’on m’avait indiqué.

Tout à coup, je ralentis car la foule se tassait. C’était le point central, le centre de la grande place. Quelqu’un frôla mon épaule : ma jeune sœur. Elle était là fort heureusement, je ne l’avais pas perdu de vue. Je le regarda et je reçus en retour un regard inquiet. Le réveil avait été dur et elle non plus ne comprenait pas ce qui se passait. Nous nous prîmes la main pour nous rassurer mutuellement. Pouvions-nous rentrer à la maison maintenant qu’on avait atteint la grande place ? Pas encore. Il fallait attendre. Mais ça ne saurait que tarder espérions-nous.

Nous épions en même temps ce qui se disait tout autour :

– Il y a quelque chose qui brûle ?, demanda un homme dont la tête dépassait de la foule.

– Ça doit être un feu à la bouche de métro, répondit une dame en pyjama, comme nous tous.

Un monsieur alla voir au métro. Il y retourna cependant bien vite :

– Y’a la police autour, on ne peut pas voir.

Il ajouta qu’il ne semblait pas y avoir de fumée, donc pas de feu dans le métro, ce qui nous laissait donc sur notre faim. Comme il y avait la police, on se doutait bien que ce n’était pas un exercice. Cependant, quand on allait voir les gendarmes, ils ne répondaient pas, ou bien répétaient les instructions sans plus développer. C’était peut-être les immeubles comme on était au point le plus loin de tout bâtiment ? Quelqu’un qui aurait jeté un cigare sur le parquet, ou bien un appareil électrique laissé allumé toute la nuit ? Pas non plus de réponse.

À côté de moi, les gamins du quartier jouaient aux détectives.

– C’est sûr, c’est grand-papy qui a fait des bêtises !, dit un garçon bien fort.

– Non non, lui, il est de l’autre côté, dans l’autre rue !, répondit son camarade.

On n’en sut pas plus sur grand papy car il eût soudain un sacré échange de voix entre deux riverains qui s’accusaient mutuellement d’avoir mis le désordre dans le quartier. Pour l’un même, c’était un subterfuge pour que l’autre puisse aller voler ses voisins. Quoi de mieux qu’une bonne vieille diversion ! Là-dessus le conflit commençait à s’envenimer comme pareil tout le monde avait été tiré du lit.

Puis tout à coup, le silence se fit. Les chamailleries cessèrent.

Les adultes regardèrent autour. Le gamin à côté de moi venait de lever le doigt vers le ciel. Son copain arriva doucement à côté de lui, tout intimidé. Lui aussi regardait le ciel.

– Oh, des étoiles filantes !, lança-t-il en murmure.

Dans le silence, on l’entendit nettement. Des étoiles en pleine matinée ? Tout le monde voulait voir ça. Tous nos yeux se rivèrent vers le haut.

C’était des étoiles filantes, le garçon avait eu raison. Le plus étonnant c’était leur arrangement dans le ciel. On voyait à leur traînée qu'elles partaient d’un même point. Un point situé sur la voûte céleste juste en haut du grand immeuble à ma droite. Ainsi, les traînées formaient les rayons d’un cercle qui passeraient par toutes les étoiles, le cercle s'agrandissant au fur et à mesure.

Ces traînée, parlons-en ! Était-ce vraiment des étoiles ? Je me rappelais en avoir vu des étoiles mais ces traînées là était épaisse. Pas autant que des traînées d’avion mais tout de même assez épaisses pour attirer l'œil.

Au même moment où nous parlions, les étoiles entamaient une longue et majestueuse descente vers l’horizon. Le fait qu’il y avait des policiers autour ne nous préoccupait plus, le fait qu’on nous avait levé tôt le matin ne nous préoccupait plus, le fait qu’on ne savait rien de ce qui se passait ne préoccupait plus. Nos yeux furent grands ouverts quand les objets célestes scintillèrent de plus belles.

Ma sœur me tira la manche :

– Oh regarde, ça fait comme…, commença-t-elle.

Tout à coup, il eut le tonnerre. Une détonation qui venait de derrière les immeubles. Mes tympans claquèrent et je mis mes mains aux oreilles. Les autres devaient crier et moi je ne cirai pas : j’étais paralysé. On me bouscula mais je tins bon sur mes appuis.

Puis ça se calma. Je jetai des regards autour : les adultes couraient dans tous les sens, prenant un ou deux petits effrayés par la main. Je ne comprenais rien à ce qu’ils disaient. Ma sœur !, ce fut ma seule pensée. Elle n’avait pas bougé d’un cil, son visage était pâle, elle regardait fixement droit devant comme pour ne pas vomir. Alors, je me blottis contre elle et elle se blottit contre moi. Ça ne dura pas longtemps.

Mes tympans vibrèrent à nouveau. C’était le deuxième coup.

Me poussa-t-on ? Me protégea-t-on ? Où était-ce l’onde de choc qui me jeta sur le pavé ? Toujours est-il que je fut projeté ventre à terre, souffle coupé. Le béton était brûlant comme un fer à repasser. Je n’avais pas couvert mes oreilles et là j’hurlai pour de bon. Le son n’avait ni source ni direction : il était partout et tout autour. Quelle douleur ! Il fallait que ça cesse mais mes mains protégeaient déjà ma tête que la foule piétinait allègrement.

Enfin, cela cessa. La douleur cessa. J'entendais à nouveau. Tout le monde criait, braillait, pleurait mais je ne trouvai pas la voix de ma sœur. Plus personne ne me piétinait et alors, je me relevai poru voir ce qu’il en était.

Devant moi, un désordre sans nom. Certains cherchaient de l’aide partout en courant dans tous les sens. D’autres criaient des noms à tu-tête, mais nul ne pouvait les entendre dans le tumulte. D’autres encore trottinaient et s'arrêtaient parfois pour implorer le ciel de faire venir un miracle. Il y avait aussi ceux qui avaient perdu la raison et comme l’éléphant rendu fou par les salves de canons hurlaient à la mort et se roulaient à terre en écrasant quiconque sur le passage. Enfin, les malheureux, submergés par le désespoir s’était mis en boule, mains sur les genoux, l'œil vide et se recevaient les coups de tous les autres.

Dans ce désordre, j’avais perdu ma sœur. À l’aide, à l’aide, distinguai-je au loin. Mais, moi qu’est-ce que je pouvais faire ? C’est moi qu’il fallait aider !

– Tu es là, soupirais-je.

Elle était là enfin. Elle était saine et sauve, et pleurait pas même pas.

– Qu’est-ce qu’il s’est passé ?, demanda-t-elle.

– Ça vient du ciel, lui indiquai-je.

Nous regardions le firmament : rempli de gros nuages bas et lourds. Quelques éclaircis restaient du bleu du ciel. Si c’était un feu, alors la ville entière était en flammes.

– On fait quoi ?, dit ma sœur en s’accrochant à moi.

– On ne peut pas rester ici. Tu vois papa et maman ?

– Non…

On tourna la tête dans tous les sens, pas un signe.

– Il faut bouger, signifiai-je.

Je voulais dire par là se déplacer au travers de l’amas de personnes. Ceux qui chahutaient et ceux qui restaient figés comme des statues. Les parents avaient dû rester plus en arrière de l’avenue, il fallait la franchir. Alors, contre vents et marées, je mis ma sœur dans mon dos et on la traversa. Un corps me heurta de plein fouet, un coude se loga dans mon menton, je vis des étoiles à plusieurs reprises mais toujours continuait à avancer.

Après des efforts et des efforts, ma sœur mentionna qu’elle reconnaissait la voix de quelqu’un. Quelqu’un : un voisin, un ami ou bien un parent. Moi je n’entendais rien, rien que du tapage. Je lui fis cependant confiance et pris la direction qu’elle indiquait. Et alors, en se rapprochant, je les vis. Plus loin à quelques mètres. Mon coeur s’allegea et ma sœur parut tout aussi soulagée : dernière ligne droite !

Et là, nos espoirs furent balayés d’un revers de manche : se dressait entre eux et nous nul autre qu’un homme en uniforme. L’homme, on le voyait de profil, il avait l’air dur et grave. À côté de nos parents, il y avait d’autres familles, certaines pleuraient, d’autres parlaient rapidement, ajoutant au vacarme, mais pour la nôtre on ne savait pas. Ma sœur les avait reconnu à leur voix semblait-il et moi je ne savais plus. Je reconnaissais leurs habits mais était-ce vraiment eux ? Car je ne voyais pas leur visage.

– Tu les vois toi ? Tu es sûr que c’est papa et maman ?, demandai-je à ma petite sœur.

Elle s’arrêta, fit un geste timide pour se décaler mais ne vit rien non plus. Et pourtant elle ne disait pas non.

– Allons voir, proposai-je.

Mais en cet instant, une lumière se fit.

Quand je dis lumière, je ne parle pas de d’un coup de génie qui aurait expliqué tout sur tout, le sens des évènements qu’on vivait etc.. Je ne parle pas non plus d’une énième déflagration qui nous aurait emporté tous deux chez Hadès, même si j’en doute parfois. Non, cette lumière, elle était juste en face de nos quatre yeux. À cet instant précis, il se passa donc quelque chose : une aura lumineuse s’interposa physiquement sur notre route. Puis une voix se fit entendre :

– Mes chers, ne bougez pas plus !

C’était la voix de l’Émir.

Le fait est que la lumière venait de devant mais la voix, elle, ne venait pas de devant : elle était juste à côté de nous. Je regardai donc à mes côtés pour y trouver ma sœur qui elle ne regardait pas sur le côté.

– Tu sais d’où ça vient ?, murmurai-je.

Elle me regardait fixement, les yeux plongés dans les miens. Sur son visage, il y avait de la culpabilité, et je ne comprenais pas. Alors, elle me tendit quelque chose. Dans ses mains grands ouverts, je voyais comme de la poussière. La voix de l’Émir, l’Émir…, ces mots résonnaient en moi et tout à coup le puzzle s’assembla. Je me rappelai ce moment de colère au palais de l’Émir lorsque j’avais vu mon avenir dans cette fameuse pierre. Je m’étais alors enfui et la pierre, je l’avais brisé : la voilà, donc brisée, sous mes yeux.

– Tu l’avais récupéré !, m’exclamai-je.

Pas de réponse, pas une explication, pas un sourire espiègle non plus. De toute façon, le fait était là : quand j’étais parti, elle avait pris les morceaux au sol, et les avait amenés jusque dans notre ville.

– Mes chers, vous devez fuir, dit la voix.

Je sursautai avec ma sœur. À cet instant, la lumière brilla comme une étoile au point de m’éblouir.

Quand on rouvrit les yeux, l’Émir était là en chair et os.

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