Chapitre 23 : Un Prince à Paris
Ça me semblait surréaliste : l’Émir à Paris ! J’en restai bouche bé. Le plus étrange dans cela, c’est qu’il n’avait pas changé depuis que je l’avais quitté. Je veux dire par là, pas changé même d’habits, car il portait exactement la même tunique avec exactement les mêmes défauts. Ce n’était pas possible… Ou alors, j’étais déjà chez Hadès. Je tapotai l’épaule de ma sœur pour vérifier que je n’étais pas un fantôme. J’étais pourtant bien vivant et l’Émir était devant moi.
– Mes chers, comme vous m’avez manqué, et comme je suis heureux que nous nous retrouvions enfin.
Il leva les bras et fut tout sourire tandis qu’à deux pas on pleurait, criait, braillait et sombrait dans le désespoir. Ces gens-là heureusement ne semblèrent pas le remarquer.
– Qu’est-ce que vous faîtes ici ?, interrogea ma sœur.
– Je suis venu vous avertir que vous ne pourrez rester un instant de plus dans cette ville. Il faut fuir d’ici mes chers, et je suis là pour vous aider.
L’Émir sortit de la lumière pour s’avancer vers nous. Il nous tendait la main.
– Allez, venez mes enfants.
J'attrapai aussitôt la main de l’Émir. Je le croyai noir sur blanc, toutes les doutes s’étaient disspés. Et nos parents dans tous ça ? Mais vite j’étouffai ma question. J’étais en face d’un miracle, si j'hésitais, c’était le meilleur moyen que le personnage s'évapore dans les airs, et que je sois emporté dans les flammes.
Ma petite sœur, qui avait montré jusqu’à alors une confiance sans nom, le regarda en penchant la tête.
– Pourquoi on peut vous faire confiance ?
Et il sourit en plissant les yeux :
– Ma chère, laissez-moi quelques minutes et je vais vous le montrer.
—
Nous n’étions évidemment pas seuls devant cette apparition. Cependant, nous étions bien les seuls à le voir pour peu que sa tunique ou sa dégaine orientale ait passé pour un pyjama dans la débâcle générale. Autour de nous, la foule commençait à se calmer et des îlots avec des familles se constituaient peu à peu.
Pourquoi toutes ces familles ne retournaient pas chez elles ? C’est que du côté des immeubles, les forces de l’ordre avaient mis en place des cordons pour bloquer l’accès. Le cordon empêchait également aux fuyards d'entrer dans le secteur mais aussi d’y sortir. C’était la première muraille. Quant à la deuxième, c’était le clou du spectacle : les immeubles en réalité, on les voyait pas. Là où ils étaient censés être, il y avait d’épais nuages, très exactement semblables à ceux dans le ciel. Tout l’horizon nous était ainsi bloqués par ce qui était probablement des immeubles en flammes.
Et notre maison où était-elle, qu’on la revoit au moins une autre fois ? Mais vu l’épaisse fumée blanche, je ne voulais pas la revoir, mieux valait fuir si l’issue était certaine. Tant mieux, elle ne me manquait pas.
C’est dans cet état d’esprit que l’Émir me prit, ainsi que ma sœur, un bras au-dessus de mon épaule, et qu’on fila de ce quartier pour toujours.
Je reconnus qu’on quittait l’avenue dans laquelle j’avais grandi. Comme nul ne pouvait sortir mais que, pour certains c’étaient la seule issue, un foule agitée s’y amassai. Pourtant, malgré l’affluence, personne ne nous bouscula : même les chahuteurs déviaient à notre approche. Personne donc ne faisait attention à deux pauvres enfants accompagnés d’un homme à la tunique orientale. Ainsi, comme des invités de marque, nous arrivions coûte que coûte à la barrière.
À la vue des uniformes des forces de l’ordre, je pris peur. Je me remémérai mes parents en train de menacer de les appeler quand je mettais le désordre. Ce n’était pas que la température, mais la sueur commençait à perler mon front. Même ma sœur, qui prenait beaucoup de choses à la rigolade, se triturait nerveusement les cheveux. Quant à l’Émir, notre guide, lui, ne semblait pas affecter : avec lui on fonçait droit sur le peloton.
On les distinguait mieux maintenant. Les gendarmes formaient une ligne compacte qui interdisait tout passage en dehors du secteur. Devant eux, c’était le no man’s land, passé une ligne, c’était tir à vue, enfin c’est ce que j'imaginais. Le doute me prit. Et si l’Émir se trompait ? Et si ce n’était pas l’Émir ? Et si j’avais perdu la raison et que je courais devant le danger ? Au moment où ces pensées me trituraient l’esprit, je sentais le regard pesant des policiers car nous avancions bien vite. Il était encore temps de m’échapper. Je pouvais passer sous son bras et retourner dans mon quartier. Rien de plus simple…. Et trop tard, nous avions franchi le no man’s land.
– Bonjour, interpella un homme en uniforme.
Notre guide ralentit le pas au fur et à mesure, et nous arrêtâmes devant. Tout comme le gendarme, l’Émir ne semblait ni surpris, ni inquiet : cette scène était parfaitement normale.
– Ces enfants sont à vous ?
Le gendarme serrait sa ceinture en nous parlant. On y voyait tout un matériel, de quoi faire tomber une armée.
– Non mon bon Monsieur, ces enfants ne sont pas les miens. Ce sont mes compagnons de voyage.
– Vos compagnons de voyage, et où comptez-vous aller ?
Notre interlocuteur croisa les bras à l’intérieur desquels j’aurais pu rentrer tout entier.
– Nous pensons quitter la ville en prenant la sortie la plus proche. Nous cherchons à nous rendre dans le Nord.
– Et vous irez comment, il y a une voiture qui vous attend ?
– Nous faisons notre voyage à pied, du moins le temps que nos jambes nous portent.
Le sergent se tourna maintenant vers ma sœur et moi. Je suais à grosses gouttes et pas qu’à cause de la chaleur.
– Vous dîtes que ce ne sont pas les vôtres ? Et où sont leurs parents ?,demanda-t-il.
– Mon bon Monsieur, leurs parents sont introuvables. Nous pensons qu’ils ont été enlevés à la suite des événements. Ils avaient besoin d’un guide pour les emmener jusqu’à une personne qui pourra en prendre soin. Alors me voici leur chevalier.
Il va s’énerver, pensai-je en observant la tête du gendarme. Si je fuyais, est-ce que je courais assez vite pour m’échapper ? Ça semblait irréalisable. Soudain, alors qu’il s’apprêtait à parler, la voix d’un tribun romain résonna.
– Tu peux les laisser passer, c’est bon.
Ces paroles étaient sorties du fond du barrage et j’étais trop petit pour voir la tête de notre sauveur. Néanmoins, quand je repense à ces évènements, l’image d’un officier moustachu me vient à l’esprit, et c’était sûrement le cas. L’ordre était en tout cas clair, incontestable.
– Merci mon bon Monsieur. Soyez béni !, dit notre Émir.
En réponse, notre interlocuteur eut un timide sourire. Gêne après l’intervention de son supérieur, ou bien compassion pour ce qui nous attendait de l’autre côté ? Toujours est-il que le barrage s’ouvrit comme la Mer rouge. L’Émir nous fit avancer.
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