Chapitre 28 : Le Palais d’Hadès

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De l’air frais pour célébrer notre fuite ! C’était comme si je respirais pour la première fois de ma vie. Il faisait même moins chaud que dans le métro, c’était une bénédiction du firmament. Pour couronner le tout, une ondée fraîche me caressa le visage. Je tournai la tête et vit un arroseur automatique dans le jardin à côté. Tiens-donc, on avait assez d’eau pour arroser les parcs ?

– C’est quoi la lumière ?, demanda ma sœur.

Elle venait juste de sortir de la bouche de métro et se dégourdissait les jambes. L’Émir sortit enfin.

– Je crois que c’est le soleil ma chère. Il est sur le point de disparaître derrière cet immeuble.

Ma parole ! Alors c’était déjà le soir ? Notre cavale avait-elle vraiment duré toute la journée ?

– Dîtes-moi cher Émir, est-ce que je peux vous poser une question ?, lui dis-je.

– Vas-y mon très cher, poses moi ta question.

Il souriait et parlait avec entrain, comme à l’accoutumé. L’épisode du tunnel semblait effacé de sa mémoire.

– Pourquoi vous êtes à Paris ?

– Très cher, si je suis venu c’était pour vous aider à fuir vers ce quartier, pour qu’une personne de confiance vous récupère et vous amène dans le lointain.

– Oui d’accord, ça vous nous l’aviez expliqué… Mais vous ne devez pas être au Palais ?

– Ce n’est d’aucune importance.

– Ça n’a pas d’importance… attendez… vous pouvez me redire comment vous êtes venu, il y avait des policiers dans le quartier, ils vous ont laissé passer sans problème ?

– Oh ils m’ont laissé passé, mais il a fallu un petit tour de passe-passe.

– Et le tour de passe-passe, pourquoi vous ne l’avez pas utilisé au palais pour partir avant, vous vous sentiez prisonnier, n’est-ce pas ?

– Dis donc, tu poses beaucoup de questions tout à coup, s’exclama-t-il.

Je levai les yeux vers l’Émir, notre guide, notre sauveur.

– Et vous vous nous mentez. Et je veux savoir pourquoi. Pourquoi vous êtes là réellement ?

Son sourire était toujours aussi rayonnant mais il ne répondait pas. Le soleil était désormais pile entre deux immeubles, nous illuminant d’une douce, très douce lumière. L’Émir était éclairé à contre-jour et pourtant me semblait aussi clair que d’habitude, comme si les rayons de lumière le traversaient. Mais c’était sûrement juste une impression.

Il me tendit la main. Je la pris, je n’avais peur car il m’avait sauvé. Alors, il m’emmena jusqu’au parc. Nous passâmes sous l’ondée fraîche de l’arroseur, profitèrent de la senteur du bois qui avait survécu à la canicule. L’Émir me fit remonter un petit chemin de terre à l’intérieur qui menait finalement à une aire de jeu. Alors c’était un parc pour les tout petits, ça me rappelait quelques souvenirs, mais de très vieux souvenirs. L’Émir ne s’intéressa pas aux tourniquets, aux murs d’escalade et autres attractivités, que de toute façon, il n’avait dû connaître dans son enfance princière. Il me guida plutôt jusqu’à un banc à l’ombre d’un petit arbre.

– Mon cher, mon très cher garçon, je dois te révéler quelque chose…

– Vous êtes mort, c’est ça ?

Alors sa bouche s’ouvrit pour déverser un rire que je n’avais jamais entendu de ma vie. Il rit à s’en tordre en deux, et tout en riant, il s’assit par terre sur une dalle en face de moi. Il essaya de parler entre deux inspirations mais c’était devenu trop difficile.

– Comment…

– C’est Boubakar qui vous a tué.

Son rire s’arrêta d’un coup. Le silence se fit. Je le regardai, il me regardait. Et on put entendre le vol de quelques oiseaux non loin, problème du côté du parc. L’Émir semblait prendre le temps de digérer la nouvelle, et après une longue pause, il me pointa du doigt :

– Je le savais… J’aurais dû le deviner quand je t’ai rencontré le premier jour. Mon cher, tu es un sorcier, n’est-ce pas ? Ou peut-être un monstre, comme tu les appelles ?

C’était maintenant une évidence. Boubakar avait pris le pouvoir hier soir, la nouvelle était passée dans la soirée. C’était fini.

J’étais sur le point de demander à l’Émir s’il se rappelait la journée d’hier, et ainsi, lui faire petit à petit comprendre la vérité. À ce moment cependant, un rayon de lumière éclaira le personnage. Il regarda ses mains. Transparentes. Il tira sur sa tunique pour mieux la voir. Transparente. Puis il me regarda moi. Et enfin il comprit.

Moi je compris quelque chose en plus :

– Attendez ! Ne me laissez tout seul ! Où est ma sœur ?

Il ne me répondit pas. Il ne resta d’abord plus que sa silhouette puis l’Émir s’évapora définitivement dans les airs.

Je me réveillai dans une étendue de sable sec. Il faisait chaud et je sentais que mes larmes avaient séchés autour de mes yeux. Je me relevai, au-dessus moi un ciel rouge sang. Devant moi par contre, une immense porte, grande ouverte. La porte d’un palais.

J’entrai.

Un sas d’entrée et devant moi une nouvelle porte. Quelle bonne odeur en sortait ! C’était des épices je crois. Je n’avais pas l’habitude et pourtant c’était si agréable. Il y avait du bruit à l’intérieur : un festin s’y donnait. J’y étais irrésistiblement attiré, et je franchis le seuil.

Je fus d’abord ébloui par la lumière reflétée par le sol poli. Mais il n’y avait pas de lustre au plafond. Seulement maint et mainte décorations qui serpentaient, qui donnaient l'impression de bouger comme des fractales.

La salle des fêtes était un polygone avec d’autres entrées comme la mienne. De ces entrées affluaient d’autres invitées. Et en les voyant, je les reconnu. Je vis d’abord Socrates, puis Platon, puis Phidias. Que faisaient-ils là tous ces gens-là ? N’étaient-ils pas chez l’Hadès ? Mais avant d’éclaircir la question, mon regard se tourna vers une autre entrée.

Un homme en kilt franchit le seuil d’une porte. Mon sang se glaça. Que faisait le Highlander ici ? Il fut bientôt suivi de la Truie, des manifestants et des pieds-légers. Était-ce vraiment eux ou était-ce moi qui me les imaginais ? J’accouru auprès d’eux pour en avoir le coeur net.

– Eh ho le Highlander, tu me reconnais ? Je suis le garçon que tu as croisé dans l’avenue.

Il tourna son visage vers moi. Ses yeux étaient si tristes, mouillés de larmes, comme s’il était en deuil. J’avais une gaffe, ça alors, je n’aurais pas dû lui partir.

Pourtant le Highlander sourit en me voyant. Il me prit par la manche et m’emmena quelque part. Il me fit longer le mur de la salle jusqu’à une entrée bien plus petite.

Soudain je me détachai de la main qui me retenait. Je courrai vers un homme à la tunique orientale et aux manches serties de boutons en or et en argent. Je l’avais reconnu. C’était l’Émir.

– Vous savez où est ma sœur ?

Il ne fit pourtant pas attention à moi car il parlait à deux personnes, un homme et une femme. Les deux dans leur tenue du dimanche. La femme était habillée à la grecque et me rappelait Hélène de Troie. Peut-être était-ce Hélène de Troie. L’homme, lui était en toge couleur claire. La femme tenait un verre dans sa main avec un liquide couleur citron, quant à l’homme, il mangeait un gâteau manifestement aussi sec que l’étendue au-dehors.

– Ah voilà ! Vous le cherchiez, n'est-ce pas ?, s’exclama soudain l’Émir.

Je sentis sa main dans mon dos et il me poussa vers l’avant, en face des deux personnes. L’homme me fit une révérence, se tourna vers la dame à ses côtés, puis se retourna vers moi, l’air étonné :

– Cher Émir, je suis honoré que vous me présentiez ce noble petit garçon mais je ne pense pas l’avoir jamais rencontré.

Ce qui semblait être sa femme me regarda aussi en pleine incompréhension.

– Vous savez où ma sœur ?, lui demandais-je en dernier espoir.

Sa bouche fit le mouvement pour une réponse, mais à ce moment, un voile gris se mit sur mes yeux. Alors l’Émir, les deux personnes ainsi que la salle des fêtes tout entière devinrent obscures. J’eus la sensation de tomber de quatre étages, et soudain ce fut le noir total.

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