Chapitre 29 : Échappée des Enfers

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Hassna avait été fidèle au poste. Il était l’heure du coucher du soleil et elle était sur l’estrade.

La foule devant elle également était bien massive, signe que le message était passé. C’était le moment et elle se plaça devant le micro :

– J’attire votre attention, s’il vous plaît.

Le silence se fit. On ne s’était pas rendu compte qu'elle s’était mise là. Certains la regardaient ébahis, comme s’ils voyaient un fantôme. Mais la Grande Dame n’était pas portée disparue ? C’est ce que la rumeur disait ? Et pourtant, la personne devant eux, c’était elle trait pour trait, qui cela pouvait-il être d’autre ?

– En ce jour, notre monde à chavirer. Nous avons tous vu des étoiles filantes qui ont déchiré le ciel, et qui ont fait leur chemin depuis le firmament jusqu’au sol. Le cataclysme s'est déclenché et ce n’est que le début. On ne peut pas dire quand viendra le deuxième, nous n’avons pas de date, pas de lieu. Vous tous, soyez conscient que j’ai vu votre peine, vos douleurs, votre souffrance et que je la partage. J’ai vu vos difficultés…

Mais elle dû s’interrompre. À sa dernière phrase, une épidémie de murmures s’était déclenchée. On entendait en arrière-plan les traductrices, postées aux premières loges, faire le relais. Ce n’était pas ça. Quelqu’un avait soulevé un problème ou émit une critique.

– Traductrice, s’il y a une question, je serai ravi de l’entendre.

On hocha la tête, et bientôt lui relaya la source du tumulte :

– Une personne se demande si c’est Hassna la Grande Dame qui parle.

Une personne ? Qu’est-ce que c’était que cela ? La personne n’avait-elle pas le courage de se nommer ?

– C’est bien moi, Hassna la Grande Dame, qui vous parle.

Nouveau tumulte et nouvelle remarque :

– C’est parce qu’elle trouve que ce n’est pas votre intonation, pas votre façon de parler, lui relaya la traductrice un peu gênée.

– Pardon ?

La Grande Dame scanna le centre de la foule. Comme la masse s’étendait jusqu’aux immeubles blancs tout au bout de la place, même ses yeux aiguisés ne purent distinguer un visage particulier.

– Si la personne peut m’expliquer ce qui la gêne dans mon intention ?

Dernier regard dans la foule. Elle attendit quelques instants, et comme on ne répondait pas, elle reprit son discours là où elle s’était arrêté :

– Je disais donc que vous n’êtes pas les seuls à connaître cette crise. Sachez qu’il y a eu des pertes matérielles un peu partout dans la région, ainsi que dans la capitale. Notre organisation est également dans un état catastrophique. Nous ne pourrons pas vous aider, enfin, pas ici. Laissez-moi tout vous dire !

Toujours pas de réponse. Elle enchaîna alors :

– Ce que je vous propose, c’est de vous aider quelque part d’autre. Soyons clair : il faut fuir. Prendre la route, ensemble. Si nous n’avons plus de ressources pour continuer ici, nous en avons assez pour vous transporter loin, à une bonne distance, en lieu sûr.

Une nouvelle interruption et cette fois-ci un tumulte beaucoup plus fort, avec beaucoup plus de conviction. Ça alors, une vraie question ! Le réseau des traductrices se mit frénétiquement en marche.

– Ce n’est pas un cataclysme.

– C’est une question ?, demanda à contre-coup la Grande Dame.

– C’est une affirmation.

Les propos de là personne lui était retransmis presque en temps réel, et ainsi l’était les paroles de Hassna :

– Je ne comprends pas ce que vous insinuez ? Vous pensez que c’est un accident de gaz qui est arrivé et qui a incendié vos campements. Vous avez pourtant vu que ça provenait du ciel, n’est-ce pas ? Si vous pensez que vous pouvez simplement vous réinstaller, faire comme si de rien n’était, vous vous trompez. Il y en aura d’autres des cataclysmes, et je peux vous dire que les autres seront bien pires !

La personne avait entendu que Hassna finisse et répondit du tac au tac :

– Qui est Wilfried ?

Hassna fut saisi d’un haut-le-cœur. Elle tituba et manqua de se prendre dans sa tunique. Et elle qui avait tout rodé pour que ces pauvres gens ne s’inquiètent pas. Alors la rumeur était passée, et ce malgré toutes ses précautions. Ils ne comprendraient donc pas qu’il fallait fuir.

– Je ne sais pas qui pose cette question, est-ce qu’on peut en reparler après ?

Il ne lui manquait que quelques lignes avant la conclusion, et alors la Grande Dame pourrait annoncer le grand départ. Cependant, l’autre rétorqua vivement :

– Excusez-moi Grande Dame mais Wilfried devrait être connu de nous toutes. C’est lui qui nous a ciblé par des tirs d’engins explosifs. Celui qui t’a pris en otage. C’est lui aussi qui nous a attaqué pendant la nuit…

Hassna scannait une nouvelle la foule. Mais qui pouvait être cette effrontée ? Ne serait-ce pas quand même un agent à la solde de Wilfried quand même ? Si cela continuait, elle lui enverrait ses gros bras.

– … et ce jour, c’est lui et pas un cataclysme qui nous attaqué. Je me trompe Grande Dame ou je fais erreur ?

Les sourcils de Hassna commençaient à se renfrogner et elle s'apprêtait à parler pour calmer le jeu. Trop tard !

À ce moment, il eût une immense clameur dans le public. Ce fut d’abord un ilôt en face d’elle, puis ensuite le bruit se propagea de bout en bout. Et il ne suffit que de quelques minutes pour que l’assemblée toute entière la regarda avec fureur. C’était le coup de couteau dans le dos : Hassna leur avait mentit. La Grande Dame se sentit soudain bien pâle, ce qui ne lui arrivait pas souvent. La foule en colère était dangereuse et elle préférait se replier hors de l’estrade près la sécurité. On ne savait jamais.

– Je m’excuse Hassna, je ne voulais pas te brusquer. Pourquoi nous cacher qu’on veut du mal, ici ?

Ce n’était pas la voix des traductrices.

– Mais qui êtes vous bon sang ?

C’est maintenant la voix rauque d’un vieil homme qui lui parlait. Et, malgré toute la clameur, elle l’entendait de façon parfaitement limpide.

– Hassna, je pense que tu sais que j’y suis.

Il ne manquait plus que ça ! Car manque de chance, la Grande Dame avait comprit de quoi qu’il s’agissait. Alors, envers et contre tout, elle se remit sur l’estrade, et, faisant taire cette voix de sa tête, Hassna tenta de reprendre le fil de son discours.

– Chère assemblée… S’il vous plaît, s’il vous plaît… Écoutez-moi un peu… J’ai une dernière chose importante à vous dire. Je voulais vous proposer de fuir. Oui, fuir, mais tous ensemble. Ça fera du voyage, je le conçois, mais nous devons partir. On ne peut plus rester ici, sinon Wilfried….

Elle avait prononcé le mot qui ne fallait pas. À cet instant, elle fut interrompue par un cri de guerre dans la foule. Et elle dû abandonner tout espoir quand le cri reçut un écho sans précédent. Les pieds-légers avaient désormais le nom de leur ennemis.

La Grande Dame n’en pouvait plus : elle mit d’abord ses mains dans son visage comme pour pleurer, puis soudain senti une boule de feu lui traverser les poumons.

– Vous voulez une guerre totale ou quoi ?, hurla-t-elle.

Grand silence.

Mille yeux la regardaient. Stupeur devant leur soit-disant guide. Hassna la Grande Dame n’était plus si grande.

Puis soudain, il eût ce oui qui déchaînait la foule. C’en était trop. Oui on voulait la guerre totale. Oui on voulait résister coûte que coûte à cet assassin de Wilfried. Venger les morts, les souffrances et les destructions. Suivit bientôt les exhortations au combat, les sus à l’ennemi et autres choses qui firent craindre à Hassna que les pieds-légers allaient se ruer vers Paris comme des diables.

La Grande Dame connaissait le responsable de ce chaos : cet homme qui l’avait provoqué et tiré hors de ses gongs. Alors sans plus de façons, elle sauta dans le public pour se ruer vers lui.

Preuve de plus que l’assemblée était hors de contrôle, personne ne regarda Hassna quand elle passa au milieu d’eux. Elle dû même jouer des coudes tant l’attention qu’on lui donnait était faible. À côté d’elle, on braillait, on hurlait, la grande chaleur du soir ne leur faisait pas peur. De toute façon, elle ne pouvait plus rien pour eux, et son but, il était devant elle.

Elle l'attrapa comme un forçat, ses deux mains sur ses épaules.

– Qu’est-ce qui t’as pris ? Expliques-toi immédiatement ?

L’autre ne se laissa pas impressionner et pivota doucement sur ces talons. Sa voix, elle l’avait reconnu, et son visage, elle le reconnaissait maintenant. Bien que ses traits n’étaient plus ceux d’un mendiant, son air naturellement jovial et souriant le trahissait tout à fait.

Et c’est justement avec ce sourire qu’il lui parla :

– Chère Hassna, je vois que tu es énervé. C’est bien mais canalise ta colère en vue de ton exode car il ne saurait tarder.

– Quoi, de quoi parles-tu, mon exode ?

Pour la peine, elle le lâcha son emprise de lui.

– Tu délires, mon ami sorcier. Je te prends en train de saboter mes efforts pour qu’on sorte du bâteau qui coule et toi tu me reparles d’exode ? Ne dis pas que tu cherches à m’aider, fils du serpent !

– Je me permets de te demander qui tu inclues ton le on ?

– C’est une question ou c’est pour me voir patauger en répondant ?, ironisa-t-elle.

– C’est une question innocente, mais je me demandais aussi si tu désignais toutes les personnes ici présentes.

– Toi, tu n’en fais pas partie…, répondit-elle sèchement.

– Et qui donc ferait partie de ton arche de Noé ?, reprit-il en riant.

Hassna se mit à chercher quelque chose dans la poche de sa tunique. Après quelque instants de recherche, elle en sortit un papier. C’était ses notes de discours, sa feuille de secours si tant est qu’elle perdait le fil.

– Regardez plutôt ça.

Et encadré par des flots de gribouillis, on pouvait lire le mot exode. L’exode, c’était son destin à elle, certes, mais également celui tous les autres, toutes ces personnes tout autour d’elles, qui avaient perdu la raison.

– Et alors ? Je sais bien que tu comptais leur demander de t’accompagner dans ton périple. Et tu vois bien que c’est peine perdue ?

Ces mots, c’était la goutte d’eau qui fit déborder le vase. La Grande Dame le gifla en pleine figure.

– Abruti ! C’est à cause de toi tout ça, tu comprends ? Elles vont mourir si je les laisse, tu le savais ça ? Vas chez Hadès, maudit !

Il n’avait pas bronché et son sourire restait intact.

– Mais ma chère Hassna, ces personnes, moi je connais leur destin ! Je sais ce qui est écrit. Rien n’est scellé, je peux te le dire. Alors pourquoi stresse-tu autant alors que je suis là, moi ?

La colère avait laissé sa place à une profonde tristesse.

– Je… mais c’est ma mission… c’est ma mission de m’en occuper de toutes ces personnes…, lança-t-elle entre deux sanglots.

– Et bien je t’en décharge Hassna ! Pars vers ton exode et moi j’assurerai tes arrières.

Elle essuya une ou deux larmes.

– Qu’est-ce que tu veux dire ?

– Ne t’inquiètes pas. Prends ton chemin et le reste suivra.

En lui disant cela, le vieil homme ridé, que Hassna ne connaissait que trop, se tourna vers un des immeubles. Deux petites figures se détachaient du lointain.

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